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EnquêteClimat

Les cinq forfaits de la banque BNP Paribas

Alors que le deuxième procès d’un faucheur de chaises se déroule aujourd’hui, le collectif de militants entend « mettre la BNP sur le banc des accusés ». La banque encourage l’évasion fiscale, et finance les énergies fossiles au mépris des droits de l’homme et de ses engagements pour le climat.

Après Jon Palais, poursuivi au tribunal de Dax par la BNP avant d’être relaxé, c’est au tour de Florent Compain, président des Amis de la Terre France et faucheur de chaises, d’être convoqué devant la justice. Le motif : une action de réquisition de chaises menée à Nancy le 6 novembre 2015. Son procès doit avoir lieu ce mardi 11 avril à Bar-le-Duc (Meuse).

La BNP, qui a renoncé à se porter partie civile, sera absente (comme à Dax). Mais les faucheurs de chaises (Attac, Amis de la Terre, Bizi, ANV-COP21, Solidaires finances publiques) font tout pour que la banque soit malgré tout placée sous le feu des projecteurs. Aujourd’hui, devant son siège du 16 boulevard des Italiens à Paris, ils entendent « mettre BNP Paribas sur le banc des accusés ».

Pourquoi ? Parce que, selon eux, ce ne sont pas les faucheurs de chaises, mais bien la multinationale bancaire qu’il faut juger. Dans une tribune parue il y a un mois et cosignée par 150 ONG provenant de 56 pays, ils l’accusaient de trois crimes : « participer à l’organisation de l’évasion fiscale », « aggraver la crise climatique en continuant à financer les énergies fossiles », et bafouer les droits humains « en finançant des entreprises connues pour les exactions menées à l’encontre de ceux qui contestent leurs activités ».

Ont-ils raison ? Pour se faire une idée, passons en revue quelques affaires encombrantes de BNP Paribas, au sujet desquelles la banque, interrogée par Reporterre, nous a dit ne vouloir faire « aucun commentaire ».

1 - Championne des paradis fiscaux

C’est l’accusation de départ, sur laquelle s’est bâti le mouvement des faucheurs de chaises. Selon le rapport « En quête de transparence : sur la piste des banques françaises dans les paradis fiscaux », rédigé par le CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France et le Secours Catholique-Caritas France, BNP Paribas est le premier groupe bancaire français opérant dans les paradis fiscaux. Selon les chiffres de reporting (déclaration des activités) pays par pays pour l’année 2014, il possède 200 filiales (soit 24 % de ses filiales) dans les paradis fiscaux, judiciaires et réglementaires, définis selon ces ONG par le degré d’opacité financière qu’ils permettent. Parmi eux : la Suisse, Monaco, Singapour, le Luxembourg, l’Irlande, Panama, Hong Kong, la Belgique, ou encore Jersey et Guernesey. La BNP précède dans le classement le Crédit agricole (159 filiales) et la Société générale (136).

En 2014, BNP Paribas réalisait 20 % de son chiffre d’affaire dans ces pays, soit 7, 946 milliards d’euros. Cela représente 27,8 % de ses bénéfices avant impôts. Or, seulement 15,8 % des effectifs du groupe y sont localisés. Activités plus lucratives, salariés plus productifs dès lors qu’ils se trouvent sous des latitudes et législations plus clémentes ? Les auteurs du rapport suspectent plutôt des stratégies d’évasion et d’optimisation fiscales : « Transfert artificiel de bénéfices et donc réduction de leurs propres impôts, facilitation de l’évasion fiscale de leurs clients ou encore contournement de leurs obligations réglementaires en y menant des activités spéculatives et risquées », écrivent-ils.

2 - Soutien à la construction d’une centrale à charbon en Pologne

Avant la COP21, BNP Paribas avait été pointée du doigt comme la première banque française à financer les énergies fossiles. Entre 2004 et 2014, le groupe avait engagé 52 milliards d’euros dans ce domaine, contre 6 seulement pour les énergies renouvelables, soit un rapport de 1 à 9. À la veille de la COP21, dont il était partenaire officiel, il s’était engagé à « ne plus financer l’extraction de charbon que ce soit via les projets miniers ou via les sociétés minières spécialisées dans le charbon qui n’ont pas de stratégie de diversification », précisant notamment : « Dans les pays dits à hauts revenus : plus aucun financement de centrales électriques à base de charbon. » Depuis, en janvier dernier, le groupe a même annoncé sa décision de ne plus financer aucun projet de centrale à charbon, quel que soit le pays.

BNP Paribas aide la société polonaise Energa à financer une centrale à charbon (à l’image, la mine polonaise de charbon de Turow).

Or fin février, BNP Paribas a aidé l’entreprise polonaise Energa à lever des fonds en émettant des obligations sur les marchés. Cette entreprise a pour projet de construire une nouvelle centrale à charbon de 1.000 MW à Ostroleka, dans le nord-est du pays. « Une nouvelle centrale en plein cœur de l’Union européenne va non seulement à l’encontre de l’accord de Paris [limiter la hausse de la température du globe en-dessous de + 2 °C, et tendre vers + 1, 5 °C] mais aussi des engagements de réduction de CO2 pris par l’UE », juge Lucie Pinson, des Amis de la Terre France. En 2016, selon les Amis de la Terre, BNP aurait aussi financé Uniper, RWE et CEZ, qui prévoient de construire des centrales à charbon en Allemagne et République tchèque.

3 - Prêt à l’oléoduc qui balafre le territoire des Sioux

Aux États-Unis, le projet d’oléoduc Dakota Access a été combattu par des tribus Sioux et des militants pour l’environnement. Stoppé en décembre par l’administration Obama, il a finalement été réautorisé après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, et est officiellement terminé depuis début avril. Sur les 2,5 milliards de dollars du projet, BNP Paribas en a financé 120 millions via un prêt accordé en août 2016.

Sous la pression de la société civile, BNP et d’autres banques avaient mandaté une étude afin de déterminer s’ils pouvaient ou non soutenir le projet. Selon Lucie Pinson, personne n’en a encore vu la couleur, et les banques ont malgré tout procédé aux derniers versements des prêts en février. Dernier rebondissement : mercredi 5 avril, BNP Paribas a annoncé avoir vendu sa part du projet Dakota Access.

« C’est de l’hypocrisie, cette décision arrive bien trop tard, alors qu’ils avaient été alertés dès l’année dernière sur les risques de violation des droits humains et sur la répression des tribus Sioux. Cela permet à la banque de garder la face avec les entreprises du projet, de ne rompre aucun contrat », réagit Lucie Pinson. Les Amis de la Terre affirment, de plus, que BNP Paribas a toujours des parts de prêts dans les entreprises impliquées dans le projet, et qu’il a accordé fin mars un nouveau financement à l’une d’elles.

4 - Conseil du terminal texan du gaz de schiste

La fracturation hydraulique s’avère tellement productive aux États-Unis que les industriels débordent aujourd’hui de gaz de schiste. Pour écouler les excédents, ils se tournent vers l’exportation. « Alors que l’Amérique du Nord a actuellement deux terminaux destinés à l’exportation des gaz issus de la fracturation hydraulique, les industriels ont proposé le chiffre ahurissant de 60 installations supplémentaires », écrivent les Amis de la Terre dans un rapport sur le sujet.

Parmi ces projets, celui de Brownsville, Texas, qui permettrait d’exporter 17,5 millions de mètres cubes de gaz chaque jour, sous forme liquide (gaz naturel liquéfié, GNL). Son promoteur, Texas LNG, espère en livrer une première partie en 2020. Pour la phase d’étude et de recherche de financements, l’entreprise a dû faire appel à une banque en tant que « conseiller-financier »BNP Paribas !

« C’est un rôle extrêmement important, c’est grâce à elle que le projet va pouvoir se faire », avance Lucie Pinson. Ce terminal de Texas LNG est critiqué de toutes parts. Pour son émission de gaz à effet de serre et celles induites (en amont lors de l’extraction, en aval lors de la combustion). Il représente de plus une incitation à la fracturation hydraulique. Pour la menace qu’il représente vis-à-vis de la « réserve naturelle nationale de Laguna Atascosa », toute proche, qui abrite une zone humide et deux espèces menacées (ocelot et faucon aplomado). Pour la pollution aux particules fines dans la région. Enfin, pour son mépris envers les peuples autochtones : la zone d’implantation prévue recouvre un site archéologique (Garcia Pasture) inscrit au « registre national des lieux historiques », où se trouvent des sépultures. Un des peuples qui en sont originaires, les Carrizo/Comedrudo, n’ont même pas été contactés par Texas LNG.

L’entrée du Laguna Atascosa National Wildlife Refuge. Le parc est menacé par le projet de terminal gazier, dans lequel BNP Paribas est impliquée.

Selon un rapport du Rainforest Action Network, BNP Paribas a déjà investi 14,68 milliards de dollars dans les énergies fossiles extrêmes (sables bitumineux, offshore profond, Arctique) entre 2013 et 2015, et 14,72 milliards de dollars dans les infrastructures d’exportation de gaz naturel liquéfié.

5 - Financement de multinationales criminelles en Colombie

On l’appelle le « charbon de sang ». En Colombie, les mines de charbon du bassin de César, exploitées par les groupes Drummond et Glencore (présent à travers sa filiale Prodeco), fonctionnent avec le soutien de groupes paramilitaires. Des opposants sont régulièrement assassinés. Le dernier meurtre date du 4 février dernier, selon l’ONG Pax for Peace. La victime était un homme de 55 ans, Edilberto Cantillo Mesa, membre d’une organisation locale luttant pour la restitution des terres aux fermiers expulsés.

BNP Paribas a arrêté de financer Drummond. Mais elle continue à soutenir Glencore. Selon Pax for Peace, la filiale de Glencore, Prodeco, aurait payé plus de 900.000 dollars à des paramilitaires afin d’assurer la sécurité des mines.

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