Maria Sharapova à Roland Garros, avec quelle légitimité?

Dans dix jours, la direction de Roland Garros fera savoir si Maria Sharapova est invitée au tournoi parisien. Pour rappel, cette championne a été suspendue pendant 15 mois à la suite d’une infraction aux règles antidopage et n’a plus un classement suffisant pour entrer dans le tournoi; la logique des chiffres voudrait donc qu’elle ne joue pas, à moins de recevoir une invitation. Serait-il juste que la double tenante du titre (2012 et 2014) puisse fouler la terre battue parisienne du fait de la magnanimité des organisateurs?

Sharapova est-elle une tricheuse?

Pour beaucoup de ses concurrentes, Maria Sharapova n’est qu’une tricheuse et ne mérite plus aucune considération. Si elle veut revenir sur les plus grands tournois du circuit, qu’elle gagne sa place à la sueur de son front plutôt qu’on lui déroule le tapis rouge. La canadienne Elodie Bouchard s’est distinguées par ses propos et n’a pas été tendre avec sa rivale russe:

“She’s a cheater and … I don’t think a cheater in any sport should be allowed to play that sport again. It’s so unfair to all the other players who do it the right way and are true. I think from the WTA it sends the wrong message to young kids: ‘cheat and we’ll welcome you back with open arms”

Une telle opinion est compréhensible. Il est somme toute assez naturel de se montrer sans merci à l’égard d’une concurrente qui a été prise par la patrouille antidopage, mais il faut se garder de tout amalgame. Avant de coller à Maria Sharapova l’étiquette de tricheuse, il convient de s’attarder quelques instants sur les circonstances qui lui ont valu une suspension.

Qu’en dit le Tribunal arbitral du Sport?

Prenons les faits à la source, soit ceux qui ont été retenus par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) dans sa sentence du 30 septembre 2016:

  • Pendant plus de dix ans, Maria Sharapova a pris un médicament appelé mildronate qui contient du meldonium; ce médicament traite les maladies cardiaques;
  • Ce médicament était initialement prescrit par son médecin, lequel était naturellement bien conscient qu’aucune substance prohibée ne devait être donnée à sa patiente du fait de son statut de sportive d’élite;
  • Ce médicament, commercialisé dans les pays de l’Est, était pris – en parfaite légalité – par de très nombreux sportifs, semble-t-il en vue de mieux récupérer;
  • Dès le 1er janvier 2016, l’Agence Mondiale Antidopage a inscrit le meldonium sur la liste des produits interdits; auparavant, cette substance pouvait être prise en toute impunité;
  • Comme de très nombreux athlètes, Maria Sharapova ne s’est pas aperçue de ce changement de régulation. Le membre de son entourage qui avait pourtant pour instruction de vérifier que tous les produits qu’elle prenait étaient autorisés est lui aussi tombé dans le panneau;
  • Au moment où elle a pris son médicament, en janvier 2016, elle était sûre d’être dans son bon droit puisqu’elle prenait du mildronate depuis de très nombreuses années sans le moindre problème;
  • Lors du contrôle antidopage qu’elle a subi durant l’Australian Open 2016, du meldonium a été décelé (certainement comme durant toute sa carrière…), sauf que cette fois-ci la présence de cette substance constituait une violation des règles!

On voit donc bien que la faute de Maria Sharapova n’est pas tant d’avoir voulu tricher mais d’avoir ignoré un changement de règles, elle qui bénéficiait pourtant d’un staff qui était censé la conseiller à cet égard. C’est dans ce contexte que la formation arbitrale du TAS a retenu:

“The Panel wishes to emphasize that based on the evidence, the Player did not endeavour to mask or hide her use of Mildronate and was in fact open about it to many in her entourage and based on a doctor’s recommendation, that she took the substance with the good faith belief that it was appropriate and compliant with the relevant rules and her anti-doping obligations, as it was over a long period of her career, and that she was not clearly informed by the relevant anti-doping authorities of the change in the rules”

Sharapova a bien sa place à Roland Garros

Tous les cas de dopage ne se ressemblent pas et il est très réducteur de penser que chaque sportif déclaré “positif” à une substance interdite devrait être radié à vie. Par exemple, il y a un monde entre un Ben Johnson, gonflé aux stéroïdes anabolisants, et un sportif dont la seule négligence est d’avoir consommé un supplément alimentaire contaminé, comme cela arrive fréquemment. Ce n’est pas parce qu’un sportif enfreint une règle antidopage qu’il doit être considéré comme un tricheur.
Maria Sharapova a aujourd’hui purgé sa peine – quinze mois de suspension quand même – et son image a été pour le moins écornée par cette triste affaire. Autant dire que la sanction a été lourde même si elle a été en définitive blanchie de toute tricherie par le TAS.
Au vu de sa carrière et de ses récents résultats (demi-finale à Stuttgart), il serait parfaitement légitime que Maria Sharapova participe à Roland Garros, peut-être en devant passer par les qualifications comme cela se murmure. Il est naturel qu’un tournoi du grand chelem regroupe les meilleures joueuses de tennis et Maria Sharapova en fait assurément partie.
Qu’en pensez-vous?

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.

3 réponses à “Maria Sharapova à Roland Garros, avec quelle légitimité?

  1. Bonjour et entièrement d’accord avec cet article,
    Sans parler du niveau actuel du tennis feminin mondial et ses “fausses” n°1. Et puis, à Roland Garros, combien de wild card à des joueuses francaises qu’on ne voit jamais dans les tournois WTA, à part K.Mladenovic ou C.Garcia ? Mais qui empocheront au 1er tour, si eliminées, 24 000€ néanmoins(source tennistemple.com); salaire annuel net dont beaucoup de salariés français se contenteraient.
    Bien à vous
    Renaud-Paris

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