Sans-abri

De la rue au « travail pair »

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Deux fois par semaine, une équipe, dont un « pair aidant » part à la rencontre des SDF PHOTO : Collectif des SDF de Lille

« J’ai connu plusieurs longues périodes de vie dans la rue, trois ans en tout, confie Simon1, la trentaine. La première fois, j’avais 18 ans, après toute mon enfance et mon adolescence passées en familles d’accueil. La rue, ça détruit. J’avais perdu tous mes repères. J’ai plusieurs fois pensé à mettre fin à mes jours. Puis je suis venu à Lille, et après cinq à six mois de vie dans la rue, j’ai découvert le Collectif des SDF de Lille et je me suis adressé à eux. Grâce à l’accompagnement du Collectif, j’ai pu me reconstruire, trouver un appartement et reprendre une vie normale. »

« L’entraide, ça fonctionne »

Aujourd’hui, Simon s’investit à mi-temps comme bénévole au sein du Collectif. Il va notamment au-devant des personnes sans abri lors de maraudes. Il accomplit un travail de « pair aidant », une expression « que l’on entend de plus en plus, note-t-il. Pouvoir venir en aide à mon tour aux sans-abri, cela me fait un bien fou ! Notre soutien est précieux : de par mon vécu et mon expérience, je peux éviter à certaines personnes de faire les mêmes erreurs que moi. On a les bons mots, une approche qui permet de leur dire que rien n’est impossible, qu’il suffit d’un peu de volonté et d’accepter de passer par un temps de réadaptation. Que l’entraide, ça fonctionne. J’ai réussi à reloger certaines personnes, parfois je les croise dans la rue. Le Collectif, c’est ma famille. »

 « Pouvoir venir en aide à mon tour aux sans-abri, cela me fait un bien fou ! »

Créée en 2011, l’association lilloise est née de la volonté de trois personnes ayant vécu dans la rue et dans des structures d’hébergement. Son objectif est de reloger les sans-abri et de faciliter leur réinsertion. Deux fois par semaine, une équipe de trois personnes, toujours composée d’un pair aidant, d’un travailleur social et d’un bénévole, part à pied à la rencontre de personnes sans domicile fixe dans les rues de Lille. Ils leur distribuent des kits hygiène et leur proposent leur aide, en leur expliquant le sens de leur démarche.

Permanence dans le « parc rouge »

En été, ils tiennent aussi une permanence hebdomadaire non loin du centre-ville, dans le « parc rouge », le parc Jean-Baptiste Lebas, ainsi nommé en raison de la couleur des grilles qui l’entourent. « Si la personne l’accepte, on repère ses besoins immédiats et on l’oriente vers les services adéquats, explique Dominique Calonne, vice-président du Collectif, qu’il a rejoint en 2012, suite à un passage de plusieurs mois dans la rue. Nous l’informons sur les différentes solutions d’hébergement et de relogement possibles, et sur les contacts à prendre. Nous pouvons également, si elle le souhaite, l’aider dans ses démarches administratives, pour l’ouverture de droits (CMU, RSA...) par exemple, ainsi que pour faire des points financiers. »

Des logements privés

Le Collectif rassemble aujourd’hui des éducateurs, des personnes actuellement à la rue, hébergées dans des structures d’accueil ou pas, ainsi que des « pairs aidants" (c’est-à-dire des personnes devenues autonomes après un passage par la rue ou dans une structure d’accueil). Favoriser l’entraide entre ceux qui ont connu ou qui connaissent des situations de grande précarité est un des buts que se donne l’équipe.

« Nous ne mettons pas les gens en structure, où on prend des habitudes »

« Ça marche », insiste Dominique Calonne. Selon lui, 320 personnes ont ainsi redémarré une vie normale depuis 2011. Une réussite qu’il explique par le fait que « nous ne mettons pas les gens en structure, où on prend des habitudes. Et parce que nous ne leur demandons jamais de nous expliquer les raisons qui les ont conduits à la rue. S’ils souhaitent nous en parler, bien sûr, nous les écoutons. Et chacun reste libre d’accepter ou non cette aide, et de faire ses propres choix ». Comme beaucoup d’autres, Dominique Calonne a connu « l’escalier », c’est-à-dire l’enchaînement des étapes à franchir pour retrouver un logement. « Cela prend en moyenne deux ans, de l’accueil d’urgence au logement "diffus" [en appartement seul, NDLR], en passant par le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)... Et à chaque étape, on nous demandait de raconter notre histoire et on nous posait des questions, parfois très intrusives : ’Etes-vous homosexuel’ ? Avez-vous fait de la prison ? Votre femme ne peut-elle pas vous reprendre ?’ »

 320 personnes ont ainsi redémarré une vie normale depuis 2011

Une fois les démarches administratives faites, le Collectif reloge les personnes dans des logements privés, qu’il trouve sur leboncoin.fr. « Nous expliquons notre démarche aux propriétaires et nous allons visiter dans un premier temps les logements seuls, pour nous assurer qu’il s’agit de logements décents et que nous n’avons pas affaire à des marchands de sommeil, décrit Dominique Calonne. Puis, dans un second temps, si le loyer permet un reste à vivre, nous allons avec la personne faire une deuxième visite, pour qu’elle ait le choix. Par exemple, certains ne veulent plus retourner dans un quartier lié à de mauvais souvenirs. »

Parmi les nombreux projets en cours figure la création de nouvelles « maisons passerelles », pour des personnes en attente d’obtention d’un logement pérenne. Le Collectif est déjà locataire de deux maisons. Deux éducateurs sont sur place pendant la journée pour donner un coup de main dans les démarches.

Conseiller les travailleurs sociaux

Parallèlement, le Collectif anime des groupes d’expression pour les personnes accompagnées, afin de débattre des lois en vigueur sur les droits et devoirs en structures d’hébergement ou sur d’autres thèmes. Des discussions utiles qui alimenteront les débats au sein du Conseil régional ou national des personnes accompagnées (CRPA et CNPA)2.

Fort de ses résultats, le Collectif fait partie des associations qui oeuvrent pour la création d’un référentiel national pour les pairs aidants, afin de déterminer les conditions dans lesquelles ceux-ci pourraient être embauchés - et rémunérés - pour conseiller les travailleurs sociaux, comme cela existe depuis des années en Belgique et au Canada...

« Ce qui est très important, c’est de changer le regard sur les sans-abri »

« Ce qui est très important, c’est de changer le regard sur les sans-abri. Si nous évoquons notre passé de SDF, nous sommes mal vus, les gens pensent tout de suite que nous avons été alcooliques, que nous sommes des marginaux. La réalité est souvent tout autre. Mais il y a une vraie détresse psychologique et physique. Certains restent fragilisés mentalement, et ils ont besoin de l’entraide. Mon rêve ? C’est qu’il n’y ait plus aucun sans-abri ! », conclut Simon. Le savoir-faire et l’expérience du collectif a fait des petits. Un autre centre est en train d’ouvrir à Marseille, et il y a des projets à Fréjus, Lyon et Reims.

  • 1. Le prénom a été changé
  • 2. Instances de concertation qui associent des personnes accueillies ou accompagnées afin qu’elles participent à l’élaboration de politiques de lutte contre l’exclusion.

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