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Accord Rubik

Entre la Suisse et l'Allemagne, la fin de la paix fiscale ?

L'arrestation en Allemagne d'un espion chargé par la Suisse de surveiller le contrôleur en chef du fisc allemand, met les autorités helvètes dans l'embarras. Les deux pays avaient signé en 2015 un accord sur la fraude.
par Nathalie Versieux, correspondante à Berlin
publié le 2 mai 2017 à 19h35

Peter Beckhoff a reçu vendredi un cadeau plutôt inattendu le jour de son départ en retraite : l’arrestation d’un espion suisse ayant pendant plusieurs années fourni des informations à Berne sur ses activités de contrôleur en chef du fisc de Wuppertal (ouest de l’Allemagne). Bête noire des banquiers suisses, Beckhoff avait fait de la traque de la fraude fiscale le cœur de son activité.

Visiblement, Beckhoff était considéré par l’industrie bancaire helvétique comme suffisamment dangereux pour que Berne lui colle pendant des années un espion sur le dos. Daniel M., ancien policier de 54 ans a été arrêté vendredi par la police allemande dans une chambre de l’hôtel Roomers, non loin du quartier des affaires à Francfort. Dans la matinée, plusieurs appartements et bureaux ont également été perquisitionnés en rapport avec cette affaire. Cette arrestation, très embarrassante pour Berne, survient alors que le calme semblait revenu entre l’Allemagne et la Suisse sur le dossier fiscal.

Vols de données

Petit retour en arrière. En janvier 2006, les autorités allemandes achetaient un CD contenant les données bancaires de riches allemands, volées à une banque du Liechtenstein. Les noms de 800 grosses fortunes figurent sur le fichier, notamment celui de l’ancien patron de Deutsche Telekom. C’est le début d’une longue série de vols de données et les banques suisses – jusqu’alors réputées pour leur strict secret bancaire – particulièrement visées par le fisc allemand, prennent des allures de passoire.

En un peu plus de dix ans, le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW), à l'ouest de l'Allemagne, a acheté à lui seul 11 fichiers volés. Land le plus peuplé d'Allemagne (18 millions d'habitants) et l'un des plus riches (22% du PIB), il est aussi l'un des plus endettés du pays (130 milliards d'euros de dettes). L'achat de CD volés s'avère très lucratif pour cette région dirigée par les sociaux-démocrates et les Verts. «Nous achetons des CD de données car c'est la seule façon de mener la lutte contre l'évasion fiscale», insiste le ministre des Finances du Land, Norbert Walter-Borjans, souvent appelé le «Robin des Bois des contribuables.» Le social-démocrate a fait de la lutte contre la fraude fiscale l'une de ses priorités en politique, soutenu en la matière par le ministre fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble, CDU.

Pour Walter-Borjans, l’achat des CD aura coûté au total 19 millions d’euros à sa région. Mais le retour sur investissement est considérable : 6,3 milliards d’euros d’arriérés d’impôts et de pénalités, versés par les contribuables indélicats qui s’autodénoncent en masse dans l’espoir d’échapper aux poursuites. 23 000 des 120 000 fraudeurs du fisc qui se sont autodénoncés en dix ans viennent de NRW.

Ex-policier

Sur les vols de CD, dès 2010, la Suisse a mené l’enquête pour tenter d’identifier les failles du système. Trois contrôleurs du fisc allemand, dont Peter Beckhoff, soupçonnés faire partie du système, sont placés sous mandat d’arrêt.

C'est là qu'interviennent les services secrets suisses, le SRC. Daniel M. aurait eu pour mission de «faire la lumière sur les procédures de lutte contre l'évasion fiscale, et tout particulièrement sur l'achat des CD volés», selon les explications de son avocat allemand. M. devait notamment fournir à la Confédération la liste des noms des inspecteurs du fisc allemand impliqués dans l'achat de données suisses ainsi que l'organisation des filières d'achat de données bancaires volées.

Selon le quotidien suisse Sonntagsblick, Daniel M. serait un ancien policier ayant ensuite travaillé pour les services de sécurité d'une grande banque suisse. En parallèle, il aurait travaillé comme indépendant pour le SRC. La presse allemande assure de son côté que M. aurait été un agent double, arrêté un temps en 2015 à Berne.

Vieux conflit

L’annonce de l’arrestation de Daniel M. relance un conflit qui semblait enterré entre la République fédérale et la Suisse avec l’accord «Rubik» de mai 2015, qui prévoit l’échange automatique d’informations bancaires entre la Confédération et l’Union européenne, à partir de 2018. Rubik signait la fin du secret bancaire.

Après l'annonce de l'arrestation de Daniel M., Walter-Borjans est remonté au créneau : «Si la Suisse répond en envoyant des espions en Allemagne pour aider les fraudeurs du fisc et les soutiens dont ils disposent du côté des banques, ça ne plaide pas vraiment en faveur du soi-disant changement de mentalité de l'industrie financière suisse» défendu par les autorités helvétiques.

Daniel M. risque en Allemagne une peine de cinq ans de prison. Les activités d’espionnages sont passibles de jusqu’à dix ans d’emprisonnement, dans les cas particulièrement graves.

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