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Les djihadistes aux enseignants du nord du Burkina : « Tu fais l’école du Blanc, tu iras en enfer ! »

Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme (1/6). Après l’assassinat d’un des leurs, les 1 667 professeurs de la province du Soum ont pris la fuite.

Par  (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)

Publié le 09 avril 2017 à 18h51, modifié le 18 avril 2017 à 06h45

Temps de Lecture 3 min.

Une école à Yakouta, dans la région du Sahel, au Burkina Faso, en 2009.

Des tableaux noirs portent encore des traces de craie, mais, face aux pupitres des maîtres, les petits bancs de bois sont vides. Dans le Soum, province du nord du Burkina Faso bordée par la frontière malienne, l’intégralité des 380 écoles ont été désertées en mars, privant de cours plus de 54 000 écoliers. Dans l’Oudalan, la province voisine, plus de 60 % des enseignants ont également fui, selon le ministère de l’éducation.

« Mes collègues et moi sommes partis prendre nos affaires et nous avons fui. Sur la route, c’était la débandade »

Tous avaient en tête un nom, devenu le funeste symbole de la montée du terrorisme qui endeuille la région du Sahel depuis des mois : Salif Badini. Le 3 mars, ce directeur de l’école de Kourfayel, une commune proche de Djibo, le chef-lieu du Soum, a été assassiné dans son établissement avec un parent d’élève. Le mouvement de panique a été immédiat. Dans les heures qui ont suivi, les 1 677 enseignants basés dans le Soum ont pris la fuite.

Présentation de notre série Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme

Adama (le prénom a été changé), enseignant dans une école primaire près de Djibo, était en classe lorsqu’un de ses collègues lui a appris la nouvelle. Avec ce ton calme et ce sourire si caractéristiques de la pudeur des Burkinabés, il raconte : « J’ai immédiatement libéré les élèves. Je ne leur ai rien expliqué, pour ne pas leur faire peur. Mes collègues et moi sommes partis prendre nos affaires et nous avons fui. Sur la route, c’était la débandade. Un cortège de motos. Personne ne causait, nous avions seulement peur. »

« Ne pas subir »

Les enseignants rencontrés pensent que si les terroristes les ciblent, c’est parce que certains d’entre eux ont participé à une formation à la police de proximité, en décembre 2016. Une opération organisée par le ministère de la sécurité et maladroitement médiatisée. « C’était une façon de nous rassurer, mais ça a produit l’effet inverse. Cela nous a exposés et identifiés comme des collaborateurs des forces de sécurité. Et ce sont ces gens-là que les terroristes ciblent », dénonce Lassane (le prénom a été changé), enseignant dans une école primaire au sud de Djibo. Depuis, la majorité de la population du Nord préfère garder le silence pour être sûre de rester en vie.

« Tu fais l’école du Blanc, tu formes des bandits, tu iras en enfer » Menaces reçues par les profs de la province du Soum.

Une fois la confiance installée, Adama accélère le débit : « Je sais qu’il y a des gens qui se réjouissent de notre fuite. Des individus sont venus me voir pour me dire que je formais des bandits et que quand tu fais l’école du Blanc, tu n’es pas sûr d’aller au paradis, tu iras plutôt en enfer. » Adama n’est pas le seul à avoir reçu des menaces. Déjà, avant la mort de Salif Badini, les enseignants de trois écoles ont vécu l’incursion d’hommes armés et encagoulés dans leurs établissements. « C’était le 25 janvier, dans les écoles de Pétéga, de Lassa et de Pelem-Pelem, au nord de Djibo, précise Angéline Neya, directrice régionale de l’éducation au Sahel. Les terroristes ont intimé l’ordre aux enseignants de ne plus enseigner le français aux élèves. Seulement l’arabe et le Coran. »

Une semaine plus tard, c’était au tour des enseignants du village de Kouyé d’être inquiétés. « En plus de l’enseignement du Coran, ils ont exigé des collègues dames qu’elles portent le voile », précise un communiqué des syndicats de l’éducation publié la veille de l’assassinat de Salif Badini. Déjà, les cinq syndicats signataires demandaient aux autorités de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la quiétude des populations dans la zone sahélienne ». Depuis, les ministères de l’éducation et de la sécurité sont allés à la rencontre des enseignants.

Le 24 mars, Simon Compaoré, le ministre de la sécurité, a évoqué la future mise en place d’un dispositif permettant de renforcer la sécurité du corps professoral. « Je suis sûr que les gens vont commencer à rouvrir les classes, à enseigner dans la langue que nous utilisons aujourd’hui dans nos écoles pour ne pas subir le diktat des terroristes. Nous refusons d’être terrorisés », a déclaré le ministre, avec entrain et optimisme.

« Les autorités nous demandent de ne pas céder à la psychose, mais au fond, on sent un malaise »

Selon le ministère de l’éducation, tous les enseignants basés dans le Nord ont repris le travail début avril. Sur le terrain, la plupart des écoles ont effectivement été rouvertes. Mais selon plusieurs sources locales, au nord de Djibo, dans les villages proches de la frontière malienne, certains enseignants n’ont toujours pas repris le travail. « Les autorités nous demandent de ne pas céder à la psychose et de rejoindre nos postes, mais au fond, on sent un malaise. Certains d’entre nous n’arrivent pas à prendre une décision ferme et vont tarder le pas », assure l’un d’entre eux.

* Les prénoms ont été changés

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