“Fake news”, influence étrangère, faux sondages... Sur le Net, une campagne de coups bas

“Fake news”, influence étrangère, faux sondages... Au lendemain du premier tour, quels enseignements tirer de la bataille sans limites que se sont livrée sur les réseaux sociaux les armées numériques des candidats à la présidentielle ? L'analyse du chercheur Nicolas Vanderbiest.

Par Romain Jeanticou

Publié le 26 avril 2017 à 07h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h10

Après des mois d'activisme, poussé pour certains jusqu'à la propagande et la falsification d'informations, les communautés de soutien des candidats absents du second tour ont rendu les armes. Nicolas Vanderbiest, assistant en relations publiques à l’Université catholique de Louvain et créateur du site Reputatio Lab, analyse les phénomènes de crise et d'influence sur les réseaux sociaux, Twitter en particulier. Après avoir observé les derniers mouvements des différentes sphères de militants, il nous livre son verdict sur les méthodes d'action des uns et des autres, leur envergure et leur capacité à peser sur le scrutin de dimanche 7 mai entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

Comment s'est déroulé ce week-end de premier tour dans les différentes sphères d'activistes en ligne des candidats à la présidentielle ?

Certaines se sont totalement mises en pause, celles de Benoît Hamon et Emmanuel Macron notamment. Mais les communautés les plus denses et homogènes, celles qui forment de vraies « armées numériques », sont restées actives : celles de François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et François Asselineau. Le hashtag « officiel » du premier tour lancé par Twitter France, #JeVote, a été récupéré par ces communautés pour poursuivre la propagande en faveur de leur candidat.

Après les « fake news », au cours de cette campagne, on a vu apparaître de faux sondages. Comment expliquez-vous ce phénomène et sur quels principes s'appuie-t-il ?

Le principe de toutes ces méthodes est le même : instaurer le doute. Les activistes investissent chaque domaine où ils voient des failles – les erreurs journalistiques, puis les erreurs des sondages avec l'élection de Trump et le Brexit – avec une tactique de contournement de celles-ci. C'est une tendance récurrente pour toutes les campagnes. L'arme des faux sondages portant un candidat en tête a surtout été utilisée par les partisans de François Fillon dans le combat contre le « vote utile » pour Emmanuel Macron. Ils jouaient sur le mimétisme produit par les sondages mais ma lecture est qu'ils les utilisaient surtout comme outil catalyseur en interne. Il s'agissait davantage de rassurer les militants suite aux affaires et de les inciter à rester plutôt que d'en amener de nouveaux.

Les fillonnistes ont-ils utilisé les mêmes modes d'action que les activistes du Front national ?

Les fillonnistes ont dépassé la fachosphère en matière de connaissances et de techniques. Ils utilisent des procédés moins directs et brutaux, plus élaborés, qui s'installent petit à petit. Le hashtag #AliJuppé [qui ciblait, lors de la primaire des Républicains, Alain Juppé sur sa supposée complaisance envers l'islam, NDLR] a été un bruit de fond qui a parasité toute la campagne de Juppé, ce qui est bien plus insidieux qu'une simple « fake news ». Ils ont été diablement malins, par exemple avec la création de Ridicule TV [chaîne YouTube moquant Emmanuel Macron, pilotée par des fillonistes, NDLR.] ou de comptes Twitter humoristiques montés en épingle puis transformés en comptes de propagande pour François Fillon. Tout cela donne le sentiment d'une stratégie réfléchie par des agences d'influence.

Est-ce cela que l'on nomme « astroturfing » ?

L'astroturfing est une technique qui consiste à donner à quelque chose, créé de toute pièces pour influencer l'opinion publique, l'apparence d'un comportement spontané et populaire. Le terme est issu d’un faux gazon créé par l’entreprise américaine Monsanto. Avec les faux sondages, la création de faux comptes, les fausses informations, ce sont surtout les soutiens du Front national et des Républicains qui ont pratiqué l'astroturfing, mais les mélenchonistes ont eux aussi utilisé des faux comptes pour propager leurs idées.

“Le principe de toutes les méthodes de propagande est le même : instaurer le doute.”

Comment juger de l'efficacité de ces méthodes sur l'opinion ?

C'est une excellente question à laquelle on ne peut répondre qu'une chose : nous n'en avons pas les moyens. Personne ne sait si ça fonctionne.

On a souvent évoqué l'activité d'internautes internationaux dans la propagande envers le Front national. Dans quelle proportion Marine Le Pen a-t-elle bénéficié d'un soutien à l'étranger ?

Seulement 10 % des activistes FN de Twitter viennent réellement de l'étranger. Il y a toujours eu des communautés ancrées dans des patriotismes internationaux autour de Marine Le Pen. Ils sont bien organisés et mènent des actions précises à un temps T mais ils sont tout au plus quelques milliers. Comme ils viennent de l'étranger, ils sont finalement peu visibles des internautes français. Ce phénomène n'est pas très important.

 

Cartographie de l'usage du hashtag #JeVote par les soutiens de Marine Le Pen, dans laquelle on observe l'« astroturfing » venu de comptes étrangers.

Cartographie de l'usage du hashtag #JeVote par les soutiens de Marine Le Pen, dans laquelle on observe l'« astroturfing » venu de comptes étrangers. Nicolas Vanderbiest

 

Comment se distinguent les communautés des autres candidats ?

L'autre communauté très active est celle de la France insoumise, équivalente en nombre à celles de Fillon et Le Pen. Elle est très jeune et très organisée mais n'utilise absolument pas les mêmes pratiques. Ils n'ont pas produit de « fake news » ou de faux sondages mais ont fait appel à des pratiques de propagande plus franches, avec un fort apport humoristique et la méthode du « cadrage » (« framing » en anglais), qui consiste à présenter certaines informations sous un angle avantageux pour son propre camp. Les rumeurs sur Macron ne sont par exemple jamais venues du camp de Mélenchon. On a souvent reproché aux mélenchonistes leur proximité avec la Russie, mais lorsque j'ai étudié les réseaux de Sputnik et Russia Today [les médias de propagande russe, NDLR.], je n'y ai trouvé aucune communauté active de soutiens de Mélenchon, seulement des partisans de Le Pen, Fillon et Asselineau. Pour ce qui est de la communauté d'Emmanuel Macron, elle s'en est très bien sortie alors qu'ils partaient de très loin. Mais il est clairement dernier, en terme d'activité numérique, dans le peloton des quatre candidats arrivés en tête.

Emmanuel Macron a pourtant l'image du candidat de la « French tech », qui a intégré l'importance du numérique. Vous nous dites que son équipe est en fait en retard sur les autres ?

Dans les faits, ce ne sont clairement pas les plus adroits. Macron est jeune, mais vous savez, si on lui met un smartphone dans les mains, je ne suis pas sûr qu'il s'en serve mieux qu'une boussole. Sa communauté a manqué d'organisation, ils n'étaient pas les plus aptes à mener ce combat. Les ralliements tardifs et très divers ont créé des désaccords de stratégie dans une campagne qui était artisanale. C'est logique.

“J'ai été frappé par les débordements multiples entre les sphères de Fillon et Le Pen.”

Existe-t-il une certaine porosité entre certaines communautés de candidats, qui pourrait jouer sur le second tour ?

Je n'ai observé aucune alliance organisée pendant la campagne mais certaines actions se superposent de façon tacite lorsqu'il s'agit d'attaquer un même adversaire. J'ai été interpellé par les débordements multiples entre les sphères de François Fillon et de Marine Le Pen. Il existe une proximité très forte entre ces deux communautés, que je relie par le terme de « patriosphère ».

Aucune chance donc pour que les activistes de François Fillon fassent campagne pour Emmanuel Macron dans les jours qui viennent, suivant ainsi les consignes de vote de leur candidat ?

Non. On peut dire que les fillonistes ont perdu leur job et que c'est terminé pour eux. Ce sont des activistes qui fonctionnent selon une économie du clic : soit ils sont payés comme membres de campagne, soit ils reçoivent de la reconnaissance à travers les partages et les « likes ». Macron ne leur offre rien, il y a donc peu de chances que ceux-ci fournissent leur force de clic.

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