Tunisie : les raisons d'une grève générale

REPORTAGE. Tataouine, Le Kef… De grève générale en mobilisations sectorielles, les régions marginalisées exigent du développement.

Par notre correspondant à Tunis,

Grève générale et sit-in dans les entreprises à Tataouine (image d'illustration).

Grève générale et sit-in dans les entreprises à Tataouine (image d'illustration).

© radio Tataouine

Temps de lecture : 5 min

« Il faut tenir quarante-cinq jours, tenir jusqu'au ramadan », dit un membre de l'équipe au pouvoir. Comme si le mois de jeûne allait éteindre la colère sociale qui s'étend dans plusieurs régions du pays. Le cliché selon lequel les mouvements sociaux ne se dérouleraient qu'en hiver risque d'être annihilé. Le beau temps agirait comme un extincteur. Ce n'est pas le cas dans le sud du pays, à Tataouine notamment où une grève générale a été observé le 11 avril. Les magasins ont baissé leurs rideaux de fer, les administrations fermé leurs portes. Opération ville morte afin d'alerter Tunis que la situation ne peut perdurer. Youssef Chahed, le chef du gouvernement, a dépêché une délégation ministérielle afin d'écouter, d'écourter et d'éteindre le départ de feu. Mais son arsenal de solutions est singulièrement limité. Le budget de l'État 2017 sera financé pour 25 % par le recours à l'emprunt. L'endettement a bondi de six points de PIB en 2016.

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Des promesses oubliées, des espoirs éteints

La situation actuelle n'a rien de commun avec celle de 2011. Il ne s'agit pas d'un contexte pré-révolutionnaire. Six ans auparavant, une partie des Tunisiens a arraché ses libertés des griffes rapaces du régime Ben Ali. Ils exigeaient aussi de « la dignité ». Et celle-ci n'a pas vu le jour malgré sept gouvernements qui se sont succédé. En 2014, les élections législatives et présidentielles furent agrémentées de nombreuses promesses. Développement des régions intérieures, créations d'emplois, mise en place d'un climat propice aux investisseurs… Aucune n'a été tenue. La fameuse phrase, très toxique dans son cynisme inhérent, « les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent » peut fonctionner dans une vieille démocratie rompue aux exercices politiciens. Au sein de la jeune République tunisienne, cette façon d'appréhender l'action publique ne trouve aucun écho. Ce qui se joue à Tataouine depuis trois semaines le prouve. Les jeunes, population touchée par un chômage de masse proche des 50 %, se sont organisés pacifiquement pour que l'État réagisse. Il a fallu un peu de temps pour que Tunis tende l'oreille. Il a fallu une grève générale, une ville qui s'arrête pendant toute une journée, pour qu'une série de mesures soit prise par la Kasbah. Y figure la fameuse «  Société de l'environnement  », société fondée pour apaiser la douleur du social avec des emplois plus ou moins réels. Dans un pays sans indemnités pour les chômeurs, ce recours à l'aide sociale (sous couvert de jobs dans le jardinage ou le gardiennage) a vocation à gagner du temps. Autre obsession du Sud : obtenir « sa part de pétrole ». Plusieurs compagnies internationales exploitent quelques sites. Devant celui de Perenco, un sitinneur expliquait : « Je ne sais pas s'il y a beaucoup de pétrole, mais je veux ma part. » Aux portes du désert, les emplois ne sont pas légion dans ce secteur. Les plus qualifiés sont occupés par des ingénieurs étrangers qui sont rapatriés au premier coup de grisou des revendications.

Une stupéfiante absence de réformes

Malgré les promesses réitérées par les dirigeants tunisiens, le pays ne se réforme pas. Il ne s'agit pas de changer la structure de la Tunisie en une poignée d'années, mais de la mettre sur les rails d'un nouveau modèle économique. Après la Conférence pour l'investissement fin novembre, sommet tenu sous l'égide du Qatar et de la France, l'ambiance gouvernementale était à l'euphorie. Une pluie de milliards, sous forme d'aides, de dons, de prêts, de partenariats, semblait s'être abattue sur la terre économique. Cinq mois plus tard, l'euphorie est retombée. Certains accablent l'administration ventripotente, d'autres pointent le poids croissant de la corruption (on dit « économie informelle » en langage technocratique) qui pèserait pour plus de 50 % et la majorité silencieuse enrage de la situation. Le taux de chômage dépasse les 15,5 %, l'inflation tutoie les 4,8 % alors que la croissance plafonne à 1,1 %, proche de l'atonie. Quant à la balance commerciale, elle s'effondre. Les importations explosent alors que les exportations sont faiblardes. Et le dinar plonge. Le déclassement des classes moyennes est en cours. Ce paysage morose explique les mouvements sociaux. Au Kef, à deux heures de route de Tunis, l'évocation du transfert d'une usine de câbles a provoqué une mobilisation. Plusieurs centaines d'emplois étaient menacés de partir à Hammamet, sur la côte, à cinquante minutes en camion de la capitale. Pour les Keffois, pareille fermeture était synonyme de centaines de familles privées de revenus.

Que peut le gouvernement Chahed ?

Sans marge de manœuvre financière, l'exécutif peut peu. Alors que le FMI est à Tunis pour une mission officielle d'évaluation des comptes de la nation, la Kasbah ne peut que circonscrire les mécontentements avec des effets d'annonces. Le recours à l'emploi public, la panacée depuis 2011, n'est plus envisageable sous peine de voir le FMI reporté les prochains versements prévus. Et sans la caution du FMI, d'autres institutions (BAD notamment) sont en attente. En février dernier, l'Institution s'inquiétait de la situation. Deux chantiers peuvent débloquer à moyen terme la Tunisie : la réforme de l'administration et la décentralisation. Cette dernière sera portée sur les fonts baptismaux le 17 décembre 2017, date des premières élections municipales. Quant au mammouth de la fonction publique (plus de 800 000 emplois pour un pays de 11 millions d'habitants), sa masse salariale est « l'une des plus élevées au monde » selon le FMI. Et tanke le budget de l'État.

L'onde de Tataouine jusqu'à Tunis

Ce qui se joue dans le sud du pays n'a rien de surprenant. Cela démontre qu'une partie de la population, les jeunes sans emploi particulièrement, a décidé de s'organiser pacifiquement pour arracher des décisions au pouvoir central. Les décisions prises en faveur de la ville de Tataouine risquent de donner des idées à d'autres villes du pays. « On veut que je me serre la ceinture et, en plus, on me demande ma ceinture », expliquait hier un quadragénaire. Ces dernières semaines, les recettes des finances ont fait grève trois jours, le secteur du textile prépare trois jours de fermeture des magasins dans les villes de Tunis, Sfax et Sousse, les étudiants en droits manifestent sous les fenêtres du chef du gouvernement… Après la révolution démocratique, le besoin de révolution économique se fait plus que pressant.