Présidentielle : en 2017, la télé joue encore le rôle d'arbitre des élections

De nombreux débats, retransmissions de meeting, émissions politiques : sur toutes les chaînes, les candidats ont été écoutés, cuisinés... et ont pu exposer leur programme en direct. Concurrencée par Internet, la télévision joue toujours un rôle central dans la campagne présidentielle.

Par Marie Cailletet, François Ekchajzer, Virginie Félix, Emilie Gavoille, Hélène Rochette Xavier Thomann

Publié le 03 mai 2017 à 07h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h12

La messe était dite. A l'heure d'Internet, la campagne présidentielle 2017 allait se jouer sur les réseaux sociaux et YouTube. Remisée la télé et ses face-à-face empesés qui fleuraient bon la naphtaline, place à l'interaction, aux petites phrases en 140 signes et aux débats entre vraies gens.

Un pronostic de mort annoncée déjoué au fil des mois, tant la place de la télévision s'est révélée déterminante dans l'organisation et la structuration de la campagne. Depuis septembre 2016, pas moins de onze débats ont occupé nos soirées de longues heures durant. Si on peut s'interroger sur les dispositifs adoptés par les chaînes, rester frustré par des interventions trop lapidaires des candidats pour autoriser le développement d'un raisonnement, on doit aussi admettre que ces temps forts ont été très suivis (4 à 10 millions de téléspectateurs) et ont parfois permis de relancer des dynamiques atones et de faire découvrir des candidats que les Français ne connaissaient pas : Philippe Poutou, Nathalie Artaud, François Asselineau, Jean Lassalle et Jacques Cheminade.

Il y eut aussi L'émission politique, sur France 2, qui, très vite, s'imposa comme un passage obligé, en dépit de son goût prononcé pour le clash, faisant parfois de l'ombre à la confrontation des idées. Reportage en « terrain a priori hostile » à l'invité, contradicteur mystère détonnant, interviews moins révérencieuses qu'à l'ordinaire relayant les investigations de Mediapart et du Canard enchaîné sur les « affaires » Fillon ou Le Pen... ont rendu possibles, par instants, des moments de vérité.

Troisième débat de la primaire de la droite et du centre, sur France 2, le 17 novembre 2016.

Troisième débat de la primaire de la droite et du centre, sur France 2, le 17 novembre 2016. Photo : Laurent Hazgui / french-politics.com

Autres acteurs de cette joute présidentielle : les chaînes d'info en continu, BFMTV en tête, qui a consacré deux tiers de sa grille à la politique en surfant sur les rebondissements successifs de la campagne pour relancer toujours l'intérêt du spectateur. Qui a oublié la conférence de presse de François Fillon annonçant sa mise en examen, ou celle d'Alain Juppé exprimant son refus définitif d'être le plan B ? Mais, au-delà de cette spectacularisation du politique, la chaîne a aussi retransmis en intégralité nombre de meetings, laissant ainsi le temps aux spectateurs de saisir l'argumentaire dans la durée.

Alors, fini la place centrale de la télévision dans les campagnes présidentielles ? Pas cette fois-ci en tout cas. Soumise à la réactivité des réseaux sociaux et surfant sur une élection riche en rebondissements, elle a joué à plein sa partition, renouvelé (un peu) ses modes de traitement, et s'est ouverte (enfin) aux exigences de transparence et de démocratie des citoyens. C'est ce dont témoignent les chercheurs, éditorialistes, documentaristes et réalisateurs que nous avons rencontrés.

Une campagne scénarisée ?

Isabelle Czajka

Cinéaste et scénariste, elle a réalisé la fiction Tuer un homme, où elle scrutait la dislocation d'un couple de petits commerçants laminé par la peur et la montée de l'extrême droite.

« La façon de raconter la politique, la retransmission des meetings, les débats... tout est filmé aujourd'hui comme une série télé ! On fait de la dramaturgie avec l'information ! La campagne n'échappe pas à la règle. J'ai vraiment eu le sentiment de suivre l'affaire Fillon comme une série. Conscients de notre appétit pour le spectacle et les rebondissements, les journalistes perfectionnent la mise en scène. Ils mettent en avant la petite phrase, ils invitent les "bons clients" pour intervenir face aux candidats : France 2 est allée chercher pour L'émission politique des personnalités et des artistes comme Christine Angot, Thierry Marx ou Philippe Torreton !

Le grand débat sur TF1 et France 2, entre Manuel Valls et et benoît Hamon, le 25 janvier 2017.

Le grand débat sur TF1 et France 2, entre Manuel Valls et et benoît Hamon, le 25 janvier 2017. Denis ALLARD/REA

Avec cette tendance à la dramaturgie permanente, il se crée une forme d'attraction ou de répulsion pour tel ou tel. Cela donne le sentiment de voir émerger des héros bien plus que des candidats ! Evidemment, cela n'a plus grand-chose à voir avec une conviction politique ! A l'issue du débat entre les onze postulants, par exemple, celui qui a assuré le meilleur spectacle, Jean-Luc Mélenchon, s'est détaché : il s'est envolé dans les sondages, gonflé par cet emportement narratif. Comme s'il était devenu une sorte de Robin des bois...

Mais celui qui joue le mieux avec cette nouvelle forme de narration, c'est Emmanuel Macron. Au soir du premier tour, il a été le seul candidat à monter sur l'estrade avec sa compagne pour saluer les militants. Il s'est mis en scène : il s'est affiché en position de futur président et a exposé sa femme comme future Première dame. C'est une façon de s'imposer comme un vrai héros devant les caméras ! »

Une réalisation plus audacieuse ?

Tristan Carné

Réalisateur, spécialiste du direct, il a signé la réalisation des deux premiers débats des primaires de la droite et de la gauche, celui qui a réuni les cinq candidats à la présidentielle, le 20 mars sur TF1, et aussi le débat de l'entre-deux-tours.

« La vraie nouveauté de cette élection — et la grande réussite à mes yeux de réalisateur —, c'est la réintroduction des plans de coupe dans ces débats. C'est-à-dire la possibilité de passer un plan d'écoute d'un candidat qui ne parle pas. Ça ne se faisait plus depuis 1981, quand François Mitterrand avait demandé qu'il n'y en ait pas lors du débat face à Valéry Giscard d'Estaing, et c'était resté la règle depuis. Cette fois, lors du tout premier débat de la primaire de la droite, on s'est battus avec Catherine Nayl (directrice de l'information de TF1) pour tordre le cou à cette vieille habitude et remettre ces plans de coupe. Le principe n'a plus ensuite été remis en cause par les candidats lors des débats qui ont suivi. C'est un moyen formidable pour rythmer la réalisation et un élément d'information supplémentaire pour le téléspectateur. Un candidat qui acquiesce, qui dit non de la tête, qui lève les yeux au ciel ou fait une moue dubitative, ce sont des plans qui racontent quelque chose et qui valent parfois bien plus que des mots et des phrases.

Primaire de la droite et du centre : L'émission politique, France 2, le 27 octobre 2016.

Primaire de la droite et du centre : L'émission politique, France 2, le 27 octobre 2016. Photo : ERIC FEFERBERG/AFP

Il a fallu mettre les candidats en confiance, leur dire qu'on n'allait pas diffuser un plan de coupe d'eux quand ils se grattent l'oreille ou regardent leurs fiches (sauf, bien sûr, s'ils passent tout le débat le nez dedans). Et leur expliquer que les plans de coupe pouvaient être pour eux du gain de temps de parole, une manière de montrer s'ils étaient d'accord ou pas avec ce qui était dit par leur adversaire.

Pour le réalisateur, le choix de ces plans doit se faire en une fraction de seconde. Avec le double défi de ne pas rater une expression, une attitude, et de ne pas favoriser ou défavoriser un candidat. J'ai comptabilisé avec ma scripte, lors de chaque débat, le nombre de plans de coupe : chaque candidat a ainsi eu vingt et un plans d'écoute lors du débat à cinq. La neutralité est très importante quand on réalise ces émissions. »

Claire Sécail

Historienne des médias au CNRS, membre du Laboratoire de recherche communication et politique et du groupe d'étude Médias-Election.

« La tendance s'était amorcée en 2012 et s'est encore renforcée cette année : les meetings, retransmis sur les chaînes d'info en continu, sont devenus de véritables programmes télévisuels.

Marine Le Pen lors d'un meeting le 2 avril 2017 à Bordeaux.

Marine Le Pen lors d'un meeting le 2 avril 2017 à Bordeaux. GEORGES GOBET / AFP

Autre innovation majeure, jamais vue sous la Ve République, le débat direct entre tous les candidats. Les commentateurs ont été très critiques sur ce point, mais les téléspectateurs que nous interrogeons dans nos panels ont globalement trouvé ça utile, bien qu'un peu long. Ils disent que cela leur a permis de mieux connaître les candidats et leurs positionnements sur des thèmes précis.

Enfin, la nouvelle séquence de l'invité mystère dans L'émission politique (France 2) est loin d'être neutre. Elle dit comment les journalistes se sont eux-mêmes dépossédés de la critique morale et éthique — dimension pourtant centrale dans cette campagne marquée par les affaires — pour la confier à des tiers : Christine Angot face à François Fillon , François Ruffin face à Emmanuel Macron... »

Débats et émissions ont-ils favorisé un candidat ?

Tristan Carné

« Il est impossible pour une chaîne de télévision de favoriser un candidat lors d'un débat. Il y a trop de pare-feu en régie et ça se verrait tout de suite. C'est en revanche un moment où certains d'entre eux peuvent se révéler, comme Jean-Christophe Poisson, lors du débat de la primaire de droite, ou François Fillon, qui n'était pas alors le favori de la compétition dans son camp. »

Thomas Legrand

Editorialiste politique sur France Inter.

« Les débats ont favorisé ceux qui en maîtrisent les codes et défavorisé ceux qui ont participé aux primaires. La télévision a permis à François Fillon et à Benoît Hamon de briller dans les primaires et d'être élus, mais ils ont dû se dévoiler tôt, ce qui leur a ensuite été préjudiciable. Leurs programmes ont été radiographiés, décortiqués et éreintés pendant des semaines, les privant de toute possibilité de rebondir et de jouer sur l'ambiguïté. Or, comme dirait le cardinal de Retz, l'ambiguïté est une arme essentielle dans une campagne... François Fillon et Benoît Hamon sont arrivés nus face à Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, qui, eux, ont pu naviguer dans un flou plus artistique. »

Jean Massiet

Fondateur de la chaîne Accropolis sur YouTube. 

« La retransmission des principaux meetings n'a profité à aucun candidat. Les meetings ont ceci de particulier qu'on ne regarde pas celui d'un candidat pour lequel on n'a pas l'intention de voter. Contrairement à ce que l'on pense, on ne convainc pas les gens avec un meeting, on convainc surtout ses propres partisans. »

Yves Jeuland

Auteur de documentaires politiques (Paris à tout prix, Un temps de président, Les Gens du Monde...).

« Les débats présidentiels de 1974 et de 1981 ont acquis une valeur historique, alors que je ne me souviens déjà plus de ceux de cette campagne. Leur nombre n'y est sûrement pas étranger. Quant à la scénographie à la Questions pour un champion, elle dévalorise les candidats. On n'imagine pas Giscard ou Mitterrand debout derrière un pupitre. Ni Pompidou entre Lassalle et Asselineau. Et puis le personnel politique d'hier n'était pas sommé de réagir comme celui d'aujourd'hui. A peine le débat terminé, on va chercher les candidats essorés dans les coulisses pour un débrief. »

Des programmes caricaturés ?

Isabelle Czajka

« Le traitement de la campagne s'est fait au détriment du contenu. Moi qui ai suivi bon nombre de débats, je suis incapable de citer un seul point de programme de certains candidats ! Il y a aussi eu des simplifications tendancieuses : la proposition de Benoît Hamon de créer un revenu universel a par exemple été évoquée de manière caricaturale. Je me souviens qu'un journaliste est allé jusqu'à rétorquer au candidat : "Vous allez donc donner 1 000 euros à Mme Bettencourt ?" En début de campagne, cette présentation très orientée du revenu universel a été dévastatrice. Bizarrement, personne n'a interrogé ceux qui souhaitaient supprimer l'ISF sur les largesses que cela représenterait pour la même Mme Bettencourt !

Présentation du programme d'Emmanuel Macron le 2 mars 2017.

Présentation du programme d'Emmanuel Macron le 2 mars 2017. Photo : Stéphane Lagoutte / MYOP

Sur France 2, dans L'émission politique consacrée à Emmanuel Macron, les journalistes avaient convié comme invité surprise François Ruffin, le réalisateur de Merci patron ! C'était bien sûr une façon d'attendre un clash, tout en sachant que la provocation n'irait pas très loin... Il aurait plutôt fallu quelqu'un de beaucoup plus carré pour tenir un discours constructif face à l'ancien ministre. C'est sympa et marrant de brandir un chèque en blanc au CAC 40, sous les yeux du candidat d'En marche !, comme l'a fait Ruffin, en l'invitant à inscrire le montant correspondant aux cadeaux qu'il est supposé faire au patronat s'il était élu... Mais cela demeure une blague de potache ! »

Yves Jeuland

« Le soir du 20 avril, après le dernier débat du premier tour, j'ai voulu écouter les commentaires qu'il pouvait susciter. J'ai eu beau zapper de LCI à franceinfo, de BFMTV à CNews, toutes étaient concentrées sur l'attentat des Champs-Elysées et montraient le même plan fixe de gyrophare. Y avait-il vraiment besoin que les quatre chaînes info débraient, surtout pour ne rien dire et ne rien montrer ? Qu'aucune ne choisisse de revenir sur le débat qui venait d'avoir lieu et qui, pour elles, n'existait visiblement déjà plus ? Cela me semble symptomatique de cette campagne, marquée par une obsession du direct qui amène à ne s'arrêter sur rien, une info chassant l'autre. »

La neutralité : mission impossible ?

Thomas Legrand

« Il y a une sorte de biais. Pour avoir une lecture qui paraît le plus neutre possible, on ne se demande pas quel est le meilleur programme mais si le programme dont on est en train de parler est réalisable. Ce questionnement renvoie au financement du programme et donc à son chiffrage, ce qui est éminemment compliqué et toujours contestable. Le chiffrage, c'est le monétarisme, et donc quelque chose d'essence forcément un peu libérale. En voulant dépolitiser, d'une certaine façon, on politise. Il est donc compliqué d'être neutre, d'autant plus qu'en économie apparaître neutre ou apolitique c'est sembler mainstream et libéral. »

Benjamin Carle

Documentariste, auteur de Comment gagner une élection présidentielle en quatre étapes (Planète+).

« Cette campagne a permis d'acter que plusieurs visions de l'économie pouvaient coexister. Face au journaliste François Lenglet, on a pu observer des candidats qui avaient les armes pour répondre et lui dire "ça c'est votre vision de l'économie, moi j'en ai une autre". L'économie, les graphiques, la vision froide représentée par ce grand monsieur sans cheveux, ne pouvait plus être présentée comme une vérité définitive. La place accordée aux chiffres dans le débat politique a d'ailleurs régressé, alors qu'elle avait été très importante en 2007 et relativement présente en 2012. »

Lire aussi : Revue Télévision no 8 : Les mutations télévisées des campagnes électorales, sous la direction de François Jost, CNRS éditions, 25 €.

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