Interrogée par plusieurs journalistes, elle assure être la première surprise. “Je n’ai pas de talent. […] Je n’ai jamais rêvé de changer le cours de mon existence grâce à ma plume”, rapporte un article du Guardian consacré à Fan Yusu.

Rien, a priori, ne destinait cette Chinoise originaire du Hubei, dans le centre du pays, à devenir célèbre. Comme des millions de ses compatriotes, Fan Yusu a quitté son village pour aller vivre à Pékin. Elle avait 20 ans. Près d’un quart de siècle plus tard, elle a voulu partager son expérience. Publiée sur un blog littéraire le 24 avril dernier, “son histoire est rapidement devenue virale, explique le site China Digital Times. Elle est allée droit au cœur des internautes chinois, qui l’ont massivement partagée sur WeChat”, le réseau social aux 800 millions d’utilisateurs en Chine.

Ainsi que le relate le South China Morning Post :

En l’espace de vingt-quatre heures, [son récit] a été partagé plus de 100 000 fois et a reçu plus de 20 000 commentaires. Fan est devenue du jour au lendemain l’auteure la plus recherchée de Chine. Lors d’une visite dans le quartier défavorisé où elle vit, à une trentaine de kilomètres du centre de Pékin, au moins vingt journalistes et éditeurs faisaient le pied de grue devant sa porte. Un villageois [nous] a appris qu’elle était partie se cacher, car elle se sentait submergée par les curieux.”

Fan Yusu a commencé à travailler à 12 ans. “J’avais du mal à supporter la monotonie de la vie à la campagne. C’était comme regarder le ciel depuis le fond d’un puits”, écrit-elle. Au bout de quelques années, la jeune femme part tenter sa chance à Pékin : enfin la ville, “le vaste monde”. Mais la désillusion l’attend. Victime d’un mari violent, Fan décide de revenir vivre parmi les siens dans le Hubei. Elle sera rejetée, au motif qu’“une fille mariée n’appartient plus à la famille de ses parents”.

Le Quotidien du Peuple en parle aussi

De retour à Pékin, Fan Yuzu trouve un emploi de gouvernante pour le compte d’un millionnaire. Alors qu’elle s’occupe de la fille que cet homme a eue avec sa maîtresse, elle-même est privée de ses deux enfants ; il lui a fallu les laisser à une nourrice pour travailler :

Je devais souvent me lever la nuit pour m’occuper du bébé… Je ne pouvais m’empêcher alors de penser à mes propres filles. Faisaient-elles des cauchemars, la nuit, sans leur mère à leurs côtés ? Sanglotaient-elles ? Il m’arrivait souvent de pleurer. Heureusement, […] personne n’était là pour le remarquer.”

D’après le South China Morning Post, son retentissement est tel que le texte de Fan Yuzu a même été “recensé par Le Quotidien du peuple, l’organe du Parti communiste, en dépit des critiques émises à l’encontre du système”. L’article en question admet, toujours selon le South China Morning Post, que “nous ne devons pas ignorer les souffrances personnelles et les problèmes sociaux décrits dans cet essai, comme la question de l’éducation des enfants des travailleurs migrants et celle des dédommagements pour les terres [dont sont expulsés les paysans]”.

Des témoignages à la mode

Si l’on en croit le site Sixth Tone, le cas de Fan est loin d’être isolé. Elle est, peut-on lire,

le dernier exemple en date d’une travailleuse migrante qui devient célèbre grâce à une production artistique. Avec des plateformes de publication comme WeChat […] et l’appétit croissant des lecteurs pour la non-fiction et les histoires centrées sur l’humain, trouver une large audience n’a jamais été aussi facile. Parmi les nombreux migrants qui vivent [dans le quartier de Fan], on trouve ainsi Li Ruo, devenue célèbre grâce à ses poèmes.”

Pékin est aussi, précise ce site, “le berceau de Jiu Ye, un groupe qui donne des concerts dans tout le pays, avec des chansons racontant la vie des migrants”.