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Etats-Unis : des cafés débranchent le Wi-Fi pour que les clients se parlent

Dans les pays anglo-saxons, les cafés ressemblent parfois plus à des bureaux qu’à des lieux pour se retrouver. Certains ont pris une mesure drastique : couper Internet.

Publié le 12 mai 2017 à 19h54, modifié le 12 mai 2017 à 20h51 Temps de Lecture 3 min.

Un café à Prospect Park, à Brooklyn, New York, le 27 janvier 2015.

A priori, proposer du Wi-Fi dans un café est une aberration. Le café n’est-il pas le lieu de sociabilité par excellence, où l’on se retrouve pour discuter, où l’on commente le résultat des élections, des courses, du dernier match de foot, accoudé au comptoir ? En Europe, oui. Mais dans les pays anglo-saxons, il est rare de voir un coffee shop sans des ordinateurs portables ouverts et des étudiants en train d’y travailler, ou de surfer sur Internet. Il y a, dans ces pays, du Wi-Fi dans chaque café. Au point que les usagers ne se parlent plus, selon certains gérants qui ont décidé de les supprimer.

Depuis quelque temps, des initiatives pour limiter la présence des nouvelles technologies dans les cafés se multiplient en Amérique du Nord et en Angleterre. Le New York Times et la BBC ont récemment consacré des enquêtes au phénomène.

La BBC a visité un café de Chicago, le Kibbitznest, où le Wi-Fi est débranché pour encourager la « conversation en face à face ». Le New York Times a interrogé le gérant de HotBlack Coffee, un café de Toronto dépourvu de Wi-Fi. Jimson Bienenstock défend son choix : « Il s’agit de créer une atmosphère de sociabilité, déclare-t-il. Nous sommes moteurs d’interaction, et pas simplement un service de distribution de café. » L’enquête de la BBC ajoute : « Avec ces rangées de travailleurs scotchés à leur ordinateur portable, les cafés ressemblent parfois plus à des bureaux à la carte qu’à des lieux pour se retrouver. »

Le New York Times interroge de nombreux professionnels du secteur : la chaîne Café Grumpy, qui possède plusieurs succursales dans New York, a retiré le Wi-Fi de ses espaces les plus restreints. Il n’est disponible que dans le plus grand des restaurants, à Brooklyn. Pour dissuader les usagers de venir avec leur ordinateur, il y a aussi une autre méthode : faire des tables plus étroites, ou des tables labellisées laptop free (« ordinateurs portables interdits »).

Les cafés sans Wi-Fi restent cependant une exception aux Etats-Unis, où les grandes chaînes comme Starbucks ou Caffè Nero n’ont pas prévu de renoncer à offrir ce service. Selon un spécialiste de l’école hôtelière de l’université de Cornell, retirer le Wi-Fi rend le lieu moins attrayant et peut faire fuir la clientèle. Les consommateurs développent des attentes « liées à leurs habitudes », et pensent naturellement trouver du Wi-Fi quand ils arrivent dans un café.

Le café, « tiers lieu » de la sociabilité urbaine

L’enjeu pourrait paraître futile, mais le café comme lieu de création de lien est essentiel à la vie sociale. La BBC rappelle qu’en 1989 le sociologue américain Ray Oldenburg avait inventé l’expression de « tiers lieu » ou « troisième place » dans son ouvrage The Great, Good Place. Le tiers lieu est un environnement social qui n’est ni la maison ni le lieu de travail. Ce tiers lieu peut être un café (mais aussi un pub, un salon de thé, etc.). « Privés de ces endroits, les gens sont seuls au sein de leurs groupes », écrivait Ray Oldenburg, qui constatait un déclin des tiers lieux en Amérique avec l’essor des banlieues pavillonnaires, dans lesquelles le déplacement se fait en voiture.

Reste à savoir si la présence d’une connexion Internet joue ou pas sur la sociabilité. Certes, la technologie transforme notre rapport au monde et aux autres, en particulier depuis l’arrivée du smartphone – donc de l’Internet à portée de main – qui réduit au maximum les temps « morts », les périodes d’attente et d’ennui, donc les périodes potentiellement disponibles pour créer une interaction avec un inconnu. Mais il est difficile de mesurer si l’interaction entre inconnus dans un lieu public en est si profondément bouleversée.

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La présence de médias dans les lieux publics (livres, journaux, publicités, écrans de télévision) est bien antérieure à la généralisation du Wi-Fi. Des images d’archives, comme celle-ci prise dans le métro new-yorkais en 1963, sont régulièrement partagées sur les réseaux sociaux, comme pour prouver que non, le métro et autres lieux publics n’étaient pas, autrefois, des lieux où l’on sympathisait le temps d’un café.

Selon Rose K. Pozos, une chercheuse spécialiste de la sociabilité urbaine interrogée par le New York Times, se rendre dans un café avec son ordinateur n’est pas nécessairement antisocial. « Les gens ont quand même décidé de venir au café, plutôt que de rester chez eux pour travailler », commente-t-elle. Travailler au café pourrait donc aussi être considéré comme une activité sociale, même si elle est silencieuse. « Il y a une raison sociale pour laquelle les gens vont travailler au café, qui n’implique pas d’interaction directe avec les autres. »

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