Irak

De notre correspondant

« Quel sera notre avenir ? on ne sait pas », enrage Muhammad, dans l’allée de tentes où s’est formé un attroupement. L’homme de 65 ans est un des perdants de la guerre. Il y a deux ans et demi, quand Daech s’emparait du nord de l’Irak, avec ses congénères arabes sunnites il a fui les combats dans la mauvaise direction, vers l’intérieur du « califat ». À la mi-mars, ils ont été « libérés », puis amenés à Hammam Al-Alil, au bord du Tigre, à une trentaine de kilomètres au sud de Mossoul. Comme il n’y a plus de place dans le camp préparé par les organisations internationales, ils occupent des tentes en toile, alignées dans la boue au milieu des ruines de l’université.

Muhammad habitait Zummar, une ville à 60 km au nord-ouest de Mossoul. « Depuis un siècle, ces terres étaient les nôtres », assure-t-il. En fait, ce district était une zone mixte, peuplée à la fois d’Arabes et de Kurdes. « C’est un territoire disputé entre le gouvernement central et le gouvernement du Kurdistan d’Irak », reconnaît Muhammad. Dans la Constitution irakienne de 2005, mise en place après l’invasion américaine, la région autonome du Kurdistan, dans le nord-est du pays, revendique plusieurs territoires régis jusque-là par Bagdad et ses gouverneurs provinciaux. Jusqu’en 2014, Zummar appartenait ainsi au gouvernorat de Ninive, dont Mossoul est la capitale. Ces campagnes aux abords du barrage de Mossoul, sur un axe majeur vers le nord de la Syrie, étaient stratégiques. Pour les Kurdes, c’était aussi une revanche à prendre : dans les années 1970, le régime de Saddam Hussein y avait détruit des villages kurdes et en avait chassé entre 3 000 et 5 000 familles.

Quand les peshmergas kurdes ont repris Zummar à l’automne dernier, Ahmed, 30 ans, a essayé de se « réfugier au Kurdistan ». « Mais les Kurdes ont refusé de nous laisser passer. Alors nous avons fui vers le sud, dans le village de Rehaniya, près de Badouch. » Les Kurdes les accusent d’avoir pris le parti de Daech : à Mahmoudiya, près de Zummar, des villageois arabes auraient attaqué les peshmergas après la libération. Les Arabes du district auraient ensuite fui, par peur de représailles, et sont ainsi devenus des réfugiés abrités par le califat.

Depuis, ils ont eu des nouvelles de Zummar. « Ma maison a été rasée », explique Ahmed. Dès 2015-2016, les organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé ces destructions et ces expulsions, contraires au droit humanitaire. Car Zummar est loin d’être un cas isolé. Dans le nord du Sinjar, la montagne des yézidis, minorité kurdophone persécutée par Daech, cinq villages arabes ont été rasés.

Et un rapport d’Amnesty International, à l’automne 2016, au début de l’offensive irakienne pour reprendre Mossoul, a montré que, à 100 km au aud d’Erbil, capitale du Kurdistan, autour de la grande ville de Kirkouk, plus de 250 familles arabes avaient encore été expulsées et leurs quartiers rasés, en représailles d’attentats commis par Daech le 21 octobre. Tous les Arabes ne sont pas concernés.

À Rabia, ville à la frontière syrienne, ceux de la tribu des Chammars se sont alliés aux Kurdes et sont restés. « Les Chammars sont puissants, ils ont des représentants au Parlement irakien et contrôlent des trafics avec la Syrie », explique le vieux Muhammad. « Nous, nous appartenons à la tribu des Ta’i. La maison de notre cheikh a été détruite. Il a fui en France, avant de revenir à Erbil. » Aujourd’hui, ils vivent de la charité de fondations chiites. Sur leurs tentes flottent les drapeaux des Forces de mobilisation populaire (Hached Al-Chaabi), organisations paramilitaires dominées par les milices chiites, celles-là mêmes qui ont « libéré » les gens de Zummar. Ceux-ci espèrent désormais que les Hached leur permettront de revenir chez eux. Bien que sunnite, Ahmed est conquis : « Nous avons été surpris qu’ils se comportent si bien. Ils ne sont pas sectaires. Servir mon pays et ma patrie avec les Hached serait un honneur. »