Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

Quotidien

Ils sont interdits. Mais pourquoi trouve-t-on encore des sacs en plastique chez les commerçants ?

Nuisible pour l’environnement marin, les sacs en plastique sont interdits dans tous les commerces depuis le début de l’année. Enfin, presque tous les sacs en plastique… Et l’on en trouve encore partout quand on fait ses courses. Reporterre tente de résoudre ce mystère.

Actualisation - Ce lundi 3 juillet se tient la Journée mondiale sans sac plastique Dans un communiqué, Héloïse Gaborel, chargée de mission prévention des déchets au sein de France Nature Environnement, espère que « cette Journée mondiale sera l’occasion de rappeler que des alternatives existent pour nous passer de ces emballages à usage unique, comme les sacs cabas ou les sacs à vrac réutilisables. » Malgré les interdictions mises en oeuvre depuis un an en France, ces sacs sont loin d’avoir disparu de nos commerces. Pourquoi ? Reporterre a enquêté.


Article publié le 9 mai 2017 - Après un aller-retour express au supermarché du quartier, je me suis rendu compte que le sac dans lequel je transportais mes carottes était en plastique. Une vraie surprise : je pensais qu’ils étaient interdits depuis plusieurs mois ! Vérification faite, il est bien exact que depuis juillet 2016, des mesures ont été prises pour « réduire les impacts environnementaux considérables liés à la production et la distribution de ces sacs ». Comme le signale le ministère de l’Environnement, 5 milliards de sacs en plastique étaient distribués en caisse chaque année, et 12 milliards pour d’autres usages. Or, un sac en plastique met entre 100 et 400 ans à se dégrader et cause de graves dégâts sur la biodiversité, notamment marine. 700 espèces sont affectées. Pourtant, « les gens nous écrivent et s’étonnent de voir encore des sacs en plastique chez leurs commerçants », relate Flore Berlingen, directrice de publication de l’association Zero Waste, qui milite en faveur du zéro déchet. Je ne suis donc pas la seule à m’interroger.

Selon les textes de loi, il existe deux interdictions en fonction du type de sac : ceux distribués en caisse et ceux destinés à d’autres usages, notamment pour emballer les produits frais. La première catégorie est interdite depuis le 1er juillet 2016, la seconde depuis le 1er janvier 2017.

Depuis le 1er juillet 2016, l’article 75 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a donc mis fin à la mise à disposition de sacs en plastique « à usage unique d’une épaisseur inférieure à 50 microns », soit 0,05 millimètre. En caisse, sur les marchés en plein air, chez les primeurs et dans les grandes surfaces ne sont donc plus autorisés que les sacs en plastique réutilisables de plus de 50 microns d’épaisseur et ceux biodégradables (en papier, tissu, carton…). Sur les sacs autorisés en caisse, une mention indiquant que le sac est réutilisable et qu’il ne doit pas être jeté dans la nature est devenue obligatoire.

Pourquoi une épaisseur de 50 microns ? Parce qu’à partir de cette épaisseur, les sacs seraient suffisamment solides pour être réutilisables. Cependant, souligne Flore Berlingen, « ils ne permettent tout de même pas de nombreuses réutilisations, et sont jetés dans la majorité des cas ». On ne peut donc pas parler d’interdiction complète du sac en plastique, contrairement à ce qu’avait promis Ségolène Royal.

 « Sacs compostables, en compostage domestique et “biosourcés” »

Le 1er janvier 2017, la loi a étendu l’interdiction aux sacs en plastique que l’on trouve dans les rayons, c’est-à-dire destinés aux fruits et légumes, aux fromages à la coupe, à la viande ou au poisson. Ils doivent être remplacés par des sacs en papier kraft ou des « sacs compostables, en compostage domestique et “biosourcés” ». Pour être compostable, le matériau doit pouvoir être dégradé par des microorganismes comme les bactéries ou les champignons, mais également être non toxique pour l’environnement. Et l’on dit qu’il est « biosourcé » lorsqu’il est obtenu à partir de matières premières renouvelables issues de la biomasse. En général, il s’agit d’amidon de pomme de terre ou de maïs. La teneur en matière biosourcée autorisée doit augmenter de façon progressive : « 30 % en janvier 2017, 40 % en janvier 2018, 50 % en janvier 2020, 60 % en janvier 2025. » Cependant, comme l’explique Flore Berlingen, « le sac compostable ne présente un intérêt que s’il peut être composté, et non pas jeté. Les collectivités devraient faire des collectes séparées des biodéchets ». Ce sera le cas dans les 2e et 12e arrondissements de Paris. La ville travaille avec la société Novamont pour mettre à disposition des « bio-seaux », à partir de cet été, pour récolter les déchets organiques et éviter qu’ils ne soient mélangés aux déchets ordinaires.

Désormais, les commerçants doivent donc servir leurs produits dans des sacs biodégradables ou faits d’un mélange de plastique-amidon, de papier, tissu, ou de plastique épais réutilisable. Cette législation par étapes devait permettre notamment aux grands distributeurs d’anticiper son évolution. Alors, pourquoi trouve-t-on encore des sacs en plastique dans les commerces ? En en visitant quelques-uns, j’ai constaté que, si l’interdiction concernant les sacs de caisse est très largement respectée, ce n’est pas le cas de celle concernant les sacs distribués en rayon. J’ai donc porté mon attention sur cette catégorie-là.

Interrogés à ce sujet, certains magasins m’ont affirmé qu’ils étaient en règle avant la fin de l’année. « Nous avons passé commande relativement tôt pour être sûrs de recevoir les sacs à temps », m’a-t-on expliqué dans un Monoprix de la région parisienne qui ne délivre que des sacs en papier kraft au rayon fruits et légumes. Cependant, observe le directeur général de Novamont France, la société leader du secteur des produits bioplastiques issus de la biochimie, « il y a des bons et des mauvais élèves, même dans la grande distribution. Sûrement parce qu’ils doivent écouler leurs stocks ».

« Premier pas vers le zéro plastique, et plus largement, vers le zéro déchet » 

C’est l’explication que m’ont donnée les commerçants pour justifier leur « retard ». « Il nous reste des sacs en plastique, mais ça devrait bientôt être fini », m’a-t-on dit sur un marché du 20e arrondissement. Sur un marché de Seine-et-Marne, les commerçants se sont dits « sensibles à cette mesure ». Les primeurs y sont passés aux sacs compostables et biosourcés et aux sacs en papier. Certains, cependant, bouchers, charcutiers, poissonniers continuent à utiliser des poches en plastique, jugées « plus solides ». L’usage des sacs en plastique reste répandu dans les supermarchés, alors même qu’ils reçoivent des instructions du siège de leur enseigne. Les stocks de marchandises étant gérés en interne, certains directeurs de magasin m’ont dit « attendre de finir les restes ». « Nous respectons la législation en proposant les sacs en règle à nos clients, tout en vidant notre réserve de ceux en plastique. Le client a le choix », m’a-t-on ainsi expliqué dans un Casino du Val-de-Marne. Dans un magasin du même groupe, un Franprix du 18e arrondissement, même chose : « Nous avons des rouleaux de sacs compostables et biosourcés depuis février, mais nous avons retrouvé un carton de sacs en plastique il y a quelques jours et nous avons décidé de le mettre en rayon. Après celui-là, il n’y en aura plus un seul », a assuré l’adjoint à la direction, avant d’ajouter : « C’est juste une erreur de gestion des stocks. »

Certains responsables ont également invoqué des « raisons économiques ». Comme l’explique Christophe de Boissoudy, « les sacs compostables et biosourcés coûtent environ trois fois plus cher qu’un sac fin à usage unique, qui coûte en moyenne moins d’un centime d’euro ». D’autant plus que ne pas écouler ses stocks déjà payés entraînerait une perte de chiffre d’affaires peu envisageable pour les directeurs de magasins. « Ce prétexte n’est pas une raison valable pour passer outre la mesure », affirme Flore Berlingen. En effet, les sacs en plastique en stock doivent normalement être détruits.

Les commerçants qui ne sont pas en règle encourent une sanction prévue par le code de l’environnement qui peut aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 100.000 € d’amende. Cependant, « les contrôles sont très rares », explique Flore Berlingen. Selon elle, « de manière globale, les commerçants ont quand même pris conscience que cette mesure allait dans le sens d’un plus grand respect de l’environnement ». C’est un « premier pas vers le zéro plastique, et plus largement, vers le zéro déchet », bien qu’une « transition complète passerait surtout par une modification des modèles de distribution, comme le développement du vrac, accompagnée de celle des modes de consommation. L’interdiction des sacs en plastique est une étape symbolique qui amorce le changement ». La jeune femme appelle chaque citoyen à « intervenir à son niveau si son commerçant n’est pas en règle, à en parler avec lui pour l’inciter à le faire ».

Une nouvelle mesure contre le plastique entrera en vigueur à partir de 2020 : la vaisselle jetable en plastique deviendra interdite. Seuls les gobelets, verres et assiettes compostables en compostage domestique et constitués de matières biosourcées seront alors autorisés.

Fermer Précedent Suivant

legende