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BAHREÏN

Offres spéciales et soldes : au Bahreïn, on vend les femmes comme une marchandise

Annonce d'une compétition sur Instagram pour "gagner" une femme de ménage éthiopienne.
Annonce d'une compétition sur Instagram pour "gagner" une femme de ménage éthiopienne.
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"Suivez, partagez et gagnez une femme de ménage éthiopienne !" C’est l’annonce incroyable qu’a osée rédiger une agence de recrutement de femmes de ménage au Bahreïn. Elle lui a finalement valu une sanction des autorités, mais cette réaction, quoique nécessaire, est loin d’être suffisante pour les organisations des droits de l’Homme qui déplorent une marchandisation banalisée des travailleurs immigrés.

Comme d’autres pays du Golfe, le Bahreïn accueille une importante main d’œuvre étrangère peu qualifiée, venue principalement de pays d’Asie du Sud-Est, et à une moindre mesure d’Afrique subsaharienne. Le nombre de travailleurs immigrés est estimé à 460 000, ce qui représente une majorité écrasante, 77 %, des actifs. Parmi eux, il y a les femmes de ménage, qui viennent principalement des Philippines, d’Indonésie et d’Éthiopie. Elles sont d’abord recrutées dans leurs pays d’origine avant d’être ramenées au Bahreïn par les agences de recrutement de personnel domestique qui les placent ensuite chez des employeurs.

Mi-avril, l’une de ces agences, Al Hazeem Manpower, a été épinglée à cause de cette annonce postée sur son compte Instagram (désactivé depuis) :

L’agence proposait carrément une compétition pour "gagner une travailleuse domestique éthiopienne" : les followers étaient invités à "suivre et mentionner" le post, un tirage devant ensuite désigner le vainqueur, qui se verrait remettre la travailleuse… L’Autorité de régulation du marché du travail a rapidement réagi, en condamnant cet agissement et en retirant à l’agence sa licence.

"On traite les travailleurs migrants comme une propriété privée ou des esclaves"

Nedal al-Salman est militante au sein du Centre bahreïni des droits de l’Homme, spécialiste des droits des femmes et des enfants.

 

Cette publicité n’est malheureusement pas une exception, même si le phénomène est assez récent. Depuis un peu plus d’un an, quelques agences se permettent ce genre d’annonces. J’en ai déjà vu qui parlent de "remise exceptionnelle avant le mois de ramadan" ou même qui proposent "une travailleuse payée, la deuxième offerte" ! C’est clairement une marchandisation de ces femmes !

Ici l'annonce d'une autre agence de recrutement qui propose une offre spéciale à l'occasion du mois de ramadan : 499 dinars (au lieu de 600) pour une femme de ménage éthiopienne.

Ici, une "offre prolongée" due à la forte demande !

 

Si ces agences se permettent un tel comportement, c’est qu’il y a déjà une chosification établie des travailleurs migrants. On les a toujours traités comme s’ils étaient une propriété privée ou des esclaves, en leur refusant les droits que leur accordent pourtant les lois du travail. Par exemple, le salaire moyen pour une travailleuse domestique se situe entre 60 et 100 dinars bahreïnis, selon les nationalités [soit entre 144 et 241 €, NDLR], alors que le salaire minimum au Bahreïn est de 300 dinars [dans le secteur privé, soit 723 €, NDLR].

Dix-neuf heures de travail par jour, sans pause

 

Selon les témoignages que nous avons réunis, certaines employées disent qu’elles travaillent jusqu’à 19 heures par jour, souvent sans pause ni même un jour de repos hebdomadaire. Sans parler du régime de kafala, qui place la travailleuse sous la tutelle de son employeur [il s’agit d’un système de parrainage qui met l’employé à la merci de son employeur, NDLR]. Tout cela fait que, pour la plupart des Bahreïnis qui embauchent ces femmes, elles sont presque des choses dont ils disposent selon leur bon vouloir. Il ne faut donc pas s’étonner que les agences de recrutement traduisent ce sentiment dans leurs annonces !

Le Bahreïn a officiellement abandonné le système de kafala en 2009, mais dans les faits, le recours à la tutelle continue. Et l’Autorité de régulation du marché de travail se donne entre autres pour mission de lutter contre toute forme d’atteinte à la dignité des travailleurs. Joint par France 24, Hisham Adwan, directeur exécutif de cet organisme public, répond :

 

Les textes existent et nous faisons de notre mieux pour les mettre en application. Pour le cas de l’agence Al Hazeem, une enquête est en cours, et elle risque une sanction sévère. Plus généralement, dès qu’une dérive à l’encontre d’une employée de maison ou d’un travailleur immigré est signalée, nous prenons immédiatement les dispositions nécessaires.

Des efforts que Nedal al-Salman ne nie pas, mais qu’elle estime insuffisants :

 

Certes, il y a eu quelques améliorations, les travailleurs immigrés ont maintenant la possibilité de changer de tuteur s’ils le souhaitent, à condition d’en avoir trouvé un autre au moment où ils en font la demande, et peuvent porter plainte auprès des autorités en cas de mauvais traitement. Mais ces plaintes n’aboutissent que rarement [selon Human Rights Watch, seulement 30 % des plaintes déposées par des migrants sont traitées, et, bien souvent, les employeurs refusent de se rendre à la convocation]. Mais ces mesures restent ponctuelles. Il faut avoir des lois intransigeantes qui sanctionnent les comportements des employeurs comme des agences, et pas seulement des décisions administratives [les travailleurs immigrés ne sont pas concernés par la loi du travail de 2012 qui protège les droits des employés du secteur privé, NDLR].

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