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Victime d’homophobie, il se bat pour un football plus tolérant

Footballeur ardennais, victime d’homophobie en 2010, aujourd’hui membredu Variétés club de France, il a créé l’association Foot ensemble, pour lutter contre les préjugés.

Temps de lecture: 5 min

Yoann Lemaire n’en a pas fini avec le match de sa vie. Un défi qui s’est imposé à lui, violemment, mais qu’il relève, à la Pointe des Ardennes, dans son village de Vireux-Wallerand. C’est là, sur les hauteurs ensoleillées, qu’on le retrouve, des années après ce qu’on a appelé « l’affaire Lemaire ». L’histoire d’un petit gars de la Vallée de la Meuse, qui osa un jour révéler son homosexualité à ses copains de club. Et qui fut exclu de son club, ce qui souleva une tempête médiatique submergeant le monde du ballon rond, des vertes pelouses de province jusqu’aux salons dorés des ministères.

BFM devant la maison

On est en 2010, au Football club de Chooz. Yoann, stoppeur rugueux dans le jeu et doux dans la vie, découvre l’homophobie ordinaire. Encore aujourd’hui, il constate qu’« être gay, cela reste le tabou ultime dans le monde du foot ». Un coéquipier le prend en grippe, l’insulte, avant d’être… soutenu par son club. Isolé, Yoann Lemaire sort par la petite porte. Il noie son désespoir dans la rédaction d’un livre, Je suis le seul joueur homosexuel, enfin j’étais, dont les droits ont été rachetés par une chaîne de télé britannique. La parution de l’autobiographie éveille l’attention des médias. L’Ardennais publie plusieurs articles qui alertent les rédactions parisiennes, puis le cabinet de Rama Yade, alors secrétaire d’État aux Sports.

« Quand vous vous levez le matin, et que Demorand (Europe 1), Poincaré (France Info) et Hondelatte (RTL), vous appellent, vous vous demandez ce qui se passe… Puis quand vous ouvrez votre porte et que vous tombez sur les caméras de BFM, c’est vraiment violent ! »

“Dans un vestiaire,

homosexuel est l’insulte suprême”

Grand blond d’apparence timide, Yoann Lemaire se trouve pris dans une spirale médiatique et politique qui le dépasse, mais qu’il va rapidement apprivoiser. « L’affaire a eu un écho très impressionnant, mais avec Rama Yade, c’est ce qui m’a sauvé, en me permettant de rejouer (au club de Vireux, où il est désormais entraîneur, ndlr). »

À cette époque, la secrétaire d’État fait pression sur les politiques et sportifs locaux, puis sollicite Jacques Vendroux. Patron des sports à Radio France, mais aussi du Variétés club de France, il l’intègre à cette équipe de stars, au milieu des Zizou, Liza, Blanc, Pires et compagnie. Au point que Yoann fêtait, dimanche dernier à Romainville, en Seine-Saint-Denis, sa 150e « cape », à la veille de ses 35 ans.

Après avoir tant reçu, Yoann veut aujourd’hui aider tous ceux qui vivent mal leur homosexualité en club. Il vient de créer Foot ensemble, qu’il préside (*). « J’ai créé l’association qui aurait pu m’aider quand tout m’est tombé dessus. »

“C’est un ami

et son combat est noble.

Se faire insulter sur

un terrain parce qu’on est homo, c’est dégueulasse”

L’objectif : « Promouvoir l’ouverture d’esprit et l’acceptation des différences. Les homosexuels peuvent aimer et jouer au football ! » Yoann Lemaire pose la question : « Pourquoi très peu de footballeurs, pour ne pas dire aucun, n’ont osé révéler leur homosexualité ? » Il connaît mieux que personne la réponse : « Dans un vestiaire, le fait d’être comparé à un homosexuel est une insulte suprême : la virilité du joueur, son niveau de jeu, ses aptitudes physiques sont remis en question. »

« Faire venir des vedettes »

L’association compte déjà de nombreux parrains. Des politiques ardennais, comme Boris Ravignon, Pierre Cordier et Jean-Luc Warsmann, « mais pas mon député Christophe Léonard, qui ne m’a même pas répondu ! ». Des personnalités du foot, comme Frédéric Thiriez, patron de la Ligue de football professionnel, Jacques Vendroux ou Louis Nicollin, président du club de Montpellier. Une surprise, l’homme étant plutôt connu pour ses sorties à l’emporte-pièce, voire… homophobes. « Au fond de lui, c’est quelqu’un de très gentil, le défend Yoann Lemaire. Il sait très bien qu’il a dit des conneries dans l’affaire Pedretti (il avait traité le joueur de « petite tarlouze », ndlr), mais ce n’est pas du tout ce qu’il pense au fond de lui. » Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, a également rencontré Yoann Lemaire pour l’encourager.

Ce qu’il espère, c’est que les vedettes du foot acceptent de parler. « Tous connaissent au moins un joueur homo qui vit mal sa vie de sportif. Ce serait génial qu’ils acceptent d’en parler, pour ouvrir le débat. » Ce sera possible dans le cadre des actions mises en place par Foot ensemble : des interventions auprès des scolaires et à l’université, « à commencer par la fac de sports », la réalisation d’un film ou d’une exposition itinérante sur les discriminations dans le sport. « Dans les Ardennes, j’aimerais faire venir des vedettes du foot, pour parler ouverture d’esprit et tolérance. »

Yoann sait que ce match ne durera pas 90 minutes. Son expérience le lui a encore prouvé récemment. Avant d’arrêter de jouer pour de bon, cet hiver, après une mauvaise fracture de la mâchoire, il a en effet dû subir, une énième fois, la bêtise de certains supporters. Lors d’un match dans le nord des Ardennes, « un grand-père venu avec son petit-fils m’a gueulé pendant tout le match : “Allez suce ma b…”  » Bref, il y a encore du boulot. Mais Yoann est un ancien stoppeur. Il ne lâche rien.

Guillaume Lévy

* http://footensemble.fr/

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