"On est avec le président ! On lui fait confiance", proclame fièrement Sinem, une brune de 23 ans. Turcs ou Franco-Turcs ont afflué, pendant deux semaines, au consulat de Turquie à Boulogne-Billancourt. Ils devaient se prononcer sur la réforme constitutionnelle proposée par l'AKP, le parti du président Recep Tayyip Erdogan, avant leurs concitoyens de Turquie, appelés à voter ce dimanche 16 avril. Une réforme qui prévoit un net renforcement des pouvoirs du président. Le vote de la diaspora pourrait faire pencher la balance en faveur du oui.

Publicité

LIRE AUSSI >> Pourquoi le vote des Turcs d'Europe devrait peser

Après la journée de travail, beaucoup sont venus en famille, la semaine passée. Quelques femmes âgées portent un foulard; pas les plus jeunes. Ce qui n'empêche nullement bon nombre d'entre elles de manifester un franc soutien au président islamiste. "Erdogan a beaucoup donné à la Turquie, il a amélioré les routes, renforcé l'économie, fait beaucoup pour les plus modestes, pour les gens de ma région d'origine, en Anatolie", se félicite, tout sourire Hatun, une Franco-Turque de 44 ans. Avec sa soeur, elle a passé une heure et demie dans les transports en commun pour venir voter depuis la banlieue.

"Il faut que le président ait les moyens d'agir"

Le renforcement exceptionnel des pouvoirs présidentiels? "Pas d'inquiétude, assure Ilknur, agent de sûreté de 43 ans, habitante de Romainville. C'est dans l'intérêt du peuple turc", affirme-t-elle. "La Turquie a besoin d'un régime présidentiel, comme la France", confirme ce couple venu du Val d'Oise, la soixantaine. La Turquie passe un moment difficile, avec le terrorisme. Il faut que le président ait les moyens d'agir. Regardez, François Hollande, il a bien instauré l'état d'urgence. C'est pareil".

Le Consulat de Turquie à Boulogne-Billancourt

Le Consulat de Turquie à Boulogne-Billancourt

© / C.G.

"Bien sûr, il y a des hauts et des bas en Turquie, comme ailleurs, concède Kerim, 30 ans. Mais les médias français voient surtout les bas."

La plupart des jeunes Franco-Turcs disent s'informer via le cercle familial, "à l'heure du dîner". "On est très soudés, assure Sinem avec entrain. Dans ma famille, on est 8 enfants. Toute la famille est avec 'lui'."

"Ils veulent diviser la Turquie"

Les arrestations massives, les purges dans la fonction publique, la répression contre les médias, depuis deux ans? "C'est bien mérité. La plupart étaient liés au terrorisme, au gülenisme, le mouvement de l'ex-allié de l'AKP, accusé par le pouvoir d'être l'instigateur de la tentative coup d'Etat du 15 juillet dernier. Ils veulent diviser la Turquie", dénonce Selçan, mère de famille de 26 ans, en baissant la voix. "Ils"? "Le PKK, le PYD (branche syrienne du groupe armé kurde), et Daech", précise-t-elle. "Les terroristes". La formule est reprise par la plupart des admirateurs d'Erdogan, pour désigner ses adversaires, sans s'embarrasser de distinctions. "Et puis ceux qui étaient innocents ont été relâchés. Mon cousin fonctionnaire avait été suspendu, il a été réintégré après l'enquête", soutient Hatun, confiante.

LIRE >> Après le putsch raté du 15 juillet, purge à tous les étages en Turquie

Devant le consulat, rares sont les partisans du "oui" qui comme Mesut, 27 ans, admettent ressentir des doutes. "On ne sait pas trop vers quoi on va", confie-t-il. "Si le oui l'emporte, on pourrait prendre la même voie que l'Iran", concède Kerim. "Tout ça n'est pas très bon pour les relations de la Turquie avec l'Europe. Mais je crois que le peuple turc est mûr, responsable. Assez réactif pour empêcher une dérive autoritaire". Rencontré à la librairie Mevlana, dans le 10e arrondissement, Mehtin, doctorant en droit, souligne la complexité de la réforme. "Tout est question d'interprétation". C'est pourquoi trois jours avant de voter, il n'avait toujours pas fait son choix.

"La victoire du oui serait une catastrophe"

Rue de Sèvres, trois jours avant la clôture du vote, les partisans du non se faisaient rare. Et amers. "La victoire du oui serait une catastrophe", soupirent Mehmet et Erfan. "Erdogan aurait, de manière officielle et permanente, tous les pouvoirs qu'il s'est arrogé depuis l'instauration de l'état d'urgence, l'été dernier".

Pessimiste, Berkay, 26 ans, en France depuis trois ans serait à peine consolé par une victoire du non, le 16 au soir. "Le pouvoir essayera quand même de faire passer ses réformes en force, comme en 2015. Mécontent du résultat des législatives en juin, il avait convoqué de nouvelles élections six mois plus tard".

"Ils ne connaissent la Turquie qu'à l'occasion des vacances"

L'étudiant se dit surpris de la droitisation des électeurs franco-turcs. "Ils vivent dans la nostalgie de leurs origines. Ils ne connaissent la Turquie qu'à l'occasion des vacances et s'en font une idée fausse. Sur une réforme aussi importante pour l'avenir du pays, on ne devrait pas laisser décider les gens qui n'y vivent pas", se désole Berkay.

"Erdogan veut un peuple fort", plaide de son côté Selçan, enjouée. La Turquie est une mosaïque, il veut nous rassembler." Les avis tranchés et anathèmes exprimés rue de Sèvres, comme dans le dixième arrondissement, permettent d'en douter.

Publicité