Accoucher entre deux raids aériens : le calvaire des femmes enceintes au Yémen

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Broadly DK

Accoucher entre deux raids aériens : le calvaire des femmes enceintes au Yémen

Dans un pays ravagé par la famine et les bombardements, les femmes enceintes et les enfants comptent parmi les premières victimes.

Photo : Horeh et son fils Fouad se tiennent devant des fenêtres détruites suite à un raid aérien. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Mohammed Awadh/Save the Children

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Horeh était enceinte de son deuxième enfant depuis cinq mois lorsqu'un bombardement aérien a détruit la maison de son oncle, dans le gouvernorat d'Amran, à l'ouest du Yémen.

« C'était très bruyant », se rappelle la jeune maman de 30 ans. « L'explosion était toute proche. » Elle a ensuite entendu les hurlements des femmes de son quartier. « J'ai entendu mes voisins hurler dehors, pour me dire que ma famille avait été touchée. J'ai vu mes frères sortir de la maison, recouverts de sang. Ils m'ont dit que la maison de mon oncle avait été détruite et qu'une famille innocente venait d'être tuée. »

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Terrorisée, et en état de choc, Horeh a commencé à saigner. Le lendemain, elle faisait une fausse couche.

Depuis deux ans, le Yémen est en proie à une guerre civile brutale entre d'un côté le gouvernement Yéménite (soutenu par les États-Unis et l'Arabie Saoudite, entre autres) et de l'autre les insurgés houthis. D'après l'ONU, plus de 13 000 civils ont été tués dans les conflits. En raison du blocus terrien, aérien et naval imposé par l'Arabie Saoudite, 18,8 millions de personnes ont en ce moment besoin d'aide alimentaire, et plus de 7 millions ne savent pas d'où viendra leur prochain repas.

Dans un pays qui est petit à petit ravagé par la famine et les bombardements, les femmes enceintes et les enfants sont parmi les premières victimes.

« Le système médical s'est totalement effondré, et les mères et les enfants se retrouvent sans accès aux soins », explique le Dr. Mariam Aldogani, une obstétricienne employée par l'association Save The Children à Sanaa, la capitale du pays. En conséquence, les femmes enceintes meurent ou font des fausses couches pour des raisons complètement évitables.

« Avant le début du conflit, les femmes enceintes accouchaient normalement, pour la majorité. Maintenant, beaucoup plus de femmes accouchent prématurément, ou doivent subir des césariennes », explique Hanan Saleh, une sage-femme de 33 ans. « Les femmes enceintes qui arrivent dans notre clinique ont énormément de complications : saignements, infections urinaires ou vaginales, tension artérielle très élevée, œdèmes, thalassémies (diminution de la taille des globules rouges), anémies … »

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La malnutrition est le principal problème : soit les femmes font des fausses couches, soit elles donnent naissance à des bébés en sous poids. Mariam Aldogani explique que ses collègues des régions rurales et isolées rencontrent souvent des familles qui survivent avec un seul repas par jour. Les complications de grossesse sont en hausse : le temps que la famille réussisse à rassembler suffisamment d'argent pour aller à l'hôpital ou la clinique, il est souvent trop tard. « C'est particulièrement déprimant lorsqu'une femme arrive à la clinique dans une situation critique mais que la famille n'a pas assez d'argent pour l'amener à l'hôpital », explique Hanan Saleh.

Selon le Dr Aldogani, le système médical au Yémen est lui aussi en pleine crise : les docteurs des hôpitaux publics ne sont plus payés depuis plus de six mois. À la place, ils doivent s'improviser chauffeurs de taxi pour subvenir aux besoins de leur famille, ce qui signifie que les hôpitaux sont dangereusement en sous-effectif.

Arwa, son mari et leurs trois filles. Arwa a fait deux fausses couches depuis le début de la guerre. Crédit photo : Ali Ashwal/Save The Children

Le conflit au Yémen a commencé en 2011, lors du Printemps arabe. Après les émeutes en Tunisie, les Yéménites ont manifesté pour la démission de leur président autoritaire, Ali Abdullah Saleh, suspecté d'avoir volé plus de 60 milliards de dollars dans diverses affaires de corruption. Le suppléant d'Ali Abdullah Saleh, Abdu Rabbu Mansour Hadi, a assumé les fonctions présidentielles à partir de 2012, mais son gouvernement n'a pas reçu que des soutiens. Une partie de l'armée est restée fidèle à Ali Abdullah Saleh, et les famines ainsi que le fort taux de chômage ont participé à la déstabilisation du pays. Au nord, un mouvement houthis (à majorité chiite) a tiré avantage de la situation et s'est approprié le contrôle de la capitale, Sanaa, contraignant Abdu Rabbu Mansour Hadi à se réfugier à l'étranger en 2015.

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Depuis, une coalition de pays arabes (menés par l'Arabie Saoudite) tente de remettre le président Hadi au pouvoir. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont soutenu cette initiative, malgré les avertissements de l'ONU quant aux attaques de cette coalition qui « pourraient s'apparenter à des crimes de guerre. » Tandis que l'ambassadeur saoudien des Nations Unies a démenti ces allégations, un rapport de l'ONU a prouvé que les bombardements saoudiens « répandus et systématiques » visaient des civils, ce qui est contraire au droit international humanitaire.

Mariam Aldogani, médecin employée par l'association Save The Children à Sanaa, la capitale du Yémen. Crédit photo : Mohammed Awadh/Save The Children

Arwa, 25 ans, a fait deux fausses couches depuis le début des combats. « La première fois, les docteurs m'ont dit que c'était à cause d'une infection », explique-t-elle. À l'époque, Arwa était atteinte de toxoplasmose, une maladie parasitaire qui devient courante chez les femmes enceintes à Sanaa. Sa deuxième fausse couche a été le résultat d'un manque de nourriture. Lorsqu'ils ont assez d'argent, Arwa, son mari et leurs trois filles mangent des tomates et des pommes de terre ; la plupart du temps, ils ne peuvent s'offrir que du pain et du thé.

« Lors de ma dernière fausse couche, j'étais chez moi et je me suis mise à beaucoup saigner », se rappelle Arwa. « Je ne pouvais pas aller à la clinique car je n'avais pas assez d'argent pour le trajet. » Étant au courant des difficultés financières de son mari, Arwa n'a rien dit. Il a finalement pu l'emmener à la clinique, mais il leur a fallu cinq jours pour réunir assez d'argent. Arwa a perdu son bébé.

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« Après la fausse couche, j'ai passé cinq jours au lit ; je ne pouvais plus bouger, que ça soit pour me relever ou pour marcher », se souvient-elle. « J'avais tellement peur, j'ai cru que j'allais mourir. »

La malnutrition et les infections telles que la toxoplasmose augmentent le risque de fausses couches ; de plus, les femmes au Yémen ont peu de contrôle quant à leurs organes reproducteurs : les contraceptifs sont rares, et Mariam Aldogani précise qu'il y a en ce moment une « grosse pénurie » de médicaments et d'implants contraceptifs à long terme.

Quelques mois après avoir perdu son bébé, Arwa est à nouveau enceinte et, à juste titre, effrayée par l'avenir. « Je suis encore trop maigre », dit-elle. « J'ai tellement peur de refaire une fausse couche. »

Arwa. Crédit photo : Ali Ashwal/Save The Children

Même lorsque les femmes parviennent à porter le bébé à terme, elles doivent encore survivre à un accouchement qui se déroule dans des conditions atroces. « Lorsque j'ai accouché de mon premier fils, Fouad, j'ai cru que j'allais mourir », se souvient Horeh. Elle a commencé à avoir des contractions lors du premier mois de guerre, pendant un raid aérien. « Je souffrais énormément, ça a duré un jour et demi. On ne pouvait pas m'emmener à l'hôpital car cette nuit-là, les bombardements étaient particulièrement proches, et nous avions peur de quitter la maison. »

Terrifiée par les bombes, Horeh a abandonné l'idée d'aller à l'hôpital : « Je leur ai dit que je resterais à l'intérieur, vivante ou morte. » Parmi le chaos et la panique, une voisine sans formation est venue l'aider. « Ce n'était pas une sage-femme, c'était juste une vieille dame », se souvient Horeh. « Personne d'autre n'est venu nous aider. Elle était gentille et calme. »

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Pour les femmes et les bébés qui ont eu la chance de s'en sortir après l'accouchement, il existe peu de soins postnatals. Mariam m'évoque les contraintes auxquelles elle a été confrontée : « Dans un hôpital, j'ai vu des bébés partager des couveuses car il n'y en avait pas assez pour tout le monde. Dans certains hôpitaux, il n'y en a pas du tout. »

Le Dr Aldogani sait de quoi elle parle. Elle était enceinte de 32 semaines lorsqu'elle s'est retrouvée en travail prématuré, pendant un raid aérien en septembre 2015. Si elle n'avait pas eu les moyens d'aller dans un hôpital privé, son bébé serait probablement mort.

« Je remercie Dieu tous les jours d'avoir sauvé mon bébé », dit-elle en larmes. « Mais je peux vous le dire, je sais ce que ça fait d'être une femme enceinte au Yémen. Elles ont peur de perdre leur bébé, et elles ont peur de ce qui pourrait arriver à leurs enfants si elles mourraient. » Mariam m'explique qu'il existe deux types de femmes au Yémen : celles qui ont perdu des bébés à cause de la guerre et qui veulent à nouveau tomber enceinte pour atténuer leur peine, et celles qui ont trop peur.

« Personnellement, je ne veux pas retomber enceinte tant que la guerre continue : c'est trop douloureux, et c'est trop dangereux pour ma tension », me dit Mariam Aldogani.

Dans tout le Yémen, on peut trouver des enfants traumatisés et en état de choc qui n'ont connu que la guerre et la famine. La nuit, le fils d'Horeh, Fouad, hurle dès qu'il entend certains bruits : il a peur des avions qui survolent leur maison. C'est une peur terrible, mais appropriée, pour un enfant né lors d'un raid aérien.

Les adultes doivent également gérer la peur des bombes. Horeh raconte que son mari est devenu violent : « Il était gentil avec moi avant, mais la guerre l'a changé … Parfois, il me frappe. J'ai très peur de lui maintenant. »

Avec un père aveugle et des frères, tous au chômage, qui doivent s'occuper de leur propre famille, Horeh n'a personne à qui demander de l'aide. « Parfois, je retourne habiter avec mon mari, explique-t-elle. J'essaye de supporter les coups et les cris, comme ça ma famille ne s'inquiète pas pour mon fils et pour moi. »

De son côté, le Dr Aldogani est passée de la science à la prière : « Lorsque je vois une femme enceinte maintenant, je prie pour que l'accouchement se passe bien pour elle et son bébé. »