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Avec plus de 61 % d'abstention, des élections législatives algériennes qui ne changent rien
Le taux d’abstention est l’un des plus élevés qu’ait connu le pays : plus de 61%.

Avec plus de 61 % d'abstention, des élections législatives algériennes qui ne changent rien

Algérie

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Deux tiers des Algériens ne sont pas allés voter aux législatives du 4 mai. Le FLN est en recul, les partis islamistes aussi. Des émeutes ont éclaté pendant le scrutin.

L’Algérie a voté. Mal, c’est à dire peu. L’Assemblée nationale populaire, dont la composition devait être renouvelée aux élections législatives du 4 mai, n’est pas très populaire chez ceux qu’elle est censée représenter. Le taux d’abstention est l’un des plus élevés qu’ait connu le pays : plus de 61%. Au précédent scrutin de 2012, un peu plus de 43% des inscrits s’étaient déplacés contre 38,25 cette fois-ci. Malgré les ridicules appels au vote du Premier ministre suppliant les femmes de ne pas servir le café à leur mari s’il ne filait pas fissa vers les urnes, tout s’est passé comme prévu dans la tête et la mal-vie des Algériens : indifférence et colère pas toujours rentrée. « Silence, on souffre » disaient les bureaux de vote déserts, égayés par plus de caméras que de citoyens quand le cacochyme président est venu glisser son bulletin dans le destin d’un pays qu’il avait juré de ressusciter en 1999. Comme c’est loin. Le pays était encore couvert du sang de la guerre civile, de la bataille terrible et solitaire contre le djihadisme. Il avait survécu, il voulait revivre. Bouteflika, encore bon pied, bon œil, était son Messie.

Le FLN perd 57 sièges

Dix-huit ans plus tard, ces élections sans trop d’électeurs dessinent un tableau du désenchantement. Le Parlement restera sans grand changement. Le FLN domine toujours le pays mais il est en net recul : avec 164 députés, il perd 57 sièges par rapport à 2012. En revanche, le RND, le Rassemblement national démocratique d’Ahmed Ouyahia, chef de cabinet de la Présidence, membre de la coalition gouvernementale, en engrange 27 de plus : 97 sièges au total. Les islamistes sont en troisième position mais plus mal notés qu’il y a cinq ans : leur Mouvement de la société pour la paix perd 14 sièges. Ils seront 33 à siéger à l’Assemblée. Le FFS, le Front des Forces socialistes, s’étiole lui aussi : 14 députés, 7 de perdus en route. Ils sont presque frôlés par les trotzkystes du Parti des travailleurs, lui aussi à la peine : la formation de Louiza Hanoune perd six représentants et termine à 11 députés. Unique parti laïque algérien, le Rassemblement pour la Culture et la démocratie ( berbère) s’était enfin décidé à ne pas boycotter le scrutin : il n’a obtenu que 9 sièges. Maigre consolation dans une ambiance ultra-conservatrice où chaque formation se gargarisait de la présence des candidates femmes, mais la plupart voilées et certaines sans visage sur les affiches ( lire « Un scrutin à l’ombre de l’obscurantisme »).

Une Algérie toujours plus instable

Les élections ne se sont pas déroulées dans un calme olympien. Dans la nuit qui a précédé le scrutin, des émeutes ont éclaté à Bouira où des bandes ont coupé les routes et voulu brûler les bureaux de vote. A Boumerdès, affrontement au moment du dépouillement. Dans cette région de Basse-Kabylie, touchée par un séisme en 2003 – 3000 morts- le taux de participation a été de 21%...Au sud, à Berriane, dans la région de Ghardaïa, réputée éruptive, des hélicos tournoyaient et les barrages contrôlaient les routes. Il y a eu quelques incidents.

Ce tableau n’est pas exhaustif mais, ici et là, il dessine la même réalité : une Algérie instable dans la stabilité. On citera encore Kamel Daoud parce qu’il écrit vrai et bref : "Une paix par défaut, due à un corps qui ne bouge pas".

On peut gloser à perte de vue sur cette immobilité. Nous savons quels craquements elle tente de colmater. Le commentaire général, l’appétit même des observateurs en France espèrent, sans le formuler tout à fait – un peu de pudeur- que tout craque. Pour que l’Algérie se joigne, tant pis, tant mieux, au corps arabe tourbillonnant, révolutionnaire et martyr. Comme si tout avait été effacé. Comme si ce pays n’avait pas connu le rêve, le mensonge et l’horreur avant tous les autres. Comme s’il ne vivait pas dans la hantise que, demain, un faire-part funèbre en provenance d’Al Mouradia, la présidence, mette le feu à toutes les broussailles qui volent entre le Sahara, les Aurès et la Méditerranée. Puisse la raison des successeurs de Bouteflika préserver une paix fragile. Il faut souhaiter à l’Algérie que ce taux d’abstention, cette indifférence malheureuse, réveille ceux qui la gouvernent et les arrache à leur propre indifférence. Comme le croque Dilem, le génial caricaturiste, à propos de la grande Mosquée d’Alger, si chère au pieux président – 1 milliard d’euros - le citoyen se console comme il peut : "Au lieu de construire des hôpitaux, on va prier pour ne pas tomber malade !"...

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne