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Principaux clients des chantiers nazairiens, RCCL et MSC viennent de faire part au gouvernement français de leur disponibilité pour mettre en œuvre un nouveau projet de reprise de STX France. Cette initiative, qui intervient après la signature, le 12 avril, d’un protocole d’accord entre l’Etat et Fincantieri, en dit long sur l’inquiétude des armateurs quant à une prise de contrôle de Saint-Nazaire par le groupe italien.

RCCL et MSC, qui assurent l’essentiel du plan de charge du chantier (10 paquebots en commande ferme pour des livraisons d’ici 2022 et au minimum 4 autres à confirmer d’ici 2026, soit un investissement global de 12 milliards d’euros), redoutent une perte de savoir-faire et ne sont absolument pas convaincus par les garanties négociées entre Fincantieri et l’Etat.

Sécuriser l’outil industriel et les compétences

D’où leur insistance, alors que ce n’est pourtant pas leur métier, à vouloir sécuriser un outil industriel dans lequel ils ont confiance et dont dépend leur propre plan de développement sur la prochaine décennie.

Prêt à être déployé dans des délais très brefs, le projet de RCCL et MSC ne peut être mis en œuvre que si l’Etat se décide, au nom des intérêts stratégiques que représente Saint-Nazaire, à préempter les parts de STX, conformément au pacte d’actionnaire conclu en 2008 avec le groupe sud-coréen (lorsque celui-ci a repris les chantiers suite à une OPA sur le groupe norvégien Aker Yards, qui avait lui-même racheté Alstom Marine deux ans plus tôt).

Un projet applicable au coup de sifflet

Malgré les pressions des Italiens, qui voulaient obtenir un accord irréversible avec les autorités françaises avant les élections, la possibilité de préempter les parts de STX a été préservée dans le protocole d’accord conclu le 12 avril (voir notre article complet d'hier). Bercy a en effet voulu ménager l’avenir puisque, compte tenu des délais légaux, cette option ne sera applicable que par le prochain exécutif. Si tel doit être le cas, l’Etat pourra éviter le problème de la nationalisation en cédant très rapidement les parts préemptées puisque les armateurs sont prêts à intervenir immédiatement.

Faire entrer les salariés au capital

Concernant le projet en lui-même, RCCL et MSC se proposent de prendre chacun environ 20% des parts des chantiers nazairiens. L’Etat conserverait ses 33% et DCNS, comme c’est le cas avec Fincantieri, entrerait au capital, pour une quinzaine de pourcents. En revanche, et cela répond d’ailleurs à certaines revendications syndicales, le nouveau projet des armateurs prévoit également de laisser jusqu’à 10% aux salariés, qui deviendraient donc, aux côtés des autres actionnaires, garants de l’avenir de Saint-Nazaire. Ils auraient en effet un poids assez important au Conseil d’administration et, avec les parts de l’Etat et de DCNS, feraient que les anciens Chantiers de l’Atlantique redeviendraient français. On notera que l’actionnariat salarié peut être financé de différentes manières, y compris en utilisant les millions d’euros mis de côté dans le cadre de l’accord de compétitivité et qui appartiennent aux personnels. 

Des garanties naturelles

Concernant les garanties, elles vont en fait d’elles-mêmes dans ce scénario car il est dans l’intérêt des armateurs de préserver l’outil industriel et les compétences qui permettent de construire les navires avec lesquels ils gagnent de l’argent. Ils sont en plus suffisamment puissants pour maintenir un minimum de charge même si, à l’avenir, le contexte était moins florissant qu’aujourd’hui.

Avec MSC et RCCL, il n’y a par exemple aucun risque de pillage de savoir-faire ou de fuite d’innovations vers d’autres chantiers. Il s’agit de conserver un site complet et indépendant, le centre de décision comme tous les services de l’entreprise demeurant nazairiens. Alors que le carnet de commandes est assuré pour 10 ans avec les deux armateurs, qui ont en outre d’autres projets dans les cartons, c’est aussi l’assurance d’une réalisation intégrale des coques à Saint-Nazaire (jusqu’à saturation de l’outil industriel). Exit donc le risque de voir certaines sections de navires réalisées ailleurs pour abonder le plan de charge d’autres sites en difficulté au sein d’un groupe. Concernant l’emploi et les recrutements, on sait que les armateurs ont répondu aux demandes de l’Etat en s’engageant au moins sur cinq ans, ce qui en l’espèce n’a qu’une importance relative puisque de toute façon le carnet de commandes garantit un développement de la main d’œuvre sur une période plus longue.

Maintien voire amplification des investissements

Pour ce qui est des investissements, on sait que l’ambitieux plan de modernisation Smart Yard 2020 (100 millions d’euros sur 5 ans) serait maintenu, et peut être même accentué. Les gains attendus avec la modernisation des installations et la numérisation des ateliers seront en effet très intéressants. Idem pour les programmes de R&D, qui doivent apporter aux navires des compagnies les innovations techniques qui leur permettront d’être plus efficients, attractifs et de se différencier de la concurrence.

Un atout pour les emprunts bancaires

Sur le plan financier, les armateurs présentent l’avantage, en plus de la couverture des contrats offerte par l’Etat dans le cadre des assurances crédits à l’export, de constituer des garanties solides pour le chantier afin d’obtenir des prêts bancaires aux meilleurs taux. Numéro 2 mondial de la croisière, RCCL réalise pour mémoire un chiffre d’affaires de plus de 8 milliards de dollars (2015) alors que le groupe familial MSC, numéro 4 du secteur et surtout numéro 2 mondial du transport maritime conteneurisé, a généré en 2014 un CA de quelques 25 milliards. Les deux mastodontes du maritime ont donc une surface financière considérable permettant au chantier de négocier au mieux avec les banques. De plus, ils auraient accepté la demande du gouvernement d’étudier la recapitalisation du chantier. Ses fonds propres, de l’ordre de 300 millions d’euros, sont en effet un peu légers compte tenu de la hausse d’activité, qui a vu le chiffre d’affaires de STX France doubler en quelques années pour atteindre 1.5 milliard d’euros. Or, dans la croisière, le constructeur doit avancer beaucoup d’argent (il ne touche de 20% à la commande, le reste étant versé à la livraison) et a donc besoin d’emprunter des sommes considérables. La direction estime que les fonds propres devraient être augmentés d'une centaine de millions d'euros. 

Accentuer la diversification

Les armateurs tiennent également beaucoup à la poursuite et même à l’amplification de la politique de diversification, dans les énergies marines ou autres secteurs. Elle permet en effet de sécuriser l’outil industriel et les compétences dans le long terme, en particulier en cas de baisse des commandes de paquebots, les marchés complémentaires assurant alors le maintien d’activité. Et c’est aussi une manière d’étendre la production vers des domaines potentiellement plus rentables. Même si l’intégration verticale dispense les armateurs de velléités en termes de dividendes, puisqu’ils tirent d’abord leurs bénéfices de l’exploitation des bateaux réalisés, les marges supplémentaires sont autant de leviers pour accroître les investissements, soutenir la politique sociale et salariale, tout en permettant éventuellement des versements aux actionnaires salariés.

Augmenter les marges du chantier

D’ailleurs, sur le sujet de la rentabilité de l’entreprise, il y a sans doute, pour la France, matière à négocier une hausse du prix de revient des navires, afin d’accroître les marges du chantier, que tout le monde s’accorde à considérer comme trop faibles. Si les armateurs tiennent à ce point à Saint-Nazaire et veulent convaincre l’Etat de débarquer Fincantieri, ce pourrait être un élément décisif, y compris pour obtenir le soutien des syndicats. Après tout, ces paquebots qui ne rapportent que très peu d’argent au chantier, sont rentabilisés en quelques années et font gagner beaucoup à leurs propriétaires. De ce point de vue, la volonté de RCCL et MSC d’intégrer au capital l’actionnariat salarié, et ce de manière non négligeable, est peut être le signe d’une évolution de leur réflexion sur le sujet. Il faut dire que l’échec du trio qu’ils avaient formé l’an dernier avec Damen pour racheter les parts de STX a sans doute constitué une prise de conscience. Car le consortium avait précisément explosé à cause d’un désaccord avec le constructeur néerlandais sur le niveau de rentabilité du chantier.  

 

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