Sur le marché de Béthune (Pas-de-Calais), le 24 avril 2017.

Sur le marché de Béthune (Pas-de-Calais), le 24 avril 2017.

Alexandre Sulzer/L'Express

Discrètement, au bout du marché de Béthune, les policiers se regroupent, quelques élus FN sont visibles. En ce lundi matin, le premier jour de l'entre-deux-tours, Marine Le Pen doit "faire le marché" de la ville pas-de-calaisienne où, la veille, elle a viré largement en tête avec 27,76% des voix. Le bruit commence à courir sur la Grand'Place, dominée par l'imposant beffroi du XIVe siècle.

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Quelques journalistes au courant sont là. Une poignée. Mais trop au goût de la présidente du FN qui subitement annule. Dans un drôle de cache-cache avec la presse, elle veut strictement contrôler quels médias peuvent la suivre. Eviter ainsi l'effet de meute et mettre en scène une candidate au contact direct du "peuple" au nom duquel elle entend parler. Direction Rouvroy, à deux pas d'Hénin-Beaumont où elle a déjà passé la soirée électorale la veille.

"On est gouverné par l'oligarchie"

Sur place, à Béthune, son photographe personnel, accompagné de Jacques Olivier, le frère jumeau de son beau-frère, n'apprend le changement de programme qu'une fois le dispositif policier levé. Sur les étals, la déception pointe.

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Difficile de rencontrer un commerçant ou un habitant qui ne se réjouisse pas de la présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. "Les politiciens l'ont bien cherché, ils se sont tiré une balle dans le pied tout seul", sourit Michel, un ouvrier de 53 ans. Lui a voté FN pour la deuxième fois de sa vie, pour "secouer le cocotier". "Je ne la veux pas vraiment au pouvoir mais faut essayer quand même", confie-t-il, déçu de ne pas la "voir en vrai. Elle peut gagner. Vu tout ce qui s'est passé, pourquoi pas? Tous les favoris sont éliminés les uns après les autres."

Affiches électorales sur la Grand'Place de Béthune.

Affiches électorales sur la Grand'Place de Béthune.

© / Alexandre Sulzer/L'Express

Enzo, 17 vend du fil et des aiguilles. Il assure que la politique ne l'intéresse pas. Pour autant, si Le Pen gagne, c'est "tant mieux, ça fera une femme présidente". Quelques dizaines de mètres plus loin, Franck, 50 ans, qui vend des bijoux, a un avis beaucoup plus tranché. "Droite-gauche, gauche-droite depuis 30 ans, ça suffit! On est gouverné par l'oligarchie", se plaint-il. Il voit en Emmanuel Macron le "poulain de Hollande". "Tout ça, ce sont les merdias. Macron est médiatisé à donf'", éructe le vendeur qui, très vite, cite en référence le polémiste antisémite Alain Soral. Pour autant, il ne croit pas en une victoire de Marine Le Pen: "Toute la voyoucratie sera là pour donner à manger aux moutons que nous sommes..."

"On inculque la peur de Le Pen pour l'écarter"

Sur le trottoir en face, Julien 51 ans, partage un avis proche. Lui a voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour et votera Marine Le Pen au second. "Avant internet, on pouvait nous manipuler. Mais maintenant, on comprend les choses. Notre cerveau fonctionne mieux..."

Pour autant, ce vendeur de vêtements féminins ne croit pas en sa victoire. "Quoi qu'il se passe, ça ne sera pas elle." Pourquoi? "Ils ont décidé au dîner du Crif, c'est le pouvoir de la finance, Macron, le valet de Tel-Aviv", lâche-t-il, les dents serrés. "C'est tout à fait ça..." le coupe Florence, en hochant la tête. Cette vendeuse de babioles féminines a voté Benoît Hamon et votera blanc au second tour. "Socialiste", elle ne veut pas voter pour le FN, mais ne semble pas résignée à voter Macron, dont elle pense qu'il est le fruit d'un complot.

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"Je ne pense pas qu'elle puisse gagner", regrette Julo, un ancien chaudronnier à la retraite. "Hier, tout ce qui est droite -Juppé, Fillon, Sarko, toute la bande- se sont défalqués sur Macron. Ils sont de droite pourtant. Donc ils devraient appeler à voter extrême-droite, regrette-t-il. Tout ça, c'est une forme de franc-maçonnerie". D'après lui, on "inculque la peur de Le Pen pour l'écarter".

"Si c'est Marine, il y aura la guerre..."

"Ce n'est pas normal qu'on lui barre la route, abonde sa belle-soeur, Claudette, une ancienne auxiliaire de vie de 69 ans. Les gens en ont marre..." Si elle avait croisé Marine Le Pen ce matin à Béthune, elle lui aurait demandé d'augmenter les "petites retraites". Elle touche une pension de 800 euros "après avoir travaillé de 14 ans à 62 ans". "C'est pour le pouvoir d'achat que l'on doit essayer Marine, mais pas que, reprend Julo. Il y a aussi l'instruction civique. C'est parce qu'il n'y en a plus qu'on est devenu raciste", concède-t-il. Avant de demander que "les musulmans s'habillent comme nous".

Seule voix légèrement dissonante, Aline, une retraitée de 70 ans. "Macron et Le Pen ne valent pas mieux l'un que l'autre", soupire cette ancienne aide-soignante, qui a voté blanc au premier tour. "Si c'est Marine Le Pen qui gagne, il y aura la guerre", craint-elle. Elle n'ira pas pour autant voter au second tour. "Si je l'avais croisée ce matin, je lui aurais quand même dit bonne chance..."

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