La vie chaotique de Camille Pissarro, le premier impressionniste

Trois expositions à Paris et à Pontoise célèbrent le moins connu des impressionnistes. Anarchiste généreux, ce sage à barbe blanche aimait autant peindre la ville que la campagne, du moment qu’il y avait de la vie à mettre dans ses tableaux.

Par Sophie Cachon

Publié le 30 avril 2017 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h10

Cest le patriarche des impressionnistes, en âge comme en peinture. Admiré, respecté mais relégué derrière Manet, Monet ou Degas, comme un ancêtre en bout de table. Camille Pissarro (1830-1903) n’avait pas eu droit à une rétrospective à Paris depuis trente cinq ans. A Paris et à Pontoise, trois expositions rendent un bel hommage à ce peintre autodidacte cultivant son look de métèque, grande barbe et large chapeau.

Une rétrospective à Marmottan

Au musée Marmottan, la rétrospective présente une soixantaine d’œuvres, depuis ses débuts aux Caraïbes jusqu’aux dernières toiles peintes à Paris et à Rouen, sur les bords de la Seine.

On découvre, sur ses premiers tableaux, son île natale de Saint Thomas, à l’époque possession danoise, aujourd’hui rattachée à l’archipel américain des Iles Vierges. Le père de Pissarro, un Français, juif d’origine portugaise, possédait là-bas un commerce prospère de quincaillerie ; sa mère était une créole des Antilles danoises. Pissarro arrive en France en 1842, à l’âge de douze ans, pour ses études puis repart dans les grandes Antilles avant de revenir définitivement en France en 1855, afin de se consacrer à la peinture. 

Professeur de Cézanne et Gauguin

Cet impressionniste de la première heure est le seul à avoir participé aux huit manifestations du groupe, à partir de 1874, et eut un rôle primordial dans la vie du mouvement, toujours partant pour organiser les accrochages et faire se rencontrer les peintres de tous horizons et toutes générations. Pédagogue dans l’âme, Pissarro fut le professeur de Cézanne et de Gauguin, des forts en gueule admiratifs de son inventivité. Même ce dernier, qui ne pouvait pas s’empêcher de le dénigrer, reconnu plus tard l’artiste extraordinaire avec lequel il avait fait ses débuts en peinture, en Normandie.

Avec Degas, Pissarro expérimente des techniques de gravures, que l’on découvre dans l’exposition du musée Tavet-Delacourt à Pontoise. L’amitié entre le peintre des danseuses et Pissarro se brise net avec l’affaire Dreyfus, tout comme avec Renoir. Anarchiste militant — il fait des illustrations pour les revues libertaires —, athé, métisse, polyglotte, Pissarro a toujours gardé le cap de sa peinture libre et vivifiante, un impressionnisme de plein air à l’opposé de tout pittoresque ou tentation commerciale. Grand admirateur de Courbet, il applique à sa peinture la leçon de la sincérité et de la nature du maître d’Ornans. Chez Pissaro, le paysan fauche ou laboure sa terre, sans aucun pathos, la ville fourmille de passants occupés à leurs affaires, ça grouille et ça respire sous sa touche vibrionnante. 

Le diable par la queue

De son vivant, la peinture de Pissarro ne s’est jamais bien vendu, et le peintre, souvent aux abois, a tiré le diable par la queue. Il ne connaîtra le succès que sur le tard, après une vie de galère. Dans les pires périodes, Pissarro était aidé financièrement, et même parfois hébergé, par les amis, notamment Claude Monet, Ludovic Piette ou Gustave Caillebotte. Pour loger leurs huit enfants, le peintre et sa femme vivaient aux environs de Paris, où les locations étaient bon marché, toujours proche d’une gare afin de pouvoir se rendre rapidement dans la capitale voir les marchands et les clients.

Les œuvres de Pissarro déclinent les paysages de ses lieux de résidence successifs, Pontoise, Louveciennes, Osny… On y voit ce qu’il voit dans son quotidien, la rue devant chez lui, la campagne, le village les jours de marché, mais aussi la cheminée fumante d’une usine. Avec les années, le peintre ne perdra rien de son dynamisme, notamment lorsqu’en 1886, il fait la connaissance deux jeunes artistes qui l’entraînent dans leur expérimentation. Georges Seurat et Paul Signac ont 25 ans, Pissarro plus du double, ce qui ne l’empêche pas de se jeter avec enthousiasme — pour quelques temps — dans le pointillisme, une peinture tout en petits points lumineux évoquant des atomes en frictions.

Au Luxembourg, la fin de carrière

L’exposition du musée du Luxembourg, consacrée à la fin de sa vie, avec une centaine d’œuvres, tableaux, dessins et gravures, met le cap sur Eragny, sa dernière demeure. En 1884, Pissarro s’installe dans ce village situé au nord ouest de Paris, près de Gisors. Hasard ou clin d’œil, la rivière Epte qui y coule se jete directement dans la Seine, quelques kilomètres plus au sud, à deux pas de Giverny, l’antre de son ami de toujours, Claude Monet. C’est grâce de ce dernier que Pissarro peut acheter sa maison d'Eragny. Les affaires vont enfin mieux, il gagne suffisamment sa vie pour louer un appartement à Paris et y résider durant l’hiver, peignant de sa fenêtre des vues du Pont Neuf, du Louvre ou de la place Dauphine. Jusqu'au bout, la capitale et la campagne palpitent dans une brume ou une lumière dorée superbes. L'homme à la longue barbe et aux allures de philosophe a bien vieilli, sa peinture aussi.

A voir

Pissarro à Eragny, jusqu’au 9 juillet au musée du Luxembourg à Paris (6e). Tél. : 01 40 13 62 00. Catalogue éd ML/M (210 p., 35 €).

Pissarro, impressions gravées, jusqu’au 11 juin au Musée Tavet-Delacour à Pontoise (95). Tél. : 01 30 38 02 40 Catalogue éd. Somogy (136 p., 23 €).

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