Pourquoi La Rotonde de Macron n'est pas Le Fouquet's de Sarkozy

Pourquoi La Rotonde de Macron n'est pas Le Fouquet's de Sarkozy
Emmanuel Macron le 24 avril 2017 à La Rotonde (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

C'est rive gauche, dans une brasserie huppée de Montparnasse qu'Emmanuel Macron a choisi fêter sa victoire au 1er tour de l'élection présidentielle. Bien plus qu'un symbole.

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Métro Vavin, à l'angle des boulevards Montparnasse et Raspail, La Rotonde est une belle brasserie parisienne de la rive gauche. La maison, détenue aujourd'hui par les très discrets frères Tafenel, des aveyronnais pur jus, propose "cuisine traditionnelle française" et "accueil chaleureux et personnalisé" dans un décor style art déco. Banquettes pourpres et reproductions de Matisse aux murs, le lieu célèbre le Paris de la Belle Epoque.

Normal, la brasserie a été fondée en 1911 par un certain Victor Libion. Elle connut apparemment succès et renommée grâce à la présence de machines à sous et d'une flopée de brillants artistes souvent cosmopolites : Guillaume Apollinaire, Picasso, Derain, Vlaminck, Salmon, Max Jacob, Modigliani, Soutine… ont ainsi foulé le sol de l'illustre brasserie parisienne. Rien de plus normal là encore. Montparnasse, où se situe l'estaminet, est à partir de 1900 un haut lieu de la vie artistique et intellectuelle parisienne. Saint-Germain-des-Près, à quelques encablures, prendra ensuite le relais.

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Gigot d'agneau et profiteroles

C'est donc là qu'Emmanuel Macron, candidat victorieux du premier tour de l'élection présidentielle, a choisi hier soir de casser la croûte en bonne compagnie. Il s'agissait, affirme à l'AFP son soutien Gérard Collomb, d'une "soirée bon enfant où il allait remercier celles et ceux qui se sont engagés". Quoi de plus naturel ? Après plusieurs mois d'une campagne éreintante, le candidat à la présidentielle avait probablement besoin de reprendre des forces.

Avec son menu à 46 euros, son gigot d'agneau au jus de sauge, sa terrine de chez Gilles Verot et ses profiteroles au chocolat, la brasserie a de quoi rassasier son homme et ses troupes. Las, quelques langues perfides n'ont pas goûté cette belle cuisine de terroir. "Cette fête à la Rotonde est assez indigne dans une situation politique où l'extrême droite est qualifiée pour le second tour...", a tweeté David Cormand, secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts tandis que les réseaux sociaux s'affolaient du bling-bling d'une soirée aux effluves sarkoziennes.

Pour clore la polémique, le candidat a rétorqué au micro d'Europe 1 qu'il avait invité ce soir là politiques et artistes, mais aussi secrétaires et officiers de sécurité. Entendre : rien à voir avec la soirée de Nicolas Sarkozy au Fouquet's, qui avait tant marqué les esprits et la ligne gouvernementale.

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Montparnasse contre les Champs-Elysées

Sans vouloir défendre l'inconscient, force est de reconnaître que Montparnasse n'est pas les Champs- Elysées et que La Rotonde n'est pas le Fouquet's. A l'un, les artistes torturés quémandant un bol de soupe contre un dessin griffonné sur une table ; à l'autre les héros de l'aviation (Alberto Santos Dumont se pose en 1903 sur les Champs Elysées et fête son succès au Fouquet's) , le Paris sportif et mondain et les casinotiers Barrière. 

En revanche, s'il faut à tout prix chercher un symbole derrière le choix des agapes parnassiennes d'Emmanuel Macron, c'est dans l'histoire récente de la gauche qu'il faut plutôt creuser. Car c'est à La Rotonde, en octobre 2011, que François Hollande fêta sa victoire à la primaire socialiste aux côtés de sa compagne Valérie Trierweiler. Il fallut même, raconte François Bazin, ancien chef du service politique du "Nouvel Observateur" (devenu "l'Obs" en 2014) rouvrir les cuisines de la brasserie pour assouvir la faim du futur président. Le récit est savoureux. Le voici, paru dans le "Nouvel Obs" ("L'histoire secrète de la campagne", 10 mai 2012).

"Un dîner à La Rotonde"

"Remettez-nous ça, garçon ! Pour fêter la victoire, ce dimanche 16 octobre 2011, sur le coup de minuit, il a fallu faire rouvrir les cuisines de La Rotonde, une brasserie de Montparnasse. François Hollande et sa garde rapprochée, ce soir-là, avaient une faim de loup, et n'avaient surtout pas envie de se quitter, après une aussi belle soirée. 56% au second tour de la primaire ! Les plus optimistes n'en attendaient pas tant. Avec un pareil score, le nouveau candidat du PS peut voir la vie en rose. Une heure plus tôt, devant le siège du PS, il a salué la foule en tenant la main de
Martine Aubry, de Ségolène Royal et même de Laurent Fabius. Ce moment-là, le club des "3%" - c'est le score qu'attribuaient certains sondages à Hollande au début de sa longue marche - n'est pas près de l'oublier. Et de le savourer !

Assis à côté de sa compagne, Valérie Trierweiler, le candidat n'en est pas à refaire le match, ni même à imaginer le suivant. Et pourtant... Ce qu'il dit, ce soir-là, à demi-mots, par petites touches, montre combien il a programmé dans sa tête tout le film de la présidentielle. "Pour gagner la primaire, il fallait rassembler. Pour gagner la présidentielle, il faudra continuer." (...)

C'est aussi à La Rotonde qu'un brillant inspecteur des Finances du nom de Macron prit l'habitude de réunir une petite équipe d'économistes très "gauche réformiste" pour plancher sur le programme du futur président. Dans ce cénacle surnommé "Les économistes de la Rotonde" : Jean Pisani-Ferry, Philippe Aghion, Elie Cohen, Gilbert Cette… Le début d'une longue histoire."

Corinne Bouchouchi

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