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Au Cameroun, le journaliste Ahmed Abba risque la peine de mort

Le délibéré du procès du correspondant de RFI, poursuivi pour « apologie d’acte terroriste », est attendu le 20 avril. Ses avocats dénoncent un dossier d’accusation vide.

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Publié le 19 avril 2017 à 11h00, modifié le 19 avril 2017 à 11h00

Temps de Lecture 3 min.

Le journaliste Ahmed Abba, correspondant de RFI au Cameroun, dans les rues de Maroua en 2015.

Depuis le 30 juillet 2015 et son arrestation à Maroua, Ahmed Abba, le correspondant en langue haoussa de Radio France internationale (RFI) dans l’Extrême-Nord du Cameroun, n’en finit plus de clamer son innocence. En vain, jusque-là. Le 6 avril, après un réquisitoire express de douze minutes, le commissaire du gouvernement camerounais a requis à son encontre la peine de mort devant le tribunal militaire de Yaoundé. Le délibéré est attendu à Yaoundé jeudi 20 avril.

Qu’a donc fait cet homme d’à peine 40 ans, dont les quelques photos laissent toutes apparaître le même sourire timide, pour encourir une telle sentence (qui n’est plus appliquée depuis plus de vingt ans) ? Dans un Cameroun en guerre ouverte avec les djihadistes de Boko Haram dans sa partie septentrionale, Ahmed Abba se serait rendu coupable, selon le parquet, de « non-dénonciation et d’apologie d’acte terroriste » ainsi que de « blanchiment du produit d’acte terroriste ». Des charges qui n’ont cessé d’évoluer lors d’un procès qui est allé de renvoi en renvoi et dont le déroulé a démontré « la vacuité du dossier d’accusation », selon les défenseurs du journaliste.

Torturé par les services de renseignement

Incarcéré désormais à la prison centrale de Yaoundé, Ahmed Abba a tout d’abord été détenu au secret pendant trois mois, torturé dans les locaux de la Direction générale de la recherche extérieure, les services de renseignement camerounais, comme il l’a raconté à la barre. Alors qu’il est soupçonné d’avoir entretenu des liens avec des membres de Boko Haram et de ne pas avoir partagé des informations avec les autorités, il est ensuite interrogé par la gendarmerie sans la présence de ses avocats. Le parquet le renvoie en procès devant un tribunal militaire bien qu’aucune instruction n’ait été menée. Lorsque son procès s’ouvre fin février 2016, l’accusation annonce qu’elle présentera cinq témoins qui feront « la preuve de la culpabilité » du journaliste. Ceux-ci ne se matérialiseront jamais dans l’enceinte du tribunal.

Restait alors le rapport d’un « expert en cybercriminalité », commandé par le commissaire du gouvernement. Son travail est retoqué par le tribunal qui nommera finalement un collège de trois experts dont les conclusions, présentées le 1er mars, ne permettent pas de confondre Ahmed Abba pour « complicité » avec les séides de Boko Haram.

« Nous sommes sereins. Ce tribunal s’est montré très indépendant depuis le début du procès. Il a analysé les faits pour être chaque fois conforme au droit. L’accusation n’a rapporté la preuve d’aucune effraction. Ahmed Abba devrait donc être acquitté et libéré », espère Clément Nakong, l’un de ses avocats. « La direction de RFI ne peut douter que ce jour – le 20 avril – sera celui où l’innocence d’Ahmed Abba sera reconnue, et qu’il sera le dernier jour de son calvaire. Six cent vingt-huit jours de détention, c’est décidément trop long pour un innocent ! », estime de son côté dans un communiqué l’employeur du journaliste. RFI rappelle qu’« elle a pris soin de faire traduire l’intégralité de la production d’Ahmed Abba (…). Il s’agit d’un travail journalistique incontestable qui ne laisse pas la moindre suspicion de sympathie pour un mouvement terroriste. »

Pour le Cameroun, dirigé depuis 1982 par un président, Paul Biya, qui depuis plusieurs années passe plus de temps dans un palace des bords du lac Léman que dans l’enceinte du palais d’Etoudi, l’engagement de son armée dans le combat contre Boko Haram a permis de raffermir les liens avec les Etats-Unis et la France. Ces deux pays appuient directement l’effort de guerre de leur allié, soumis dans l’Extrême-Nord à des raids meurtriers et des attentats-suicides mais dont la riposte s’est accompagnée « d’arrestations arbitraires, de détentions au secret, d’actes de torture et de disparitions forcées », selon Amnesty International.

Régions anglophones privées d’Internet

Depuis octobre 2016, un nouveau front s’est ouvert au Cameroun mais celui-ci n’est pas constitué de combattants armés ou d’enfants transformés en kamikazes. Seulement d’élèves, d’enseignants et d’avocats qui protestent dans les régions Sud-Ouest et Nord-Ouest du pays contre, selon eux, la marginalisation de la minorité anglophone. Aux grèves et aux opérations « ville morte », le pouvoir a répondu par de nouvelles arrestations et la répression à balles réelles des manifestations. De vieilles méthodes qui s’accompagnent de nouvelles formes de censure. Depuis trois mois, les deux régions anglophones du Cameroun sont privées d’Internet.

« Ce renfermement s’explique par l’inéluctabilité de la succession de Paul Biya, 84 ans alors que des élections sont prévues en 2018, analyse Jean-François Bayart, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement à Genève. Il y a un clan autour de lui, que certains qualifient de lobby Beti mais que je nomme personnellement le Conseil d’administration, qui cherche à préempter la succession et donc à inhiber toute possibilité de mobilisation populaire. » Puis de conclure : « Aujourd’hui, le Cameroun est dans un processus de perpétuation d’un système par des moyens autoritaires. »

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