INTERVIEWLa banlieue, «un sujet considéré comme dangereux par les hommes politique»

Les banlieues, «un sujet considéré comme dangereux par les hommes politiques»

INTERVIEWPourquoi les banlieues ont occupé si peu de place dans le débat présidentiel. Eléments de réponse avec Michel Kokoreff, sociologue spécialiste des banlieues, professeur à l'université Paris 8...
Une barre HLM à Sarcelles photographiée en juillet 2014.
Une barre HLM à Sarcelles photographiée en juillet 2014. - Miguel Medina AFP
Caroline Politi

Propos recueillis par Caroline Politi

L'essentiel

  • La question des banlieues est un thème considéré comme dangereux car clivant par les hommes politiques.
  • Les habitants ont le sentiment d’être «des citoyens de seconde zone», abandonnés par l’Etat.

La banlieue a été très peu évoquée au cours de cette campagne présidentielle. Les déplacements des candidats dans les cités ont été relativement rares. Comment expliquez-vous cette quasi-absence ?

Cela n’a rien de nouveau. En 2012, François Hollande avait un petit peu parlé d’égalité territoriale, Nicolas Sarkozy avait amené le débat sur la question sécuritaire mais on ne peut pas dire que la banlieue avait été un thème de campagne très prononcé. Il y avait simplement eu quelques points de focalisation. D’une manière générale, le sujet est considéré par les hommes politiques comme dangereux car très clivant. A droite comme à gauche, beaucoup de gens estiment que la sécurité doit être renforcée, qu’on en a déjà beaucoup fait pour les cités, même si ce n’est pas forcément vrai. L’amalgame « cité » et « immigration » dépasse les clivages politiques. A cela s’ajoute, le fait que politiquement le sujet n’est pas considéré comme « rentable » politiquement car l’abstention est plus forte que la moyenne dans les quartiers.

Comment les habitants des banlieues vivent cette campagne ?

Même si certaines choses sont faites dans les banlieues, le sentiment d’être laissé pour compte, de ne pas compter, ne cesse de grandir depuis 30 ans. Les habitants ont l’impression d’être des citoyens de seconde zone, qu’ils ont été abandonnés par l’État et les pouvoirs publics. Les principaux sujets de préoccupation, en premier lieu desquels l’emploi, se posent d’élections en élections sans qu’aucune proposition concrète ne soit faite. C’est peut-être également l’une des raisons pour lesquels les candidats parlent si peu des banlieues : sur le chômage ou les discriminations, leur marge de manœuvre est très limitée.

Certains points des programmes des candidats parlent-ils particulièrement aux habitants ?

Les banlieues sont le miroir grossissant de la société, les lignes de fracture sont similaires même si elles sont parfois exacerbées. Les jeunes sont relativement sensibles au portrait de l’entrepreneur débrouillard qui monte sa petite affaire tenu par Emmanuel Macron. Il s’est beaucoup exprimé sur la question de Uber, un thème qui parle à de nombreux habitants des cités. Les plus âgés, ceux qui sont dans une situation sociale précaire, s’intéressent au discours de Marine Le Pen sur la sécurité, le ras-le-bol des immigrés, les problèmes de drogue… Il s’agit souvent d’un vote contestataire, un ras-le-bol. Le clivage d’âge est important.

Michel Kokoreff est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Refaire La cité, paru aux éditions Le Seuil en 2013.

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