Accueil

Société Éducation
École : la folie Montessori
Encore marginale il y a quelques années, l'école Montessori semble désormais faire la synthèse entre des aspirations sociétales.
Gros

Article abonné

École : la folie Montessori

Reportage

Par

Publié le

Je m'abonne pour 1€

Rebutés par une école publique qu'ils estiment en déroute, de plus en plus de parents se tournent vers cette pédagogie alternative, élaborée il y a plus d'un siècle par Maria Montessori. Mais, le médecin italien n'ayant jamais breveté son nom, n'importe qui peut s'en revendiquer... Y compris les mystificateurs ayant flairé le filon.

À l'heure de la récréation, on assiste à des scènes inhabituelles à l'école Athena Montessori, à Bailly, dans les Yvelines. Alors que la plupart des enfants sont déjà en train de s'ébattre dans la cour, un petit garçon vient spontanément aider un camarade plus jeune, aux prises avec la fermeture Eclair de son anorak. Un autre s'éclipse dans un débarras adjacent ; il en ressort avec un balai, et entreprend de faire un peu de ménage dans le vestibule. « Est-ce que tu veux une pelle, Aristote ? » propose un adulte passant par là. Autonomes, bienveillants... Ces quelques spécimens observés en cachette sont des publicités ambulantes pour la pédagogie Montessori, pratiquée dans ces murs.

« On ne leur demande surtout pas de rentrer dans un moule, ils sont là pour se découvrir », annonce Sylvie d'Esclaibes, qui a fondé et dirige l'établissement depuis 1991. Dans l'immense pièce qui sert de classe à 40 enfants de 6 à 11 ans, chacun choisit librement les tâches auxquelles il se consacre, vaquant d'un endroit à l'autre au gré de ses intérêts. Le matériel sensoriel au cœur de la méthode - lettres rugueuses, cubes, perles... - s'étale un peu partout sur les tables et les tapis. Deux petites filles sont en pleine opération de division, qu'elles réalisent avec des figurines symbolisant les dizaines et les unités. Neil, 7 ans, exhibe fièrement le « plan de travail » qu'il colorie à mesure qu'il progresse dans les apprentissages. Ce matin-là, il indique avoir fait des fractions. « C'est plutôt niveau CM1, mais il avait très envie de s'y atteler », commente la directrice.

Des enfants qui apprennent à leur rythme, des classes d'âge mélangées, pas de notes... Certains spécialistes de l'éducation ne cachent pas leur scepticisme. « On est en plein dans le principe de plaisir, or l' école est un apprentissage du réel, s'agace le psychologue Didier Pleux*. On peut respecter le choix de l'enfant et l'obliger, parfois, à faire des choses déplaisantes, ça s'appelle l'acceptation des contraintes. »

[IMAGES-INLINE-0faf8a7bb8]

Détail cocasse, pro- et anti-Montessori s'accusent mutuellement de ne pas vivre avec leur temps : les premiers martèlent que l'école a originellement été créée pour « produire » des soldats et des ouvriers ; il est donc urgent qu'elle se réforme pour former des libres-penseurs. Les seconds arguent que l'enfant n'est plus victime de l'autorité adulte comme il l'était à l'époque de Montessori ; ce qui avait un sens au début du XXe siècle n'en a plus dès lors que le « totalitarisme éducatif » est révolu. Anachroniques ou pas, les faits sont là : en 2017, un nombre exponentiel de parents plébiscitent la méthode Montessori, rebutés par une école de la République qu'ils estiment en déroute.

« En deux ans, l'école publique a cassé l'envie d 'apprendre de mes fils. Ce qui était un plaisir est devenu un pensum ; ils ne travaillaient pas pour eux, mais pour la maîtresse ou pour nous faire plaisir. Ça m'a retourné le cœur », témoigne un papa converti. La sociologue Nathalie Bulle, directrice de recherche au CNRS, n'est pas surprise. « Il y a une défiance vis-à-vis de l'école publique et de ses résultats, mais aussi à l'égard de son côté massificateur, insuffisamment adapté aux différences individuelles , avance-t-elle.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne