Les notes de Grothendieck, un trésor mathématique à la portée de tous

    SCIENCES. Les notes laissées par le génial Alexander Grothendieck sont publiées en accès libre ce mercredi sur le Net via la fac de Montpellier. Les initiés y feront peut-être des découvertes capitales.

    Alexander Grothendieck (ici sur une photo prise dans les années 1960),a toujours méprisé les honneurs et refusé tous les prix.
    Alexander Grothendieck (ici sur une photo prise dans les années 1960),a toujours méprisé les honneurs et refusé tous les prix. AFP/HO

      Pour la communauté des mathématiciens, l'événement est quasi planétaire. « C'est un peu comme si on allait dévoiler tout un pan encore méconnu de l'oeuvre du peintre Kandinsky », glisse l'un d'eux.

      Ce mercredi après-midi à partir de 16h30 (sur https://grothendieck.umontpellier.fr/ ), 18 000 pages à l'état brut de celui qui est présenté comme le plus grand des mathématiciens du XX e siècle, Alexander Grothendieck, décédé en 2014 à 86 ans, après avoir vécu en ermite vingt-trois ans dans un petit village de l'Ariège, vont être mises en ligne, consultables par tous. Pas de formules magiques, mais des intuitions, des fulgurances couchées sur le papier d'une petite écriture fébrile, raturée, parfois soulignée de rouge ou assortie de dessins. Impénétrable pour le commun des mortels, mais peut-être une mine d'or pour les initiés.

      La fin d'une longue guérilla juridique. «Ses enfants voulaient vendre les 23 000 notes qu'il avait données en juillet 1990 à un de ses collègues de notre faculté. Mais nous avons trouvé un accord : ils vont en récupérer la propriété physique, en échange, ils nous ont accordé le droit de les diffuser, explique Jean-Michel Marin, directeur de l'institut montpelliérain dédié au grand scientifique. Et, pour nous, c'est cela l'essentiel. Car ces notes font partie du patrimoine scientifique. En soi, elles sont un trésor inestimable », poursuit-il.


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      « Grothendieck? C'est un extraterrestre. Il est incomparable! s'exclame le célèbre mathématicien Cédric Villani. En termes de travail, c'est juste surhumain ce qu'il a accompli. Il a bouleversé des pans entiers de la géométrie algébrique en la refondant. Sa pensée est unique. Et si encore aujourd'hui les plus grands utilisent le français dans les maths, c'est un peu grâce à lui », relève le médaillé Fields de 2010. Cet équivalent du prix Nobel, Alexandre Grothendieck -- « Shurick » pour ses amis --, l'avait aussi décrochée en juillet 1966. Sauf que lui avait refusé d'aller la chercher. La cérémonie se déroulait à Moscou et pour cet antimilitariste viscéral, fils d'un juif ukrainien anarchiste condamné à mort deux fois -- une par le tsar Nicolas II, l'autre par les bolcheviques --, pas question de transiger. Comme ses parents, l'homme a toujours méprisé les honneurs et refusé tous les prix. Ballotté par le fracas de l'histoire, Shurick, né allemand à Berlin en 1928 et arrivé en Lozère en 1939 avec sa mère, a toujours été « un inclassable », se souvient Jean-Claude Rodriguez, l'un de ses anciens élèves à la fac de Montpellier. C'est dans cette université où il avait fait ses classes que Grothendieck, prodige sans le sou repéré par le grand mathématicien Laurent Schwartz, avait trouvé refuge en 1973 après avoir claqué la porte du Collège de France. Sacrilège! L'éminente institution percevait une subvention du ministère de la Défense... A Montpellier, Grothendieck enseigne plus de dix ans, arrivant de sa campagne tout en se lavant en chemin dans le torrent. Retraité, il se réfugie dans le plus grand secret dans les Pyrénées, où il a vécu reclus et à moitié délirant.

      Que réservent ses notes enfin dévoilées ? « Il se peut qu'elles contiennent le germe de développements importants, mais on ne le saura pas avant longtemps, peut-être vingt ans, estime la virtuose des maths Claire Voisin. D'ailleurs, il y a un certain risque qu'il ne se passe rien du tout, à moins qu'un groupe de travail ou de lecture ne se mette en place », s'inquiète la dernière médaille d'or du CNRS. Les cimes grothendickiennes ne peuvent s'atteindre qu'en cordée !