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Pollution de l’air : Paris va tester une colonne Morris dépolluante

Des microalgues présentes dans ces puits de carbone sont à l’origine de la décarbonisation de l’air. Elles seront aussi recyclées en énergie verte.

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Publié le 15 avril 2017 à 07h44, modifié le 18 avril 2017 à 14h51

Temps de Lecture 4 min.

C’est la place Victor-et-Hélène-Basch, aussi appelée place d’Alésia, dans le XIVarrondissement de Paris, qui a été choisie pour l’expérimentation. Au milieu de ce carrefour fortement pollué où transitent plus de 72 000 véhicules par jour, une copie de l’antique colonne Morris, ce mobilier urbain typiquement parisien qui faisait office de support d’informations au XIXe siècle, va être transformée en puits de carbone.

Le spécialiste français de gestion de l’eau et des déchets, Suez, est à l’origine de ce projet « inédit », selon son directeur général, Jean-Louis Chaussade, qui a proposé à la mairie de Paris de tester son produit en avant-première. Le but : s’attaquer à la pollution de l’air à l’aide… de microalgues.

Le dispositif s’inspire d’une réaction biochimique naturelle des végétaux : la photosynthèse. Dans une colonne en verre remplie d’eau, des microalgues vont fixer le gaz carbonique présent dans l’air, à l’aide d’un système de ventilation. A l’intérieur de cette sorte d’aquarium, ces organismes vivants composés de chloroplastes vont capter la lumière extérieure et celle créée par des barres de diodes électroluminescentes pour transformer le CO2 en dioxygène. L’air purifié est ensuite expulsé du puits de carbone vers l’extérieur. La start-up Fermentalg, basée à Libourne (Gironde), qui a développé ces micro-organismes, affirme aussi qu’elles sont « capables de capturer le dioxyde d’azote (NO2) » rejeté par les pots d’échappement des voitures. Place d’Alésia, le taux de NO2 dépasse les 40 µg/m3 réglementaires, selon les données d’Airparif.

A force d’aspirer du dioxyde de carbone, ces organismes vivants vont croître et se multiplier. Quand ils seront trop nombreux, le système prévoit d’évacuer la biomasse formée vers la station d’épuration la plus proche, par le réseau d’assainissement. Une fois traitées, les microalgues seront transformées en biogaz puis en biométhane (réseau de gaz naturel) pour chauffer les villes.

Le puits de carbone produit une énergie « verte » réinjectable dans le réseau de gaz selon le principe de l’économie circulaire.

Les travaux ont déjà commencé dans le 14e arrondissement de la capitale. « Le site a aussi été choisi pour faciliter les branchements au réseau d’assainissement », explique-t-on au cabinet de Célia Blauel, adjointe chargée de l’environnement à la mairie de Paris. La future colonne Morris, 4 mètres de haut, 2,5 m de diamètre, contient le bioréacteur d’un mètre cube qui permettra de fixer une quantité de CO2 « équivalente à cent arbres, soit une tonne de CO2 par an », selon le concepteur. Ce qui équivaut à « un aller-retour Paris-Washington en avion ». Pour les quantités de polluants de l’air – dioxyde d’azote et particules fines –, il faudra attendre la fin de l’expérimentation pour avancer des résultats. « On sait que ces microalgues ont la capacité d’absorber ces polluants et globalement tous les oxydes de soufre, mais on ignore dans quelles proportions », développe la chef de projet de Fermentalg, Marina Leterrier.

Présenté pendant la COP21 en décembre 2015, le dispositif a pris forme en janvier, avec un premier test pilote à l’usine de Seine centre du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement parisien de Colombes (Hauts-de-Seine). Ce puits de carbone aspire les gaz à effet de serre rejetés par les fumées du four d’incinération des boues de l’usine.

Potentiel énorme des microalgues

Depuis quelques années, des projets impliquant des microalgues commencent à germer, comme la culture d’algues dans les façades d’immeubles pour capter le dioxyde de carbone. D’après Olivier Bernard, directeur de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, les microalgues ont « des propriétés très avantageuses ». « Elles sont très abondantes dans la nature (lacs, mers, glaciers). Elles ont un potentiel de développement dix à trente fois supérieur aux plantes terrestres. Ces organismes unicellulaires peuvent doubler leur biomasse chaque jour dans des conditions optimales. » Autre avantage non négligeable : elles poussent n’importe où, y compris dans des zones non agricoles.

Le potentiel créé par ces végétaux est donc énorme. Pour autant, le scientifique émet un doute sur la capacité du puits de carbone pensé par Suez. « C’est séduisant sur le papier et ça va dans le bon sens. Mais les concentrations de gaz carbonique dans l’air sont sans doute trop faibles pour faire pousser efficacement les algues, qui ont besoin d’une importante teneur en CO2 », estime Olivier Bernard. Il regrette aussi que le puits de carbone soit d’un petit volume. « Avec un mètre cube, on ne dépasse pas 10 kg de biométhane produit par an grâce à la méthanisation des algues, calcule-t-il. Il faudrait une forêt de colonnes entière pour que ça ait du sens… »

Même si Suez vante son nouveau produit, l’entreprise reste prudente. Pour l’instant, le dispositif n’en est qu’à sa phase d’expérimentation. « Nous savons que le puits de carbone fonctionne. Maintenant, si la quantité traitée est trop faible ou si le coût est trop important, nous optimiserons le procédé », précise Jean-Louis Chaussade.

Le coût, justement, n’est toujours pas estimé précisément, mais pourrait être élevé. Cette première expérimentation « ne coûtera rien à la mairie de Paris », assure le cabinet de Célia Blauel, qui laisse le temps au dispositif de faire ses preuves. Suez esquive et met en avant l’objectif de lutte contre la pollution de l’air : « Nous n’aurions jamais connu l’éolien si on avait stoppé les technologies à l’époque, qui coûtaient très cher elles aussi… »

Si le test se révèle positif, ces grands tubes verts pourraient être industrialisés dès la fin de l’année 2017 pour coloniser les métropoles ou le secteur industriel.

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Les puits de carbone les plus redoutables restent cependant d’origine naturelle. Les océans, les forêts ou les tourbières (écosystème où les matières organiques s’accumulent) absorbent la moitié des émissions anthropiques de la planète. Ces pompes à carbone biologiques sont d’autant plus précieuses qu’elles sont menacées, notamment par la déforestation.

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