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Best of mai – Réflexion sur les photographies d’Irving Penn : Marlene Dietrich, New York, 1948

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Pour commémorer le centenaire de la naissance d’Irving Penn, le Metropolitan Museum of Art a inauguré au mois d’avril une grande exposition pour célébrer un des photographes les plus marquants de notre époque. Riche de plus de 200 tirages (pour la majeure partie issus d’un récent don de la Fondation Irving Penn), cette rétrospective est la plus complète à ce jour et explore toutes les périodes de la carrière prolifique de Penn, qui a œuvré durant soixante-dix ans. Après New York, l’exposition entamera une tournée internationale, avec un premier arrêt en France en septembre, au Grand Palais.

La publication du livre qui l’accompagne, Irving Penn : Centennial, est une occasion en soi. Non seulement il offre la plus grande sélection de photographies de Penn jamais compilée, y compris des travaux qui n’avaient encore jamais été publiés, mais également des essais présentant une perspective intellectuelle pleine de fraîcheur sur cet artiste très secret et sur la personnalité de l’homme derrière les photographies magnifiques. Le livre et l’exposition ont été conçus et co-organisés par Maria Morris Hambourg, qui a fondé le département photographie du Metropolitan en 1992 et connaissait personnellement Penn, et Jeff L. Rosenheim, le commissaire d’exposition actuel de ce même département.

A été demandé à chacun des deux curateurs de sélectionner trois images de l’exposition et de livrer leurs réflexions au rédacteur en chef et directeur de la création du magazine Luncheon, Thomas Persson. Les entretiens retranscrits fournissent un aperçu fascinant sur les circonstances dans lesquelles ces photographies ont été prises, et sur le processus créatif de l’artiste. Marlene Dietrich, un indigène de Nouvelle-Guinée, une femme nue et une nature morte destinées à Vogue, un poissonnier à Londres, deux mégots de cigarette… Les sujets de Penn sont variés et entraient tous dans son récit du monde, soulignant son talent inné pour raconter des histoires, comme ces quelques pages nous le montrent.

Aujourd’hui, nous vous présentons la première partie de cette série, avec quelques commentaires de Maria Morris Hambourg sur Marlene Dietrich, New York, 1948.

 

Thomas Persson : Marlene Dietrich, qui contrôlait son image avec une précision méticuleuse, avait des connaissances en photo et était connue pour diriger les photographes en leur donnant des instructions pour lui tirer le portrait. Mais avec Irving Penn, ça n’a pas été le cas. Que savons-nous sur cette séance de pose ? Que s’est-il passé ?

Maria Morris Hambourg : Penn n’était pas du genre flagorneur. À ce moment-là, son travail était de fournir des portraits qui attireraient les lecteurs vers les pages du magazine. Il voulait un impact psychologique, un coup de poing graphique. Avec Dietrich, il devait déjà avoir une idée qui consistait entre autres à ne pas tenir compte de sa tenue. Il a raconté que dès qu’elle est entrée dans le studio, elle lui a indiqué précisément où diriger la lumière. Il a marqué une pause puis a répondu : « Écoutez, dans cette expérience, vous allez être Dietrich, et moi le photographe » Comment a-t-elle réagi ? « Oh elle était furax, mais elle a cédé », raconte Penn. Elle avait trouvé à qui parler. Au lieu de la représenter en vamp séductrice et offerte aux regards, Penn l’a emmitouflée. Elle est mystérieusement attirante sous cette cape. Son beau visage émerge d’une sorte de chrysalide. C’est surprenant, d’une économie de moyens magistrale : c’est du Penn par excellence.

Thomas Persson : Les décors de Penn de la fin des années 40, avec les encoignures prononcées et les vieux tapis, sont devenus emblématiques. Mais ils ont été créés pour d’autres raisons que leur intérêt esthétique, à une époque où Penn commençait tout juste à prendre des portraits. Comment en est-il venu à utiliser ces éléments ?

Maria Morris Hambourg : Penn a commencé par simplement agencer des choses sur la table. Il était alors surtout un grand photographe de natures mortes. Une fois passé maître dans ce domaine, son éditeur Alexander Liberman l’a poussé à faire des portraits. Penn a avoué qu’au début il n’était « pas vraiment à l’aise pour prendre des personnes en photo ». La disposition tout en angles de son studio était un moyen d’établir un terrain de jeu plus équitable. Quand une grande célébrité entre dans le studio, comment procéder ? Penn m’a dit « Il faut que je les contienne. » Il a dû mettre en place tout un protocole : d’abord il faisait connaissance autour d’un café, prenant le temps d’observer son interlocuteur dans le cadre d’une conversation normale, et cela lui permettait d’avoir des idées de poses. Ensuite ils se rendaient sur le plateau et se mettaient au travail.

Thomas Persson : Penn a raconté qu’il y avait une notion presque sportive de challenge personnel lors de ces premières séances…

Maria Morris Hambourg : Ces sessions étaient sûrement des sortes de joutes. À la fin des années 40, Penn n’était pas encore célèbre, mais il était employé par Condé Nast, l’un des plus puissants empires éditoriaux du monde occidental. En ce sens, il disposait d’un avantage, et il était aussi détenteur de la machine, de l’implacable appareil photographique. Mais face à lui, il s’agissait de célébrités accomplies, qui avaient peaufiné leur armure, leur masque avant de venir, et avaient une idée arrêtée sur la manière dont elles voulaient apparaître. Tout naturellement, il se jouait alors une sorte de bras de fer, de négociation entre les deux parties. Pour en parler, Penn convoquait l’image du base-ball : il adorait l’idée d’un terrain de jeu préétabli, tandis que l’action qui s’y déroule est sujette à variation. Le jeu, c’est toujours l’inconnu. Ce qui se passe dans le studio, c’est la même chose. C’est une danse très éprouvante – il faut de la nuance, de la concentration, c’est un moment électrique et épuisant. Penn était la patience même et ses séances duraient longtemps. Il était comme un grand joueur de poker et comme Avedon l’a fait remarquer, Penn « attendait de voir ».

Thomas Persson : Il a pris en photo les personnalités culturelles les plus influentes du moment. Grâce à leur modernité austère et leur intense humanité, ces portraits de ses débuts se sont retrouvés dans les meilleures pages de Vogue et ont fait connaître le nom d’Irving Penn. En 1950, il était devenu un photographe connu…

Maria Morris Hambourg : Oui, il a pris plus de trois cents portraits d’un éventail très large de personnalités en seulement deux ans (1946-48). Dans cet immédiat après-guerre, New York débordait de nouveaux talents, et les éditeurs de magazines sont parvenus à les attirer. On ne refusait pas une proposition de portrait dans Vogue. De la même manière, lorsque Penn se rendit à Paris en 1948, les célébrités qu’il a photographiées étaient des connaissances de la jeune éditrice de Vogue, feu Edmonde Charles-Roux. Mais dès 1950, les natures mortes de Penn et ses clichés de mode avaient été remarqués. Puis lorsqu’il fit les Collections avec Lisa Fonssagrives comme modèle principal, ces images, ainsi que les premières de Small Trades (petits métiers), scellèrent son succès. Tout était en place dès 1950.

 

 

Thomas Persson est rédacteur en chef et directeur de la création de Luncheon. Maria Morris Hambourg est commissaire d’exposition et a créé le département de photographie du Metropolitan Museum of Art de New York.

 

Irving Penn : Centennial
Du 24 avril au 30 juillet 2017
The Met, Gallery 199
1000 5th Ave
New York, NY 10028
États-Unis

http://www.metmuseum.org/

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