Accéder au contenu principal
POLITIQUE

Neuf millions d’euros : le prix du FN pour soutenir la diplomatie russe en Ukraine

Selon le site d'investigation Mediapart, le prêt de neuf millions d'euros contracté en 2014 par le FN auprès d'une banque russe aurait eu une contrepartie politique : des prises de position pro-russes dans le conflit ukrainien.

L'eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser en compagnie de Marine Le Pen à Strasbourg, en mars 2014.
L'eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser en compagnie de Marine Le Pen à Strasbourg, en mars 2014. Patrick Hertzog, AFP
Publicité

Le Front national, "parti de l'anti-France" ? L'ironie serait piquante. Le site d'investigation Mediapart révèle, mardi 2 mai, que certaines prises de position du Front national (FN) lors du conflit ukrainien auraient été monnayées en échange du prêt accordé au parti en 2014 par une banque russe.

L'enquête, menée conjointement avec le média letton Re:Baltica, révèle les coulisses de cet emprunt de neuf millions d'euros, destiné principalement à financer la campagne du parti pour les départementales de 2015.

Le site d'investigation met en lumière le rôle-clé joué par l'eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser dans ces négociations. Ancien consultant passé par Auchan, Dassault et Total, il a été débauché par le parti frontiste en 2012, offrant au passage un carnet d'adresses fourni dans les pays de l'ex-URSS. Aujourd'hui membre l'équipe de campagne de Marine Le Pen, il a été le principal interlocuteur auprès des Russes pour le prêt.

Depuis 2014, le Front national le répète à qui veut l'entendre : aucune banque française ne souhaite lui prêter de l'argent. Marine Le Pen le reconnaissait elle-même en octobre 2014 dans une interview à l'Obs : "Notre parti a demandé des prêts à toutes les banques françaises, mais aucune n’a accepté. Nous avons donc sollicité plusieurs établissements à l’étranger, aux États-Unis, en Espagne et, oui, en Russie." C'est finalement dans ce dernier pays que le parti d’extrême droite décrochera son financement comme le révèle, déjà l'époque, Mediapart.

Une enquête préliminaire est ouverte

La nouvelle enquête de Mediapart dévoile aujourd'hui le rôle joué par l'Académie européenne, une fondation dirigée par Jean-Luc Schaffhauser, qui œuvre au rapprochement avec la Russie. Le 29 juin 2014, l'eurodéputé frontiste réunit le conseil d'administration de sa fondation avec à l'ordre du jour l'admission de deux Russes au sein de l'institution : Mikhail Plisyuk et Alexander Vorobyev, deux personnages influents, proches des milieux de l’armée.

Mais le procès-verbal du conseil d’administration obtenu et publié mardi 2 mai par Mediapart révèle la présence d'un autre sujet à l'ordre du jour : "l'octroi d'un prêt au Front national sur autorisation du Conseil de surveillance". Un emprunt du montant de 10,56 millions d'euros – commissions et intérêts compris, précise le compte-rendu – et dont les subventions publiques du FN entre 2015 et 2019 seraient apportées en garantie. D'après un témoin de cette réunion cité par Mediapart, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, se serait entretenu en privé avec Jean-Luc Schaffhauser, Mikhail Plisyuk et Alexander Vorobyev.

Finalement, l'argent dont avait besoin le FN aura transité par un autre canal. Le 11 septembre 2014, le parti décroche un prêt de neuf millions d'euros auprès de la banque russe FRCB (First Cezch Russian Bank). Pourquoi avoir changé son fusil d'épaule et ne plus faire appel à l'Académie européenne ? Ni Marine Le Pen, ni Wallerand de Saint-Just, ni Jean-Luc Schaffhauser n'ont répondu aux questions de Mediapart sur ce sujet. Le média évoque l'hypothèse d'un montage financier destiné à cacher l'origine russe de l'argent.

Toujours est-il que l'eurodéputé frontiste a reconnu en 2014 avoir touché une commission de "140 000 euros" par la banque russe pour son rôle d'entremetteur. Ainsi, si le prêt ne passe plus par sa fondation, l'eurodéputé en est resté l'intermédiaire. Selon les informations de Mediapart, une enquête préliminaire a été ouverte en février 2016 à ce sujet par le Parquet national financier suite à un signalement de Tracfin, la cellule anti-blanchiment de Bercy.

Influence politique russe sur les positions du FN

L'octroi de ce prêt appelle une autre question : y a-t-il eu une contrepartie politique aux financements russes ? Plusieurs emails publiés par Mediapart semblent l'indiquer. Ils démontrent que les deux interlocuteurs de Schaffauser, Mikhail Plisyuk et Alexander Vorobyev, ont eu une influence directe sur certaines prises de position du Front national au sujet de l'Ukraine.

Le tweet ci-dessous, publié par Marine Turchi, une des journalistes à l'origine de l'enquête, montre un de ces emails. Le 2 juillet 2014, Alexander Vorobyev transmet à Jean-Luc Schaffhauser un "exemple de déclaration" sur la situation en Ukraine, que l’eurodéputé transfère à Marine Le Pen sur son email personnel. Trois heures plus tard, Schaffhauser explique, dans un autre courriel, que "Marine est prête à envoyer un communiqué à Reuter" (sic) et qu’"il faut lui en préparer [un] qu’elle finalisera et m’en donner copie".

S'il n'est pas avéré que Marine Le Pen ait donné suite à cet email, Jean-Luc Schaffhauser reprendra lui les positions de ce communiqué lors de sa première intervention en séance plénière au Parlement européen, le 17 juillet 2014. L'intervention avait été transmise à Marine Le Pen pour validation mais aussi… à Mikhail Plisyuk.

Le 22 juillet de la même année, l'eurodéputé frontiste participe à un "dîner-débat" à Bruxelles avec son camarade russe. L'intitulé est évocateur : "Ukraine, information et désinformation mais réelle guerre civile en Europe : que peuvent faire les députés européens ?" Le 30 octobre, il s'envole pour le Donbass, en Ukraine, un déplacement encore une fois préparé par Mikhail Plisyuk et visant à offrir une légitimité aux élections organisées dans ce petit État autoproclamé, en s'alignant sur les positions du Kremlin.

Les positions pro-russes du Front national ne sont pas nouvelles. Elles s'inscrivent dans la tradition diplomatique du parti depuis la chute de l'URSS. Toutefois, la formation d’extrême droite semble avoir amplifié son lobby en faveur du pouvoir russe depuis l'arrivée à tête du parti de Marine Le Pen, en 2011. Se démarquant singulièrement de ses concurrents politiques, la dirigeante frontiste prône le dialogue et la coopération avec Vladimir Poutine.

Une volonté affichée qui a donné lieu à plusieurs déplacements de Marine Le Pen en Russie. Lors du dernier en date, le 24 mars 2017, celle-ci a même reçu les honneurs d'une rencontre officielle avec le président russe Vladimir Poutine. Une rencontre qui n'avait pas manqué d'attiser les craintes d'une ingérence de Moscou dans la campagne présidentielle française.

Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine

Emportez l'actualité internationale partout avec vous ! Téléchargez l'application France 24

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.