Pivot. «J'ai préféré être un bon journaliste plutôt qu'un mauvais écrivain»

Par Propos recueillis par Philippe Minard/ALP

À 82 ans, Bernard Pivot réfute l'étiquette d'intellectuel. Cet éternel amoureux du foot et du Beaujolais explique dans son dernier livre (*) que « c'est en lisant qu'il a appris à lire ».

Pivot. «J'ai préféré être un bon journaliste plutôt qu'un mauvais écrivain»
(Photo Lionel Guericolas)


Êtes-vous un sage espiègle ou un timide audacieux ?
Avec l'âge, ce serait plutôt sage espiègle, malicieux et ironique souvent sur lui-même.

Vous êtes un intellectuel qui revendique l'amour des livres et du foot, du vin et des femmes. Cela vient du désir de briser les idées reçues ?
On est toujours le résultat de son enfance. Il se trouve que j'ai beaucoup joué au football, à Lyon, ensuite ma profession m'a porté sur les livres... J'ai naturellement aimé les femmes. Tout cela ne me paraît pas très singulier. Effectivement, quand j'étais jeune, le fait qu'un journaliste interviewe les plus grands écrivains de l'époque et soit en même temps amateur de football et de Beaujolais en surprenait plus d'un. J'ai aggravé mon cas par le fait que je n'ai pas fait d'études supérieures. C'est pour cela que le terme intellectuel ne me convient pas. Un intellectuel est celui qui produit des idées, écrit des livres, fait des conférences dans lesquelles il transmet un savoir. Moi, je suis un interrogateur d'intellectuel, un passeur.

Vous évoquez votre jeunesse paresseuse. Comment les livres sont venus à vous ?
J'étais paresseux ! J'étais un garçon qui lisait un peu, ni plus ni moins qu'un autre. Mais je préférais le foot à la lecture et je jouais deux matchs par semaine. Plus tard, quand je suis entré au Figaro Littéraire, on m'a fait passer un examen de lecture où j'ai été lamentable ! Le rédacteur en chef m'a posé des questions sur Marguerite Yourcenar mais je n'avais jamais entendu parler d'elle... J'ai eu la chance, plus tard, d'aller la voir et de faire un entretien pour la télévision. C'est parce que je suis devenu journaliste littéraire que je me suis mis à lire énormément. C'est en lisant beaucoup que j'ai appris à lire.

Vous vous considérez comme un représentant du livre ou de la littérature ?
Représentant non... Point de passage entre celui qui produit les livres et celui qui va les lire. En fait, j'ai toujours été un intermédiaire. C'est la mission de notre profession de journaliste. Un journaliste, qui fait du fait divers se rend sur les lieux du drame, questionne les témoins, la police et ensuite transmet tout ce qu'il a appris au public. Tous les journalistes sont des intermédiaires.

Vous avouez avoir une curiosité de concierge. Cela se traduit comment ?
J'ai toujours été curieux et c'est une qualité que je revendique. Un journaliste qui n'est pas curieux est un mauvais journaliste. Ce qui me chagrine le plus dans la mort, c'est de ne pas savoir la suite de ce qui va se passer. Après ma mort, je ne saurai plus jamais qui sera champion du monde de foot ! J'aime tellement l'actualité que je relis des livres de Voltaire, Diderot, Rousseau ou Proust pour y chercher ce qui me rapproche des faits d'aujourd'hui. J'ai une sorte de tropisme de l'actualité qui est terrible dont j'aimerais me libérer pour mieux profiter des livres.

Pourquoi ne vous êtes-vous pas consacré pleinement à l'écriture alors que vous avez écrit un premier roman, dès l'âge de 23 ans ?
Tout simplement parce que je n'avais pas les qualités pour devenir romancier, c'est-à-dire savoir restituer des lieux, entrer dans la psychologie des personnages et nouer des faits les uns avec les autres. N'étant pas adroit avec tout cela, j'ai préféré être un bon journaliste plutôt qu'un mauvais écrivain.

Il semble plus joyeux d'être membre de l'académie Goncourt que de l'Académie française. On rit d'un côté, on fait régime de l'autre ?
Ce qu'il y a de bien à l'académie Goncourt, c'est le déjeuner mensuel, chaque premier mardi du mois chez Drouant. Il permet aux dix membres de resserrer leurs liens d'amitié. On est très sérieux quand on parle de nos lectures et on blague beaucoup durant le repas. L'Académie française est plus austère, plus dans la représentation. Ses membres n'ont pas ce moment de convivialité du boire et du manger.

La plus dure des privations pour vous : les livres, les grands crus de Bourgogne ou la salade de mâche aux ris de veaux ?
Il n'y a pas de raison de choisir, on n'est pas là pour se priver ! Simplement, il ne faut pas boire les grands crus de Bourgogne en lisant. Il y a un moment pour tout. Quand je lis, je suis quelqu'un de très janséniste : je ne bois pas, je ne mets pas de musique. Et je ne lis pas au lit. Je suis assis sur du dur avec un stylo à la main. Je ne suis pas très glamour dans ma manière de lire.

Vous regrettez une frilosité française qui a mis de côtés les « gros mots »...
Les gros mots donnent plus rapidement du poil au menton, ils font grandir plus vite que les autres. Les mots ne sont pas là par hasard. Chaque mot a une explication, une histoire, un avenir plus ou moins long. Quand j'étais enfant, j'avais l'impression que chaque mot était un être vivant. Il faut respecter leur orthographe et les employer à bon escient.

Pensez-vous que le personnel politique se nourrit assez de livres ?
Depuis Mitterrand, la spécificité française, qui faisait que l'homme politique, était un lettré se perd. Aujourd'hui, les politiciens, à quelques exceptions, s'intéressent surtout à ce qui est politique, économique et social. Ils ne s'intéressent plus à la littérature et ils ont tort car on apprend beaucoup de choses en lisant des romans. Les librairies n'encombrent pas leur cerveau mais leur cerveau encombre beaucoup les librairies !

À cause des smartphones, l'indiscrétion est selon vous à la portée du premier caniche venu. Auparavant, c'était donc un art ?
L'indiscrétion était quelque chose de compliqué. L'homme ou la femme qui pensait être trompé devait produire beaucoup d'imagination. Aujourd'hui, il suffit d'appuyer sur le portable de l'autre. J'ai fait un tweet à ce sujet : « Cherchant dans le portefeuille de sa femme les preuves de son infortune conjugale, il n'y a trouvé que des cartes de fidélité »...

Vous êtes pourtant un adepte des réseaux sociaux ?
Twitter est un moyen de communication. C'est parce que Twitter exige la brièveté que ça m'enchante. Il faut ramasser sa pensée. C'est un exercice de style et un exercice mental. Facebook ne m'intéresse pas car il n'y a aucune contrainte.

Vous dites que des Français illustres étaient « en avance sur leur biographie ». Ça veut dire quoi ?
C'est difficile à expliquer mais il est évident que la trajectoire de De Gaulle indique qu'il a toujours été en avance. Quand il est lieutenant, on voit bien qu'il va devenir général et quand il descend les Champs-Élysées, on se dit qu'il va devenir président. C'est écrit. Comme aux échecs, ces gens-là donnent l'impression qu'ils ont deux coups d'avance. Tout ce que faisait Romain Gary préparait déjà l'étape suivante de sa vie.

Votre plus belle rencontre professionnelle ?
Soljenitsyne. Cela reste l'écrivain dont j'aurai suivi l'itinéraire pendant 20 ans. J'ai eu beaucoup de chance.

* « La mémoire n'en fait qu'à sa tête », chez Albin Michel.

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