Les futurs médecins tirés au sort

Le gouvernement a publié une circulaire qui autorise les universités à tirer au hasard les candidats, chaque année trop nombreux à vouloir intégrer une fac de médecine. Un mode de recrutement aberrant aux yeux de nombreux professionnels. Le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF), était l'invité du Magazine de la santé pour en parler.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Entretien avec le Dr Jean-Paul Ortiz, président du CSMF
Entretien avec le Dr Jean-Paul Ortiz, président du CSMF
  • Quelle est votre réaction à cette annonce ?

Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) : "Cette décision est complètement aberrante. On ne peut pas faire un métier tel que celui de médecin ou même d'un autre professionnel de santé, puisque la première année de médecine est maintenant commune avec la première année de pharmacie, de maïeutique, de chirurgie dentaire..., de façon tirée au sort. Car il s'agit d'un métier passion, on ne le fait pas par hasard. Et aujourd'hui, la médecine a besoin de ce caractère humain dans le rapport. C'est un métier qu'on exerce parce qu'il reste encore de la vocation. Cela est très important dans le rapport qu'on peut avoir avec le patient, dans cette écoute qu'on doit avoir... C'est la raison pour laquelle nous nous sommes élevés contre ce tirage au sort qui est complètement aberrant. Oui, il y a un problème sur l'accès aux études de médecine."

  • Ce mode de recrutement peut-il encore augmenter les inégalités ?

Dr Jean-Paul Ortiz : "Aujourd'hui, on constate que l'ascenseur social en matière d'études supérieures, tout particulièrement en médecine, ne fonctionne plus. On a des taux d'étudiants issus des milieux défavorisés qui sont extrêmement faibles et cela va forcément s'accentuer. Aujourd'hui, à peu près 20% des étudiants qui s'inscrivent en première année arrivent à faire des études de médecine. Vous avez des facultés où on est à 12-13%. Le dernier reçu dans certaines facultés du Sud, il a 14,86 de moyenne. Il va quand même falloir qu'on pose ce problème parce qu'effectivement les gens qui sont bien informés, et qui ont éventuellement les moyens, vont en Roumanie, où nous avons par exemple plusieurs centaines d'étudiants français qui font des études de médecine premier et deuxième cycle sur des filières qui sont faites en français, avec un enseignement fait en français.

"Aujourd'hui, en Europe, il y a une libre circulation des diplômes. Il y a un problème sur les études de médecine. Lorsqu'on regarde dans les autres pays européens comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne... la sélection pour rentrer dans des études de médecine se fait avant de commencer la première année. Aux Etats-Unis, cela se fait au bout de quatre ans d'études. Il faut mettre à plat ce dispositif, qui aujourd'hui est inégalitaire, et on tombe dans des aberrations comme le tirage au sort."

  • Quelles autres options préconisez-vous ?

Dr Jean-Paul Ortiz : "Aujourd'hui, on a un nombre de médecins important dans le pays. Il faut améliorer l'organisation du système de soins, améliorer la coordination entre les médecins, mettre à bas les murs qu'il y a entre l'hôpital et la médecine de ville, faire vraiment ce virage ambulatoire, dont notre ministre de la Santé a beaucoup parlé mais elle ne l'a jamais fait, de façon à faire que les patients soient soignés en proximité avec des médecins. Et il faut utiliser les nouveaux outils issus de l'iSanté (objets connectés, outils issus du numérique) de façon à garantir cette proximité tout en permettant aux médecins de travailler en équipe, que ce soit en médecine générale, en médecine spécialisée. On n'exerce pas les métiers aujourd'hui comme on les exerçait hier."

"Nous avons un vrai problème sur l'ensemble des études médicales. La première année est aberrante. De nombreux étudiants font deux années pour rien et ils se retrouvent avec rien à la fin. C'est quand même gâcher des jeunes pendant deux ans d'études qu'ils pourraient faire de façon différente. Sur le deuxième et troisième cycle, il faut ouvrir les facultés de médecine parce que les médecins vont exercer dans des cabinets, dans des établissements de soins privés... Pourquoi ne fait-on pas plus de stages dans la vraie vie professionnelle ? Ce n'est pas le cas aujourd'hui, donc il faut avoir une vision plus professionnelle de ces études de médecine. Il faut aussi mettre ces notions d'humanité dans ces études car demain, le métier de médecin va utiliser les nouvelles techniques médicales mais nous allons revenir de plus en plus vers une médecine où on va accompagner le patient. Car le patient est de plus en plus informé, il devient beaucoup plus acteur de sa santé et le médecin sera un accompagnateur du patient acteur de sa santé. C'est la médecine de demain."