Débat : "Marine Le Pen a saboté sa propre stratégie de dédiabolisation"

Débat : "Marine Le Pen a saboté sa propre stratégie de dédiabolisation"
Marine Le Pen lors du débat de l'entre-deux-tours face à Emmanuel Macron, le 3 mai 2017. (STRINGER/AFP)

Chercheuse associée au Cevipof, Cécile Alduy décrypte le débat de l'entre-deux-tours. Interview.

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Invectives, insinuations et même quelques insultes... Les deux heures et demie de débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, mercredi soir 3 mai, se sont révélées tumultueuses. Décryptage de ce duel de l'entre-deux-tours de la présidentielle 2017 avec Cécile Alduy, professeure de littérature à l’université Stanford, chercheuse associée au Cevipof, auteure de "Ce qu’ils disent vraiment. Les politiques pris aux mots" (Seuil, 2017).

Le Pen face à Macron : ce qu'il faut retenir d'un débat tumultueuxMarine Le Pen a attaqué Emmanuel Macron d'entrée, mercredi soir, et s'est montrée particulièrement offensive tout au long du débat. Une stratégie payante ?

J'ai été frappée, lors de ce débat, par l'incapacité de Marine Le Pen à contrôler sa parole, que ce soit au niveau du ton comme du registre. Jusqu'à présent, Marine Le Pen avait toujours très bien su se taire quand il le fallait, pour éviter les polémiques et ne pas abîmer son image. Elle s'était même imposée une diète médiatique en 2016 pour polir sa candidature...

Mercredi soir, ce qui est très surprenant, c'est qu'elle a fait tout l'inverse de ce qu'elle fait habituellement. En attaquant son rival sans cesse, dans des termes parfois très violents et avec un certain manque de spontanéité, elle est vite tombée dans une forme de surenchère. En restant dans le registre des invectives permanentes, elle n'est jamais parvenue à développer un argumentaire clair, précis. Surtout, focalisée uniquement sur Emmanuel Macron, elle n'a pas parlé de son programme, y compris des mesures qui peuvent à première vue paraître alléchantes pour de nombreux Français comme la baisse des impôts.

C'est comme si elle était sur le plateau non pour débattre et convaincre mais uniquement pour attaquer voire diffamer. Or un débat d'entre-deux-tours est avant tout censé permettre aux candidats de se présidentialiser, de prendre de la hauteur et de se crédibiliser pour rassembler le plus largement possible. Elle n'a clairement pas marqué des points sur le terrain de la crédibilité lors de ce débat tant elle s'est montrée confuse. Or c'était bien l'un des principaux enjeux de la soirée. Car il lui fallait gagner des points en la matière pour espérer séduire une partie de l'électorat de droite d'ici dimanche.

Quels sont les mots de la candidate d'extrême droite qui vous ont le plus frappée ?

Plus que les mots, c'est vraiment le registre et le ton adoptés par Marine Le Pen qui ont été très étonnants lors de ce duel. Mais un mot m'a particulièrement marqué, c'est l'expression "Europe à la schlague" qu'elle a lâchée dans les toutes dernières minutes du débat alors qu'Emmanuel Macron parlait. C'est, il me semble, un dérapage à la Jean-Marie Le Pen. Alors que ce débat est censé être un moment un peu solennel, Marine Le Pen a joué ici sur les allusions à la Seconde Guerre mondiale...

Au fait, qu’est-ce que la "schlague" évoquée par Marine Le Pen ?

Est-ce le signe qu'elle a peu à peu perdu le contrôle dans ce débat ? C'est en tout cas assez révélateur de sa contre-performance. En affichant une agressivité quasi permanente, elle a saboté sa propre stratégie de dédiabolisation. Cela fait maintenant des années qu'elle cherche à modérer son image. Elle a fait campagne sur son nom, en gommant autant que possible l'étiquette FN, et depuis le premier tour, elle fait en sorte de se construire une image de rassembleuse, en faisant alliance avec Nicolas Dupont-Aignan. Alors qu'elle était assez bien parvenue à prendre un peu de hauteur lors des débats précédents, elle s'est montrée incapable, mercredi soir, de s'élever, de se présidentialiser à un moment où c'est pourtant ce que l'on attend des candidats.

Emmanuel Macron est-il parvenu, lui, à se présidentialiser ?

Dans ce débat, le cafouillage a été permanent. Ce fut même parfois assez chaotique. Mais le contraste entre les deux candidats était néanmoins assez saisissant. Emmanuel Macron était celui qui avait le plus à perdre mercredi soir. Parce qu'il est annoncé comme le grand favori du scrutin, mais aussi parce qu'il s'agit d'un candidat avec de possibles fragilités. Il serait trop jeune, trop inexpérimenté, trop naïf, trop laxiste sur le régalien, trop flou... Alors que Marine Le Pen est tombée dans la surenchère et a sur-investi le terrain de l'émotion, lui est parvenu, durant ce duel, à sortir de son registre habituel pour gagner en hauteur et camper le personnage de chef de l'Etat.

On l'a assez peu entendu miser sur les émotions positives comme il le fait habituellement dans ses meetings. Il a cette fois-ci tenu des propos plus structurés, et surtout plus précis que sa rivale. Le danger, pour lui, était d'apparaître comme arrogant. Sur ce point, il s'en assez bien tiré. Pédagogue, il a su pointer les failles de son adversaire en illustrant son argumentaire et ses démonstrations par des exemples concrets. Marine Le Pen était venue pour attaquer, lui pour expliquer.

Propos recueillis par Sébastien Billard

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