“De moins en moins de dirigeants défendent la liberté de la presse dans le monde”

La Journée mondiale de la liberté de la presse a lieu ce 3 mai. Pour Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, la situation est plus difficile que l’année dernière.

Par Richard Sénéjoux

Publié le 03 mai 2017 à 12h50

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h12

A l’occasion de la Journée mondiale pour la liberté de la presse qui a lieu ce mercredi 3 mai, le secrétaire général de Reporters sans frontières Christophe Deloire revient sur l’année écoulée, qui a vu les attaques contre les médias se banaliser y compris dans les démocraties et des dirigeants de moins en moins préoccupé par la liberté d'informer.

Vous avez publié la semaine dernière votre classement annuel de la liberté de la presse dans le monde. La situation a-t-elle beaucoup évolué par rapport à 2016 ?

Globalement, la situation est plus difficile que l’année dernière, notre indice global n’a jamais été aussi élevé et marque une nouvelle récession dans le monde. Ce qui est très préoccupant, c’est que ce recul commence à toucher certaines démocraties pivots sur la question de la liberté de la presse, en Amérique du Nord et en Europe. Je rappelle que Donald Trump considère quand même que les journalistes figurent « parmi les êtres humains les plus malhonnêtes du monde », les accusant de propager volontairement des « fake news ». Quand il dit que Kim Jong-un est « un petit malin » ou qu’il invite à la Maison Blanche le président des Philippines, cela renforce tous les autres potentats dans le monde et leur redonne une légitimité. Le Canada et le Royaume-Uni ont fait voter des lois qui élargissent les pouvoirs de surveillance. Au Québec, six journalistes ont appris qu'ils avaient été mis sur écoute pour tenter d’identifier leurs sources ! Bref, de moins en moins de dirigeants défendent la liberté de la presse dans le monde.

Quels sont les pays européens où la situation s’est le plus dégradée ?

En quelques mois, la Turquie a totalement basculé du côté des régimes autoritaires. Les lois anti-terroristes qui ont été adoptées font que toute parole critique envers Erdogan est considéré comme ennemie. Ce pays est devenu la plus grande prison au monde pour les journalistes, plus de cent y sont emprisonnés ! Aujourd’hui, il n’y a plus de télévisions indépendantes, et il ne reste que deux journaux libres, Cumhuriyet et Hürriyet.  

En Pologne, le pouvoir de Jaroslaw Kaczynski a transformé la télévision publique en télévision d’Etat, alors que ce pays était plutôt en pointe parmi les démocraties en Europe. Et aujourd’hui, le parti s’en prend aux médias privés. On arrive progressivement à une situation à la hongroise, où Viktor Orban règne en maître. Deux régimes qui en passant présentent une forte proximité idéologique avec le Front national en France. Sans être alarmiste à l’excès, on voit bien que les choses peuvent aller  très vite.

“On est loin de la critique démocratique des médias, la situation est ultra-tendue”

En France, une trentaine de sociétés de journalistes (dont celle de Télérama) dénoncent justement les pratiques du Front National, qui « fait le tri » parmi ceux qui suivent la campagne de leur candidate. Certains médias, comme Mediapart ou Quotidien (TMC), sont même déclarés persona non grata. Plutôt inquiétant, non ?

C’est évidemment une bonne chose que les journalistes participent eux-mêmes à la défense de la liberté de la presse. Même si la France remonte de quelques places dans notre classement (39e vs. 44e en 2016), la situation demeure préoccupante – cette remontée est essentiellement mécanique puisqu’on avait connu une chute exceptionnelle en 2015 avec la tuerie de Charlie Hebdo. Pendant la campagne, on a assisté à des violences physiques et verbales de la part du FN, mais aussi des Républicains. François Fillon a fait huer la presse pendant ses meetings, on a vu la réaction de certains de ses partisans le soir de sa non-qualification pour le deuxième tour. On est loin de la critique démocratique des médias, la situation est ultra-tendue. Et il ne faut surtout pas s’y habituer.   

La Journée mondiale de la liberté de la presse a lieu aujourd'hui 3 mai. RSF a-t-il prévu des événements particuliers ?

A quelques jours du second tour de la présidentielle, nous faisons visiter ce matin à 10h30 au secrétaire général d'En Marche !, Richard Ferrand, la Maison des journalistes, ce lieu unique qui accueille à Paris des professionnels en exil car ils risquent leur vie en exerçant leur métier dans leur pays. Nous lançons aussi une série de petits films où des journalistes racontent comment la situation s’est progressivement détériorée chez eux (Burundi, Ouzbékistan, Azerbaidjan...) pour aboutir, au final, à des atteintes durables à la liberté d’informer.

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