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Interview

Droit de vote des détenus : «Des urnes dans les prisons, un problème de volonté politique»

par Aurore Coulaud
publié le 2 mai 2017 à 12h31

A quelques jours de l’élection du nouveau président de la République, Jean-René Lecerf, président de la commission du livre blanc sur les prisons, rappelle les enjeux du vote des détenus.

Selon vous, voter contribue-t-il à la réinsertion des détenus ?

Ça fait longtemps qu'on le pense. Les détenus ne s'en fichent pas autant qu'on le croit. Permettre de voter, ça rend votre honneur et votre dignité de citoyen, tout en enclenchant une logique de réinsertion. Depuis plusieurs années, les personnes condamnées ne se voient plus retirer de façon automatique ce droit. Certes, la loi pénitentiaire de 2009 [par Michèle Alliot-Marie et Rachida Dati, ndlr] a permis de lever un certain nombre d'obstacles mais pas tous, loin de là. La procuration reste notamment difficile à mettre en œuvre même s'il existe des initiatives intéressantes, avec notamment l'association du Génépi.

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La solution serait donc d’installer des urnes dans les prisons ?

Si on veut une participation correcte dans les centres pénitentiaires, c’est la seule solution et honnêtement, je ne vois pas quel traumatisme ça susciterait pour l’organisation, d’autant qu’il n’y a besoin d’aucun texte, il suffirait d’appliquer la loi de manière compréhensible. C’est donc un problème de volonté politique et si le garde des Sceaux le veut, c’est dans ses possibilités.

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Pour les municipales, ça dérange, car dans certaines communes la population carcérale est plus importante que le reste. Il faudrait donc trouver des dispositions spécifiques pour les élections locales. Après, il est vrai que dans les prisons, l'atmosphère y est difficile. Certains établissements sont de vraies cocottes-minute. C'est sans doute plus difficile à mettre en œuvre dans la maison d'arrêt de Villepinte où il y a plus de 200% d'occupation, plutôt que dans les établissements pour peine où un numerus clausus, de fait, s'applique.

Que faire après la présidentielle ?

Il faut aller vite et il suffit d’appliquer les dispositions législatives en vigueur qui se trouvent dans la loi pénitentiaire. C’est un petit monde qui s’occupe des prisons. Ce sont des questions sur lesquelles les personnalités politiques, de droite comme de gauche, sont du même avis, mais il faut qu’un gouvernement fasse de la prison une grande cause nationale.

Et puis l’attitude de l’opinion n’est pas aussi caricaturale qu’on ne le croit. Il est essentiel d’apporter des explications, et bien leur faire comprendre que les «prisons 4 étoiles» n’existent pas. Lors des débats de 2009, certains aumôniers m’ont confié qu’ils passaient plus de temps à accompagner des détenus aux douches ou ailleurs pour éviter qu’ils ne soient agressés ou violés. Avoir des prisons qui ressemblent à des culs-de-basse-fosse, c’est encourager la récidive.

A l'intérieur, on est confronté à la désespérance. A Béthune, j'ai rencontré trois hommes d'une cinquantaine d'années. C'était des animaux blessés, terrorisés. Ces images sont insupportables et encore plus pour des parlementaires censés porter un certain nombre de valeurs. La prison, ce n'est pas seulement le problème des détenus mais aussi celui de la République, des victimes, bref de la société tout entière. Et comme disait Camus : «On juge une société à l'état de ses prisons.»

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