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Le procès de la cellule « Cannes-Torcy », matrice du djihadisme hexagonal

Vingt accusés comparaissent devant la cour d’assises spéciale de Paris, chargée des crimes terroristes pour des tentatives d’attentats entre 2012 et 2014.

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Publié le 20 avril 2017 à 06h42, modifié le 20 avril 2017 à 11h12

Temps de Lecture 4 min.

Des policiers, le 10 octobre 2012 à Torcy.

C’est un procès monstre comme le djihadisme hexagonal n’en a pas encore connu, qui s’est ouvert, jeudi 20 avril au matin, devant la cour d’assises spéciale de Paris, chargée de juger les crimes terroristes. Le procès de la cellule dite de « Cannes-Torcy », du nom d’un groupe d’une vingtaine de jeunes gens, accusés d’avoir été au cœur d’un réseau affinitaire ayant notamment conduit à un attentat raté à la grenade contre une épicerie casher, à Sarcelles (Val-d’Oise), le 19 septembre 2012. La matrice prémonitoire du terrorisme qui va se développer en France à partir de l’attentat de Charlie Hebdo, en janvier 2015, aux yeux de nombreux spécialistes.

Comme dans tous les procès hors norme, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 53 jours d’audience au programme – soit une fin des débats prévue le 7 juillet –, 85 tomes de procédure, 80 témoins cités, 14 experts et 20 accusés. Des chiffres qui décrivent en creux la préhistoire judiciaire qu’a été cette enquête – aujourd’hui les dossiers de terrorisme sont très « saucissonnés » – et la montagne de difficultés que risquent de rencontrer le président de la cour, Philippe Roux, ses quatre assesseurs et les deux avocats généraux – Sylvie Kachaner et Philippe Courroye – pour démêler l’écheveau des responsabilités.

Vingt jeunes gens âgés de 23 à 33 ans aux profils hétéroclites, dont sept comparaissent libres, sont en effet renvoyés devant la cour d’assises spéciale de Paris. Il y a parmi eux des garçons très « radicalisés » au casier judiciaire chargé, des « revenants » de Syrie, mais aussi toute une clique de convertis d’horizons sociaux divers : Alix Seng, 29 ans, enfant de réfugiés laotiens de tradition bouddhiste ; les frères Elvin, 30 ans, et Joan-Mich Bokamba, 26 ans, fils d’un haut responsable politique congolais, de foi évangélique. Ou encore Victor Guevara, 28 ans, issu d’une famille aisée du 8e arrondissement de Paris, autrefois renvoyé du très coté lycée Chaptal.

Le meneur mort en 2012

Le vrai meneur, « gourou » spirituel et opérationnel présumé de la cellule, Jérémie Louis-Sidney, ne sera toutefois pas là pour se défendre. Ce « fanatique », « ultraviolent », comme l’ont dépeint plusieurs accusés du dossier, est mort en 2012, un mois après l’attentat de Sarcelles. Il a été abattu lors de son interpellation alors qu’il mettait les forces de l’ordre en joue. C’est de son influence autour de deux mosquées, à Torcy (Seine-et-Marne) – où résidait sa mère – et à Cannes (Alpes-Maritimes) – où il avait un point de chute – que la cellule tire son nom.

En l’absence de ce leader, c’est Jérémy Bailly – considéré comme son bras droit et essentiellement basé à Torcy –, qui fera donc l’objet de principale figure repoussoir lors de ce procès. Agé de 29 ans, cet homme passé par les Témoins de Jéhovah et régulièrement en proie à des délires mégalomaniaques, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Tous les autres accusés – sauf deux qui risquent aussi la perpétuité – encourent jusqu’à trente ans de réclusion criminelle. Des peines très lourdes, alors que la plupart des procédures pour terrorisme sont aujourd’hui jugées non aux assises mais en correctionnelle, où les prévenus risquent au maximum dix ans de prison – vingt en cas de récidive.

Si les vingt accusés risquent autant, c’est toutefois moins à cause de leur personnalité que parce que le démantèlement de la cellule « Cannes-Torcy » est un dossier à tiroirs qui ne manquera pas de faire débat. Il réunit pas moins de quatre tentatives d’attentat ratées, avortées ou déjouées en moins de dix-huit mois.

Panne de réveil

En septembre 2012, la grenade lancée dans l’épicerie casher de Sarcelles est allée par chance se loger sous une rangée de chariots. Le souffle de l’explosion n’a fait qu’un blessé léger. Mais cela n’a en rien découragé les jeunes gens renvoyés aujourd’hui devant la cour d’assises spéciale. Après cet échec relatif, ils sont accusés d’avoir continué de travailler à plusieurs attaques plus ou moins élaborées.

Ainsi, à peine quatre semaines après l’attentat raté de Sarcelles, selon l’accusation, la cellule vise un McDonald’s de Lognes (Seine-et-Marne). Le projet n’échoue que du fait de l’amateurisme de ses fomenteurs : l’un des participants présumés est censé apporter de l’essence pour incendier le fast-food. Mais il oublie de se réveiller…

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Une troisième tentative d’attentat aurait ciblé, en juin 2013, le camp militaire de Canjuers (Var). Les repérages étaient faits, l’arme acquise. Quatre membres de la cellule sont accusés d’être particulièrement impliqués dans ce projet. Mais la compagne de l’un d’entre eux, un Tunisien sans-papiers de 28 ans, Meher Oujani, dénonce in extremis le projet douze jours avant, au détour d’une plainte pour « violences conjugales » dans un commissariat.

Le carnaval de Nice visé

La quatrième tentative d’attentat présumée aurait visé le carnaval de Nice, en février 2014. Il aurait pu s’agir du premier acte kamikaze sur le sol français avant les attentats du 13 novembre 2015. Les enquêteurs ont en effet acquis la très forte présomption qu’Ibrahim Boudina, 26 ans, un jeune homme d’origine algérienne sans diplôme, était prêt à mourir en martyr après son retour de Syrie, quelques semaines plus tôt.

Lors de perquisitions réalisées dans les parties communes du domicile de son père, ils ont retrouvé plusieurs charges explosives dissimulées. A cette époque, Ibrahim Boudina est l’un des quatre membres de la cellule « Cannes-Torcy » à avoir fait un séjour dans la zone irako-syrienne. Aujourd’hui, l’un d’eux est toujours soupçonné d’être là-bas et fait l’objet d’un mandat d’arrêt.

Les dimensions prémonitoires du dossier « Cannes-Torcy » résident aussi là. Dans ce dernier projet d’attaque « aveugle ». Où la confession, la profession et les convictions politiques des victimes potentielles n’importent plus. Dans la « radicalisation » débridée plus générale aussi, des membres présumés de la cellule.

L’enquête révèle l’entrecroisement permanent entre apologie du terrorisme, haine antisémite, fascination pour la violence et attirance pour une pratique de l’islam « radical » en rupture avec tous les « mécréants ». La future organisation Etat islamique n’existe pas encore en tant que telle à cette époque. Les groupes combattants en Syrie sont alors surtout Jabhat Al-Nosra, puis l’Etat islamique en Irak et au Levant. Mais la fascination pour le djihad tous azimuts est déjà là.

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