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Fondamental

L'impact du Brexit sur la science inquiète les chercheurs au Royaume-Uni

"L'impact du Brexit sur la science" : tel était le thème de la rencontre organisée par l'organisation Euroscience et la Royal Institution. Sa directrice Sarah Harper plaide pour maintenir une collaboration entre chercheurs britanniques et européens.

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La nouvelle directrice de la Royal Institution Sarah Harper.

La nouvelle directrice de la Royal Institution Sarah Harper.

© Dominique Leglu

"Pour un jeune scientifique, pouvoir se rendre d'un pays à un autre dans le monde, améliorer ses connaissances et accroître ses opportunités", tel demeure le souhait majeur clairement formulé par Mark Ferguson, chief scientist qui conseille le gouvernement irlandais. En d’autres termes, pour un scientifique (jeune ou moins jeune d’ailleurs), la liberté d'aller et venir est un enjeu crucial. Or, c’est ce qui pourrait être remis en question quand le Brexit, c’est-à-dire la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, aura bel et bien eu lieu.

Lundi 8 mai 2017, qui n'était pas férié outre-Manche, s'est en effet tenue toute une après-midi consacrée à "L'impact du Brexit sur la science", mise sur pied par l’organisation Euroscience et par la très formelle Royal Institution, en son siège à Londres (lire encadré). Y avaient été conviés plusieurs scientifiques éminents du Royaume-Uni et du continent (Royal society, université d'Oxford, président de l'association universitaire européenne...) et quelques responsables de politique scientifique, plus d’une centaine de personnes réunies dans un bel amphithéâtre, non loin de New Bond Street, l’une des rues les plus chics de la capitale. Dix mois après le référendum, force est de constater que les scientifiques britanniques semblent plus que jamais sous le choc, comme ils l’avaient montré en juillet 2016 à Manchester, lors de la tenue de l'ESOF (Euroscience open forum). Pire, ils seraient même, pour certains, "dans le déni", estiment des observateurs attentifs de la scène scientifique européenne.

Leur obsession numéro 1 : la possibilité de « mobilité » évoquée ci-dessus, également réclamée par nombre de leurs homologues du continent, tel le Français Alain Fuchs, président du CNRS. Pour mémoire, soulignons que la communauté scientifique anglaise, écossaise, galloise… dans un bel ensemble, n'a cessé de rejeter le Brexit, constatant avec amertume mais trop tard qu'elle n'avait pas su faire entendre sa voix pendant la campagne qui a précédé le référendum lancé par David Cameron...

"L'archéologie, qui dépendait à plus de 50% des fonds européens, sera sévèrement atteinte"

"Nous ne devons pas laisser le Brexit élever des barrières" a réitéré Sarah Harper, professeur de gérontologie à l’université d’Oxford et toute nouvelle directrice, depuis le 1er mai 2017, de l'Institution royale (voir aussi la vidéo ci-dessous). Mais cela ne relève-t-il pas de la méthode Coué ? Avec la perspective d'un potentiel hard Brexit, un "divorce où personne ne gagne", selon les mots de Mark Ferguson, les barrières douanières, les difficultés pour obtenir des visas, le rehaussement des tarifs des étudiants dans les universités etc. semblent effrayer les scientifiques britanniques encore plus que les problèmes budgétaires, pourtant loin d'être anodins. "Le gouvernement britannique a promis de remonter le budget R&D de 2 milliards de livres par an pendant trois ans", a rappelé le Pr Alex Halliday, vice-président de la Royal Society, équivalent de notre Académie des sciences. Encore faudra-il préciser à quoi ces milliards supplémentaires seront attribués en priorité, "à la science "pure" ou à l'innovation" et à l’industrie…

Un rapport, fin mai, doit préciser l’état des financements des diverses branches scientifiques, a annoncé Dame Janet Thornton, spécialiste de bioinformatique et membre du conseil scientifique de l'ERC (European research council), synonyme d'excellence européenne. Nous savons déjà, annonçait-elle l'air sombre, que "l'archéologie, par exemple, qui dépendait à plus de 50% des fonds européens sera sévèrement atteinte". "Bien des choses devraient changer après la prochaine élection (1)", veut croire Alex Halliday, qui dit compter sur le "comité Brexit auprès de Jo Johnson", frère de Boris et ministre de la recherche et de l'enseignement supérieur. Ce dernier l’a assuré à la presse britannique il y a un mois et demi : "La première ministre a très clairement exprimé le fait que nous voulons rester la nation où se rendre pour tout ce qui touche à la science et à l’innovation".

Lundi 8 mai, le Pr Halliday évoquait les nouvelles coopérations possibles, "des coopérations bilatérales, en particulier avec les pays du Commonwealth". Il évoquait les contacts répétés avec Singapour, Bangalore (Inde)… Ce à quoi Rolf Tarrach, président de la puissante association universitaire européenne (2), a vivement réagi : "Si vous montrez que vous allez de plus en plus travailler avec le Commonwealth, vous allez donner le signe d’une coopération de moins en moins forte avec l'Union européenne" a-t-il mis en garde. D’autant que la perspective de ne plus pouvoir compter sur les confrères britanniques ne réjouit d’ailleurs pas du tout les scientifiques « continentaux », qui répètent que chacun doit se préparer aux prochaines négociations.

"Perdre la voix du Royaume-Uni", alors même qu’"il s'est battu pour l'excellence", est un vrai risque pour la science, selon le Pr Rolf Tarrach. Vu du côté du continent, en effet, "cela va relever du défi que de soutenir la recherche et le développement, d'une voix moins puissante qu'auparavant" au sein de l'Union, estime-t-il. Tous redoutent aujourd’hui les coupures budgétaires et n'anticipent plus d'augmentation de 80 à quelque 100 milliards d'euros pour le budget R&D, contrairement à ce qui avait été évoqué pour le prochain programme FP9 (Framework programme de 2021à 2027), après la fin du programme actuel, plus connu sous le nom de « Horizon 2020 ».

"En France, vous savez vous mettre en grève", plaisant un scientifique britannique

Côté britannique, pas de quoi se réjouir non plus, malgré les annonces gouvernementales – "en tant que membre associé (de l'Union européenne), nous devrons payer plus" a insisté Clive Cookson, responsable des questions scientifiques au Financial Times, qui animait le premier débat de l'après-midi, et cherchait à faire dire à ses interlocuteurs, mais avec difficulté, s’il pouvait y avoir quelque avantage à ce Brexit !

Etonnamment, c’est le Pr Ole Petersen, le très posé vice-président de l'Academia Europea, qui s’est révélé le plus ouvertement critique, n'hésitant pas à ouvertement déclarer que "le gouvernement britannique avait failli. Qu'il aurait aimé voir plus de colère chez les scientifiques. Qu'il ne fallait pas hésiter à rester 'authentique' et qu'il était plus que légitime de clamer que ce Brexit est une très mauvaise idée". Les scientifiques britanniques vont-ils ouvertement s’élever contre leur gouvernement ? Brandir des contre-propositions audibles ? Ils ne semblent pas prêts à en prendre le chemin.

"En France, vous savez vous mettre en grève", dit l’un d’eux, déclenchant les rires dans la salle. Problème, il est rien moins certain que toutes ces récriminations parviennent à trouver leur place dans l'agenda des futures négociations Royaume-Uni – Union européenne où l’on parlera finances, agriculture, économie en général, droits des réfugiés etc. "La science ne sera pas au sommet de la liste des discussions" prévient Mark Ferguson, très inquiet, lui, des 360 km d’anciennes frontières entre Irlande du Nord et Irlande du sud, que les citoyens ont pris l’habitude de superbement ignorer et qu’il va falloir réétablir...

"Nous menons actuellement des meetings et rencontres post-Brexit partout et tout le temps en Irlande" précisait-il, affirmant que pour la question scientifique, sujet de ce jour, il mise sur le renforcement de "programmes bilatéraux, le financement de recherches communes" avec le R.-U. Insistant sur un seul paramètre d’importance "la nécessité d’investir dans l’innovation". A condition que cela n’effraye pas les citoyens… "A quel point la technologie détruit-elle des emplois ?", c’est aussi une peur à prendre en compte, qui peut déclencher l’hostilité. L’éthique de la science et de la technologie, un sujet majeur pour les temps à venir, explique aussi Jean-Pierre Alix, du board d’Euroscience (en vidéo ci-dessous).

Les questions de R&D sont-elles donc condamnées à finir en "variable d'ajustement" ? Michael Matlosz, président de l’ANR (agence nationale de la recherche) basée à Paris, qui avait également fait le déplacement de lundi, nous a avoué le redouter aussi. Le Brexit a été une façon de mettre l’accent (plutôt xénophobe) sur la volonté d’empêcher bien des citoyens, en particulier les Européens des pays de l’Est, de venir s’installer et travailler en Grande-Bretagne. Les négociations porteront sur cet aspect fondamental, et faire une exception pour les scientifiques demandera de développer bien des astuces. "Cela a pu être fait pour la Suisse après la votation contre l’immigration (3), mais cela sera bien plus compliqué avec le Royaume-Uni" fait-il remarquer.

Même si le candidat Emmanuel Macron avait déclaré en mars dernier se réjouir "de voir que les chercheurs et les universitaires au Royaume-Uni prenaient en considération, à cause du Brexit, l’idée de venir travailler en France", que clamait en titre de Une l'Evening Standard, distribué à l'entrée du métro londonien, au lendemain de l'élection du nouveau président français : "Macron cible la City de Londres". Les scientifiques auront décidément du pain sur la planche pour se faire entendre.

1) Élections législatives du 8 juin, voulues par la 1ère ministre Theresa May, pour conforter sa position et sa marge de manœuvre avant que ne débutent les négociations avec l'Europe.

2) 47 pays sont impliqués, au-delà de la seule Union européenne (dont la Turquie, par exemple), ce qui représente 17 millions d’étudiants.

3) Après cette votation en février 2014, un accord a été trouvé fin 2014 entre la commission européenne et la Suisse pour que cette dernière soit partiellement associée au programme de recherches

Royal Institution of Great-Britain et Euroscience. L’Institution royale de Grande-Bretagne a pour but d'encourager les publics de tous âges et toutes conditions à la réflexion concernant les découvertes et applications de la science. Fondée en 1799, des scientifiques éminents tel Michael Faraday (auquel un mini-musée rend hommage au sous-sol du bâtiment) en ont fait partie. Il s’y tient des cours et ateliers de mathématiques, informatique, ingénierie... La compagnie L'Oréal y a installé un centre baptisé "Jeune scientifique". Euroscience est une organisation à but non lucratif, qui regroupe des scientifiques et tous ceux que la science intéresse, quels que soient les disciplines, les pays, le partage public-privé… Son objectif principal est l'intégration européenne ainsi que le recours aux sciences pour améliorer le bien-être de l'humanité, sans oublier des questions politiques et éthiques. A consulter, son organe de presse en ligne Euroscientist http://www.euroscientist.com/

 

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