PRESIDENTIELLE 2017 - "J'espère que l'on n'apprendra pas que vous avez eu un compte offshore aux Bahamas..." Signée Marine Le Pen, cette petite phrase prononcée pendant le cacophonique débat d'entre-deux-tours n'était pas une outrance parmi d'autres. Ce jeudi matin, la candidate du Front national ainsi que Louis Aliot, vice-président du parti d'extrême droite, en ont chacun remis une couche.
"Est-ce qu'on va découvrir des choses peut-être trop tard qui concernent Emmanuel Macron? J'ai posé la question à Emmanuel Macron. On n'a pas même plus le droit de lui poser des questions?", a fait mine de s'étonner Marine Le Pen sur BFMTV. "Il y a deux sites américains aujourd'hui qui parlent d'une évasion fiscale de monsieur Macron, on verra ce que c'est. Sûrement que ça sortira aujourd'hui", a renchéri son compagnon sur Europe1.
A moins de deux jours de la clôture de la campagne officielle, la manoeuvre se veut l'ultime campagne de déstabilisation dans une course à l'Elysée qui n'en a pas manqué. Car les allégations des dirigeants du FN se fondent sur des manipulations grossières circulant depuis 24h sur les réseaux d'extrême droite français et étrangers.
"Bien sûr que c'est fake news. Et alors?"
Au point de départ de l'intrigue: des "documents" censés "prouver l'évasion fiscale secrète de Macron" dans les îles Caïman (et non aux Bahamas comme l'a dit Marine Le Pen) sont postés sur le célèbre et non moins décrié forum 4chan puis relayés par le site complotiste Desobedientmedia.
Au premier coup d'oeil, les fameux "documents" ont de quoi éveiller les doutes: la signature attribuée à Emmanuel Macron correspond mal à celle disponible sur ses déclarations d'intérêt et de patrimoine, des incohérences sur les documents présentés évoquent deux sociétés aux noms légèrement différents. Et le calendrier de l'apparition de cette boule puante n'est pas sans rappeler les manoeuvres de la présidentielle américaine.
L'objectif est d'ailleurs assumé noir sur blanc: imposer le mot-clé #MacronCacheCash dans les tendances "pendant les débats en France [mercredi] soir, cela pourrait décourager les Français de voter Macron".
Dès la soirée de mercredi, aux alentours de 19h30, Le HuffPost a relevé l'apparition de ces documents sur le forum de discussion privée Discord et le canal "Taverne des Patriotes", où les cybermilitants de Marine Le Pen coordonnent leurs attaques numériques et partagent leurs "fausses informations". S'ils émettent eux-mêmes des doutes sur la fiabilité du document, l'essentiel est ailleurs, comme le démontre ce message très révélateur: "Bien sûr que c'est fake news et alors? La cible c'est pas Macron c'est les gens qui lui font confiance".
De son côté, le chercheur belge Nicolas Vanderbiest, auteur d'une étude approfondie sur les fake news de la présidentielle, a lui retracé en quasi-temps réel l'itinéraire de la rumeur.
Et c'est donc Marine Le Pen en personne qui a donné une existence officielle à la rumeur en l'imposant dans le débat d'entre-deux-tours.
L'équipe Macron porte plainte
Pas dupe, l'équipe d'Emmanuel Macron a réalisé son propre décryptage de l'itinéraire de cette "fake news". Celle-ci a annoncé qu'elle avait diligenté une "expertise graphologique indépendante" pour démontrer que la signature du candidat En Marche! a été usurpée.
(Extraits graphologiques fournis par l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron)
Autre point de comparaison, voici un exemplaire de la signature du candidat disponible sur sa déclaration de patrimoine rendue publique par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
"En anticipant sur cette opération par la référence à peine voilée qu'elle y fait au terme d'un débat l'ayant vu épuiser une par une les attaques ad hominem à l'encontre d'Emmanuel Macron, Marine Le Pen a commis l'erreur insigne de se relier à cette manœuvre", accuse l'entourage d'Emmanuel Macron. Qui annonce que "toutes les suites judiciaires requises seront données à cette manoeuvre et sont d'ores et déjà diligentées".
Dans la foulée d'une plainte pour "faux et usage de faux" et "propagation de fausse nouvelle destinée à avoir une influence sur le scrutin", le parquet a ouvert une enquête.
À voir également sur Le HuffPost: