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Chez Jean-Luc Mélenchon, on assume pleinement de ne pas se prononcer pour le second tour
"Je n'ai reçu aucun mandat des 450 000 personnes qui ont décidé de présenter ma candidature pour m'exprimer à leur place sur la suite", a déclaré Jean-Luc Mélenchon.
Francois Mori/AP/SIPA

Chez Jean-Luc Mélenchon, on assume pleinement de ne pas se prononcer pour le second tour

Entre-deux-tours

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Alors qu'à gauche, après l'annonce des résultats, les responsables politiques se sont empressés d'appeler à voter Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon a annoncé qu'il s'en remettait aux 450 000 membres de la France Insoumise. Un grain de sable dans la mécanique du front républicain parfaitement assumée par son entourage.

Le regard grave, la voix solennelle, Jean-Luc Mélenchon prend la parole deux heures après l'annonce des premières estimations en ce soir d'élection présidentielle. Un discours bref, de quelques minutes à peine. Alors que Benoît Hamon a déjà appelé ses maigres soutiens à voter pour Emmanuel Macron, que Pierre Laurent, le secrétaire national du Parti communiste français, s'est empressé lui aussi de marteler ce même message, le tribun déclare : "Je ne saurais dire, ni faire davantage à cette heure, chacun, chacune d'entre vous sait, en conscience, quel est son devoir. Dès lors je m'y range. Je n'ai reçu aucun mandat des 450 000 personnes qui ont décidé de présenter ma candidature pour m'exprimer à leur place sur la suite. Elles seront donc appelées à se prononcer et le résultat de leur expression sera rendu public". Les militants de la France insoumise présents sur place répondent à cette annonce par des applaudissements nourris.

Une position qui déclenche immédiatement un tombereau de critiques à gauche comme à droite. Les mêmes responsables politiques qui, pour la plupart, traitaient l'eurodéputé d'autocrate il y a encore quelques semaines et qui, aujourd'hui, s'étonnent qu'il consulte ses troupes...

"Un avis dont on publiera les données brutes"

De quoi susciter une certaine impatience chez Eric Coquerel, coordinateur politique du Parti de gauche. "La France insoumise, ce n'est pas un parti mais un mouvement politique, réagit-il. Jean-Luc n'a jamais reçu un mandat qui lui permette d'avoir une représentation sur toutes les questions. C'est le cadre de départ de notre mouvement. On ne va pas le trahir maintenant !" Un avis partagé par Liem Hoang Ngoc, ancien du Parti socialiste et responsable de l’économie dans l’équipe de campagne. "Nous ne sommes pas propriétaires des voix qui se sont portées sur la candidature de Jean-Luc Mélenchon, estime-t-il. Depuis le début, nous avons construit notre campagne dans une interaction totale avec les Insoumis. Nous n'allions pas casser cette dynamique maintenant". La consultation, qui devrait être lancée d'ici la fin de la semaine selon l'économiste, ne vaudra d'ailleurs pas appel. "Ce sera plutôt un avis dont on publiera les données brutes", prévoit pour sa part Eric Coquerel. Justement, des consignes de vote, il pourrait ne pas y en avoir du tout, confie même Liem Hoang Ngoc : "On en discute encore entre nous".

Nous ne sommes pas propriétaires des voix qui se sont portées sur la candidature de Jean-Luc Mélenchon.
Clémentine Autain, porte-parole d'Ensemble

De quoi faire redoubler les attaques. Sur son compte Twitter, la ministre du Travail Myriam El Khomri a ainsi publié un message pointant l'attitude du chef de file de la France insoumise : "Quand Jean-Luc Mélenchon et son dégagisme épargnent Marine Le Pen : un déshonneur et une faute. Aucune voix de gauche ne doit manquer le 7 mai."

Une tirade qui laisse de marbre l'ancien socialiste. "Ce n'est pas avec un soutien pareil que Macron va réussir à attirer à lui les millions de gens qui sont descendus dans la rue pour manifester contre la loi Travail", raille-t-il. Et de dénoncer avec une pointe d'énervement "cette pression du système" depuis dimanche soir pour pousser Jean-Luc Mélenchon et ses amis à voter pour l'ancien banquier d'affaires : "Ce sont tous ces gens au pouvoir depuis ces dix dernières années qui sont responsables de la montée du FN en appliquant une même politique. Sans la candidature de Jean-Luc, Marine Le Pen serait bien plus haute. Et c'est nous qui appellerions à voter FN ? C'est quoi cette histoire ?!" D'autant que dans la future consultation, il n'y aura pas de place pour un éventuel vote FN, précise-t-il : "C'est une évidence que pas une voix de chez nous n'ira au FN. Par essence, notre mouvement est un mouvement anti-Front National. Il n'y a aucune ambiguïté là-dessus". Vote blanc ? Abstention ? Vote Macron ? A ce jour, les autres options n'ont pas encore été définies.

Comment expliquer alors qu'en 2002, "le peuple de gauche" se soit massivement mobilisé contre Le Pen père, ou qu'en 2012, Jean-Luc Mélenchon n'ait pas hésité un instant à faire voter pour l'actuel président ? Et qu'en 2017, la mécanique de ce qu'on a appelé le front républicain grince bruyamment ? "Parce qu'aujourd'hui, face à Marine Le Pen, nous avons un candidat qui a comme programme la continuation des politiques libérales qui ont produit le score du FN. C'est la souris qui courre sans fin dans sa roue. On est face à un non-choix" répond sans ambages, Clémentine Autain, porte-parole du mouvement Ensemble et soutien de Mélenchon. "A Sevran, aux Beaudottes, Jean-Luc Mélenchon a fait 50%. Ça veut dire quelque chose. Avec cette campagne, on est en train de renouer un lien de confiance. On ne va pas tout détruire maintenant", poursuit-elle. Pis, pour Eric Coquerel, "Emmanuel Macron demande un vote d'adhésion. Mais si nous sommes radicalement opposés au FN, nous ne pouvons pas signer un chèque en blanc à Macron qui, une fois président, renforcera le vote Le Pen".

Avec cette campagne, on est en train de renouer un lien de confiance. On ne va pas tout détruire maintenant.
Clémentine Autain, porte-parole d'Ensemble

D'ailleurs, avertit Clémentine Autain,

"je souhaite évidemment la défaite de Marine Le Pen, mais si Macron devient président et que je suis élue députée, je me situerai dans l'opposition aux politiques de casse sociale".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne