Jean-Louis Borloo : "Je fais le pari d'Emmanuel Macron"
INTERVIEW - Dans le JDD, Jean-Louis Borloo sort de son silence et appelle à voter en faveur d'Emmanuel Macron, dont il évoque "la responsabilité historique". "Je suis prêt à me retrousser les manches deux ou trois ans pour donner un coup de main", dit-il aussi.
Voilà trois ans et demi - il les a comptés - que Jean-Louis Borloo a fait vœu de silence politique. A l'heure de le rompre, ce jeudi soir où il nous reçoit dans ses bureaux avec sous les yeux des feuilles par lui noircies de mots pesés et soupesés, sans compter les grands coups de Stabilo orange, le centriste - qui peut être tellement brouillon, sinon - est concentré, très, rasé de près et tout et tout. Comme dans les grands moments. La dernière fois qu'on l'a vu affûté comme ça, c'était en cet automne 2010 où il guerroyait pour remplacer François Fillon à Matignon. De là à penser qu'il espère devenir le Premier ministre d'Emmanuel Macron…
Appelez-vous à battre le FN au second tour?
Oui clairement, c'est maintenant, c'est crucial, mais ce n'est pas suffisant. On ne construit pas un pays sur un barrage. Il faut tout reconstruire avec cœur, méthode et détermination. J'ai quitté mes responsabilités politiques il y a trois ans après vingt ans au service des Valenciennois et au gouvernement pour servir une cause : l'Afrique. Je me suis tu jusqu'à présent, aujourd'hui j'ai décidé de parler car la situation est grave et le vote de dimanche engagera les Français sur un chemin irréversible pour une génération. J'ai longuement réfléchi et je fais le pari d'Emmanuel Macron.
Le pari?
Emmanuel Macron, c'est le pari de l'audace, de la modernité, du renouvellement, et de l'action positive. Il entend fédérer les forces vives, se moderniser, faire évoluer le projet européen quand Marine Le Pen, elle, veut diviser, se barricader derrière une ligne Maginot, se séparer de nos voisins européens, sortir d'une monnaie stable et protectrice et proposer un projet économique digne du Parti communiste des années 1960. Le seul catalyseur du choix de l'avenir, c'est Emmanuel.
Macron, "quelqu'un qui rassemble"
Vous l'appelez par son prénom ; êtes-vous amis?
Je le connais mais je ne fais pas partie de ses intimes. Je fais une analyse politique pour mon pays. Je vois quelqu'un qui rassemble, qui défend un monde ouvert et solidaire, qui est transgressif, déterminé et courageux. S'il est élu, Emmanuel Macron sera un des plus jeunes chefs d'Etat, il est de la génération des Trudeau, des Renzi… C'est une bonne nouvelle, n'ayons pas peur de notre jeunesse, de son audace. La France est un vieux pays, mais c'est le peuple le plus jeune d'Europe. Modernité et tradition, c'est la France.
L'avez-vous prévenu?
Non. Il l'apprendra en lisant le JDD.
Avez-vous voté Macron au premier tour?
Ça me regarde. Ce qui compte, c'est qu'il a aujourd'hui une responsabilité historique. Les deux grandes formations traditionnelles ne sont plus invitées au prochain débat.
Cela vous fait-il plaisir?
C'est un constat.
"Nous sommes en train de tourner une page et Emmanuel Macron correspond à cette demande.
"
Qui ne peut pas déplaire à l'apôtre de la recomposition fédératrice que vous êtes depuis toujours…
A Valenciennes, je me suis engagé sans expérience politique, sans étiquette et venant du privé, j'ai fédéré une équipe solide sans préoccupation partisane. Pour être honnête, j'ai eu du mal à croire que ce que nous avions fait à Valenciennes était faisable au niveau national. J'en suis maintenant convaincu. Je veux dire aux Français qu'il est possible de fédérer au-delà des postures. J'en ai fait l'expérience : mes lois - le plan de rénovation urbaine de nos banlieues, la loi sur le surendettement, le logement, le plan de cohésion social, les services à la personne, le Grenelle de l'environnement - ont été adoptées à une écrasante majorité. C'est la preuve qu'avec les progressistes unis on peut réussir.
Voilà de belles intentions ; mais avez-vous une méthode?
Il faut d'abord que la victoire d'Emmanuel Macron soit large. J'en appelle à tous les Français, quel que soit leur choix du premier tour, pour reconstruire. Osons l'espoir! Ce sont les Français qui ont renversé la table, en adressant un message spectaculaire au premier tour. Nous sommes en train de tourner une page et Emmanuel Macron correspond à cette demande. A nous tous, citoyens, associations, collectivités territoriales, parlementaires, fonctionnaires, organisations professionnelles et syndicales, d'écrire avec lui cette nouvelle page. C'est notre dernière chance, elle est possible, elle est enthousiasmante. A mon sens, cela passe par un plan de redressement et d'urgence pour un temps limité, deux ou trois ans.
Cohésion sociale, justice et prisons, stratégie Europe-Afrique
En quoi consisterait ce plan?
Primo, un plan de cohésion sociale pour les deux millions de jeunes entre 15 et 25 ans en souffrance et perdant espoir et patience, mobilisant le million d'associations et de bénévoles, de collectivités, l'Etat et les entreprises, et soutien au deux millions de mamans isolées. Secundo, un plan d'urgence pour la justice et nos prisons, véritables bombes à retardement. Tertio, une stratégie Europe-Afrique. Les grandes surfaces doivent participer à l'effort de redressement national en privilégiant les achats de proximité et de moyenne distance. La moyenne des kilomètres parcourus pour un produit est de 4.000 kilomètres ; ce n'est acceptable ni en matière d'emploi, ni d'environnement, ni de santé, ni de traçabilité. Cela permettrait de redistribuer complètement la production française. On l'a bien fait avec le bonus-malus pour les voitures.
Lire aussi : "La France a besoin de l'Afrique", l'appel de Borloo et Lang au prochain président de la République
Cela suppose-t-il de fédérer différents partis avant les législatives?
Si le renouvellement est nécessaire, les familles de pensée existent néanmoins. Il faut rassembler dans la clarté sans tomber dans une recomposition politicienne. Cette démarche est naturelle pour un centriste convaincu. S'unir pour un plan de redressement et d'urgence est nécessaire, même limité dans le temps. Je suis convaincu que les progressistes de gauche, de droite, et par nature du centre, y adhéreront. Pourvu qu'on respecte les identités de chacun. Quand Angela Merkel propose à Sigmar Gabriel de faire un bout de chemin ensemble, la CDU ne demande pas au SPD de se dissoudre.
Une coalition à l'allemande, cela n'a jamais existé en France…
[Il sourit.] Cela n'a jamais existé non plus que la droite et les socialistes ne soient pas au second tour de la présidentielle! Ce que je défends, c'est une coalition dans l'action. Il faut agir, et très vite. [Son poing cogne la table.]
"Si on a besoin de moi, je réponds avec mon cœur, ma détermination, mon expérience.
"
Ce projet, il faut quelqu'un pour le porter à Matignon… Vous?
Nous en sommes au choix crucial et irréversible dimanche prochain et uniquement dans ce temps-là. Je ne suis candidat à rien, je ne suis pas en train de passer un entretien d‘embauche. Je parle aux Français. Ma responsabilité est de leur dire ce que je crois en conscience : il faut jouer ce pari de l'avenir. Cela demande du courage, d'affronter quelques incompréhensions, mais au point où nous en sommes, c'est le seul chemin positif possible pour notre pays.
Jusqu'à quel point êtes-vous prêt à vous impliquer?
Je m'engage à fond. Je veux aider Emmanuel Macron. Je n'ai ni ego, ni conditions, ni prétentions. Si on a besoin de moi, je réponds avec mon cœur, ma détermination, mon expérience. J'étais en retrait total de la vie politique, ma vie avait changé. L'édifice s'écroule, et moi je laisserais faire? Je suis prêt à me retrousser les manches deux ou trois ans pour donner un coup de main.
On ne vous a pas entendu pendant la campagne. François Fillon vous a longtemps espéré à ses côtés…
[Œillade malicieuse.] Macron aussi…
Pourquoi ne pas vous être engagé plus tôt?
J'avais changé de vie. Je sors maintenant de mon silence car l'heure est grave, le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan à Marine Le Pen confirme ma crainte. Face au danger, il faut sonner le tocsin. Je le fais en conscience. Cette élection doit être un nouveau départ. On ne va quand même pas passer à côté de cet espoir-là!
Propos recueillis par Anna Cabana, Hervé Gattegno et Christine Ollivier
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