Marine,

Si je t’invective par ton prénom, c’est pour mieux parler de femme à femme, les yeux dans les yeux, sans protocole.

Il y a urgence…

Tu nous as toujours trouvées sur ton chemin pour dénoncer tes mensonges et tes manipulations.

Nous sommes ta bête noire, tes harpies obscènes, le cauchemar de ton service de comm’… A chacun de tes rassemblements, ton service d’ordre est sur les dents. Il nous guette, nous cherche.

Mais à chaque fois, il est mis en échec.

Oui, nous interférons dans tes discours, court-circuitons ta campagne, intervenons toujours là où tu ne nous y attends pas !

Tu nous hais parce que nous t’interrompons, nous te faisons barrage symboliquement. Mieux : nous te ridiculisons.

Rappelle-toi, ce 1er mai 2015, alors que tu allais déposer une gerbe de fleurs aux pieds de la statue de Jeanne d’Arc et que l’une de nous a surgi ; ou encore, pendant ton discours place de l’Opéra, lorsque nous avons fait irruption sur un balcon et t’avons singée, le torse bardé d’un « Heil Le Pen », une perruque blonde ridicule sur la tête, et la lèvre barrée d’une moustache hitlérienne.

Nous étions aussi là, à Fougères en octobre 2013, pour t’enjoindre à te repentir, mais aussi ce 23 février 2017 pour dénoncer ton féminisme fictif lors d’une conférence de presse, et encore le 17 avril pendant ton meeting au Zénith, où nous sommes parvenues à arriver face à toi sur scène en trompant la vigilance de ta garde rapprochée.

Souviens-toi, à chacun de tes votes à Hénin-Beaumont, nous t’avons fait une petite visite. Pour les européennes, nous étions habillées en infirmières prêtes à inoculer un vaccin antifasciste, pour les législatives nous étions en « marinettes » et, tout dernièrement, pour la présidentielle, nous avons fait une arrivée très remarquée dans une limousine blanche.

Cette fois-ci, Marine, nous étions ta team, là pour t’escorter jusqu’à ton bureau de vote sur l’air de « We Are Family », avec les masques de Poutine, Trump, Assad, Farage, et ton propre père.

Nous avons mené cette action pour qu’au moment de mettre leurs bulletins dans l’urne, les Françaises et les Français se souviennent de qui sont tes alliés crapuleux et de ce que tu représentes vraiment.

Marine, tu nous juges radicales, mieux : hystériques.

Mais nos actions ne sont radicales que pour ceux et celles qui pensent que des femmes qui s’expriment haut et fort sont radicales, que pour ceux qui estiment qu’une femme qui utilise son corps comme étendard est radicale.

Nous sommes des activistes engagées mais aussi ce petit caillou dans ta chaussure qui gêne ta marche, qui t’oblige à t’arrêter aussi sur ton chemin, qui te gêne, t’insupporte.

Et ce caillou porte un nom : le féminisme.

Parce que tout ce que nous faisons, en réalité, c’est d’apparaître pacifiquement seins nus, le torse peint d’un slogan à l’acrylique.

Le reste n’est que vos réactions à nos actions.

Et c’est lorsque les masques tombent que le FN montre enfin son vrai visage !

Marine, dimanche dernier, avec 6 masques grotesques, 6 activistes, une voiture de luxe, une mise en scène satirique, des petits drapeaux, un photographe assermenté, nous avons montré comment questionner démocratiquement la liberté d’expression en terrain frontiste. Après nous avoir violemment interpellées à Le Penistan, avoir multiplié les chefs d’accusation, nous avoir accusées arbitrairement de rébellion (coups sur agents) et nous avoir gardées 36h en garde à vue, la police n’a trouvé aucune preuve vidéo pour nous inculper malgré les plaintes et allégations mensongères de certains collègues.

Le procureur a quand même réussi à nous accuser, en plus de l’exhibition sexuelle, d’avoir menacé le vote par « clameur, menaces, et rassemblement ».

Marine, nous tenons tout de même à faire un petit point, même si nous savons, entre nous, que tout cela n’est que menaces et intimidations destinées à nous faire taire.

Pour le rassemblement : nous étions 6 et quand nous sommes arrivées en limousine, nous avons été arrêtées loin du bureau de vote ! Sur place, il y avait une marée de journalistes, de flics et de militants. La clameur était, elle, étouffée par nos masques. Quant à la menace : nous ne verrons plus jamais nos deux seins de la même façon !

Marine, nous ne croyons pas que nous Femen puissions réellement changer le vote des électeurs FN par nos actions. Nous contribuons simplement au débat public en usant de notre liberté d’expression, nous essayons de dire des choses qui ne sont pas dites, ou de les dire plus fort quand elles ne sont pas entendues.

Marine, moi aussi je suis mère.

Après ma garde à vue lundi, quand je suis rentrée chez moi, ma fille, après s’être jetée dans mes bras, m’a dit ceci :

– Maman, tu sais, dimanche après les résultats du vote, je suis sortie pour aller acheter à manger avec papa. Tu sais ce qui m’a le plus attristée ?

– Non… Ma garde à vue ?, lui ai-je répondu.

– Pas du tout, l’absence de réaction ! Dans la rue, tout était normal. Personne n’avait l’air choqué que Marine Le Pen soit présente au second tour ! Je n’ai entendu aucune clameur, aucune révolte ! Et ça m’a rendue profondément triste. Même ceux qui crient se sont tus !

Eh oui ! Nous sommes sûres que la plus grande menace en temps de crise politique c’est de garder le silence. Une société passive, frappée de mutisme, est une société qui est malade.

Nous, activistes FEMEN, nous tentons coûte que coûte, de le briser, ce silence.

Aujourd’hui, parce que tu es au second tour, nous exhortons plus que jamais les gens à « faire leur FEMEN ».

Parce que Marine, faire sa FEMEN, c’est tout ce que tu détestes, c’est un état d’esprit avec pour racine un refus, pour cime une rébellion symbolique.

C’est refuser toutes les discriminations.

C’est réclamer sans complexe l’égalité parfaite, inconditionnelle, a-confessionnelle, internationale. Faire sa FEMEN, c’est être une extrémiste de l’égalité.

C’est refuser que l’inégalité soit culture, la domination sacrée, la violence tradition, la liberté d’expression bafouée, la laïcité piétinée.

C’est remettre les choses à leur place, ne pas avoir peur d’être provocante.

C’est voir, c’est prendre le parti des femmes et des discriminés avec résolution et acharnement.

C’est surtout ne jamais lâcher le morceau, être une teigne et fière de l’être et savoir qu’un jour le temps nous donnera raison.

Faire sa FEMEN c’est inventer ses règles du jeu, et ses modes d’actions, sans permission, être créative, vive, attentive, et réactive.

Ce n’est pas défiler comme tu le clames, Marine, « à poil dans la rue pour faire le buzz ». C’est avoir des idées et les défendre avec imagination, engagement, humour, gravité, impertinence à tout âge, la fleur non pas au fusil mais sur la tête, pleine d’espoir.

D’ailleurs si un énorme nuage a assombri notre pays depuis le 23 avril, nous sommes persuadées qu’il ne nous tombera pas sur la tête le 7 mai. Nous le savons, le peuple républicain te fera front !


L’intervention de Sophia et de Fleur des FEMEN lors du Forum 28 contre Marine Le Pen à la Maison de la Chimie.