REPORTAGEDétenus et comédiens sur une même scène dans un théâtre parisien

Paris: Détenus et acteurs professionnels sur une même scène dans un théâtre parisien

REPORTAGEA partir du 4 mai prochain, le théâtre Paris-Villette (19e) accueille pour dix représentations l'« Iliade ». Un projet qui mêle sur scène, acteurs professionnels et détenus…
Une répétition de l'«Iliade» au centre pénitentiaire de Meaux (Seine-et-Marne)
Une répétition de l'«Iliade» au centre pénitentiaire de Meaux (Seine-et-Marne) - Charlotte Gonzales
Romain Lescurieux

Romain Lescurieux

L'essentiel

  • «Ce n’est pas tous les jours que nous avons un projet aussi exceptionnel au sein de l’administration pénitentiaire »
  • Des détenus heureux d’être considérés d’abord comme des comédiens

«Rien ne me fait peur », s’exclame-t-il d’un ton assuré. Dans la médiathèque du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne), à côté d’un mur graffé et éclairé par des néons blancs, Kamel, enchaîne les répliques de Diomède, le personnage de la célèbre épopée d’Homère, Iliade. C’est l’une des ultimes répétitions de l’épisode 3 : « Un jour de bataille ».

Le 4 mai prochain, ce jeune homme de 35 ans, jouera avec cinq autres détenus du centre, huit acteurs professionnels – dont trois anciens prisonniers – et une chanteuse iranienne, cette pièce adaptée par Alessandro Baricco, au théâtre Paris-Villette (19e arrondissement). Et ce, durant dix soirs. Une prouesse culturelle et sociale unique.

« Un récit collectif »

« Ce n’est pas tous les jours que nous avons un projet aussi exceptionnel au sein de l’administration pénitentiaire […] et celui-ci prouve que la prison est un endroit où il y a aussi de la vie », affirme Yannick Le Meur, directeur départemental du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) de Seine-et-Marne. Une idée issue d’un « coup de foudre » créant l’adhésion de nombreux partenaires. « Cette histoire, c’est un récit collectif », se réjouit la directrice du théâtre Paris-Villette, Valérie Dassonville.

Il y a plus de deux ans, Irène Muscari, coordinatrice culturelle au sein de la prison de Meaux-Chauconin – qui compte 950 détenus – sollicite Luca Giacomoni, metteur en scène. Lui, a envie de faire du théâtre en prison. Elle, souhaite travailler sur le thème de la violence. Ils unissent alors leur force et se lancent dans ce projet « fou ». Luca Giacomoni choisit l’Iliade qui « mêle le conflit, le droit, l’honneur et la complexité des passions humaines » et « nous laisse face à l’énigme d’une guerre que personne ne veut réellement, mais dont tout le monde respecte les règles », détaille-t-il. Irène Muscari présente le projet aux détenus et au fil du temps, une troupe, mêlant acteurs de métier et hommes sous la main de la justice, se compose.

Une distribution mettant côte à côté des acteurs, des détenus libérés et des personnes toujours incarcérées
Une distribution mettant côte à côté des acteurs, des détenus libérés et des personnes toujours incarcérées - Charlotte Gonzales

En 2016, une partie de l’équipe joue un projet pilote à La Villette. « Là, on a le droit à une standing ovation », rembobine le metteur en scène. Dès lors, la machine grandit et devient pour les détenus un moyen d’oublier un temps, la prison.

« Ça permet de s’évader »

« Au début c’était un passe-temps. De la rigolade. Mais j’ai commencé à ça prendre au sérieux quand on a joué devant le personnel pénitentiaire », détaille Kamel. « J’ai compris que ce n’était pas seulement un texte mais une histoire que l’on incarne devant un public », sourit-il. Pour le moment, le plaisir, il le prend surtout « en répétant », dit-il pudiquement. A côté de lui, Samir, 26 ans, également détenu au centre pénitentiaire de Meaux, analyse les bienfaits de la scène sur sa situation.

« Ce projet me permet de m’évader. Quand je joue, quand je me retrouve dans un personnage, j’oublie la prison et le moment présent », assure-t-il en regardant Kamel. Les deux jeunes hommes sont aussi heureux d’être considérés d’abord comme des comédiens.

Les comédiens ont travaillé durant près de neuf mois
Les comédiens ont travaillé durant près de neuf mois - Charlotte Gonzales

« On ne cherche pas à connaître leur passé »

Le metteur en scène et les autres acteurs n’ont pas voulu connaître les raisons de leur incarcération. « Mettre en valeur la beauté d’être homme, c’est que Luca veut tenter avec un groupe d’hommes jugés par la société et toujours soumis à son regard », note la direction du théâtre. « Quand j’ai découvert les visages et l’énergie des détenus, j’ai compris qu’ils étaient les héros et les rois du mythe grec », mentionne le metteur en scène. Les acteurs professionnels n’hésitent pas non plus à revenir sur leur rencontre avec Kamel, Samir et les autres.

« C’est intéressant car on joue avec des gens qui ont un passé, que l’on ne connaît pas mais qu’on ne cherche pas à connaître », note Michel, 59 ans. « Je n’étais jamais allé en prison. Pour moi, c’était un endroit gris et froid. Finalement, ça tombait sous le sens », explique Eliott, 26 ans, autre comédien professionnel. « On a mis de côté nos a priori, nos peurs et on a découvert l’homme, l’humain, avec force », conclut-il.

Durant neuf mois, à raison de deux fois par semaine, la troupe n’a cessé de répéter malgré les règles d’une vie en milieu fermé : permissions, visites de la famille ou encore des avocats. « Le passage de Marine Le Pen dans le centre ou la simulation d’une intervention policière ont aussi un peu chamboulé notre programme », note Luca Giacomoni, qui se félicite aujourd’hui d’être allé jusqu’au bout. De leur côté, les six détenus ont leurs douze permissions de sorties pour les deux répétitions générales et les dix soirs de représentations. Et se tiennent prêts pour cette première sur les planches parisiennes.

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