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TribuneDéchets nucléaires

La Hague, un cimetière radioactif de plus en plus dangereux

Produire du plutonium à partir du combustible usé des centrales nucléaires, les États-Unis l’ont fait à Hanford, la France le fait toujours, à La Hague. L’un et l’autre de ces sites sont devenus des décharges radioactives confrontées à des enjeux de sécurité colossaux, rappelle l’auteur de cette tribune.

Jacky Bonnemains est membre de l’association Robin des bois.


C’est à Hanford, dans l’État de Washington, que les États-Unis ont produit de 1943 à 1987 le plutonium de leur programme militaire. Fat Man, la bombe lâchée à Nagasaki le 9 août 1945, contenait près de 6 kg de plutonium « made in Hanford ». Aujourd’hui, le démantèlement du plus gros parc nucléaire du continent nord-américain est en cours et selon les meilleures estimations sera terminé « un jour ».

C’est à La Hague, Normandie, que la France a produit depuis 1967 du plutonium à usage militaire puis à usage civil. Des bombes nucléaires qui polluent aujourd’hui Mururoa et le Pacifique Sud contenaient du plutonium « made in Normandie ». La production du plutonium à partir des combustibles usés des centrales nucléaires se perpétue. C’est devenu une coutume bien française. En Asie, la France est célèbre pour son plutonium et ses cuisses de grenouilles. Au 31 décembre 2015, il y avait 211 tonnes de plutonium en stock dans un bunker, pas si bunker que ça, à La Hague.

À Hanford, un capharnaüm d’uranium usé, de plutonium, d’acide et de terres toxiques

Sur le site de Hanford, l’effondrement partiel de la couverture du tunnel no 2 où sont remisés 28 wagons contaminés et chargés de 2.200 m3 de résidus de plutonium a été signalé mardi 9 mai 2017 à 8 h 30. Un robot a été immédiatement dépêché sur place pour réaliser des prélèvements d’air et de terre. Le trou béant au-dessus d’un cimetière radioactif ouvert en 1964 en dit long sur la fiabilité du plan de démantèlement de Hanford. L’État de Washington et le gouvernement fédéral espéraient encore, au début de 2017, pouvoir recaser des déchets supplémentaires dans le tunnel no 2 et figer le tout dans un coulis de béton spécial et éternel. « L’enlèvement des wagons ferait supporter aux travailleurs des risques extrêmes et reviendrait beaucoup plus cher que le scellement sur place. » C’est apparemment l’option qui a été choisie pour le tunnel no 1 creusé en 1956 et obturé en 1965. Il contient 8 wagons et 600 m3 de résidus de plutonium et autres déchets hautement radioactifs.

Hanford a laissé en héritage aux 300.000 riverains et à la Columbia River un capharnaüm d’uranium usé, de plutonium, d’acide et de terres toxiques. Plus de 200.000 m3 de déchets chimiques et radioactifs sont stockés dans 177 cuves souterraines, dont certaines fuient. Des millions de tonnes de terres contaminées et de déchets solides sont enfouies dans des fosses ou des tranchées.

Après l’alerte de mardi 9 mai et le confinement pendant plusieurs heures de 4.800 ouvriers chargés du démantèlement du bâti et du regroupement des déchets, le travail a repris à Hanford, sauf dans le secteur 200 où se côtoient l’usine à démolir Purex (pour « plutonium uranium extraction ») et les 2 tunnels maudits et fragiles, dont l’un est désormais ouvert à la pluie et aux courants d’air. Des vibrations provenant d’un chantier voisin auraient provoqué le percement de la toiture du tunnel no 2. Depuis 2008, des spécialistes d’Areva sont en place à Hanford. Ils disposeraient « d’une grande expérience de l’assainissement ».

À La Hague, les dangers du passé se cumulent à ceux du présent et de l’avenir

Et de l’expérience, il en faudra pour assainir, démonter, regrouper et mettre en sécurité la terrible, vieillissante et cachotière plateforme d’Areva-La Hague. Elle continue, elle, vaille que vaille et plutôt en pure perte, à extraire le plutonium des combustibles usés des centrales nucléaires.

Sept Installations nucléaires de base (INB) sont concentrées sur le site de 300 hectares et trop proches les unes des autres. Un problème majeur dans une des quatre INB arrêtées et dans une des trois INB en exploitation et en maintenance compliquerait pour longtemps les activités simultanées de démantèlement, de refroidissement des combustibles irradiés, d’extraction du plutonium et de l’entreposage des déchets vitrifiés en attente d’une solution viable. Dans cet espace contraint et encombré, la bonne gestion des situations d’urgence radiologique serait compromise, voire impossible, et dans tous les cas périlleuse pour la santé des intervenants.

Manifestation de l’association Robin des bois contre le nucléaire à Cherbourg, en 1992.

Dans la fosse « Attila », des déchets plutonigènes ont été entassés entre 1969 et 1981 sous la responsabilité du CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Le CEA, encore lui, a exploité pendant trois ans une unité de production de sources scellées au cesium-137 et au strontium-90. Le démantèlement avait commencé en 1981. Il a été interrompu en 1992. Tout est resté en plan. Les silos 115 et 130 ne sont que des fosses creusées dans le sol. Ils contiennent des déchets en vrac de la filière UNGG (pour « uranium naturel graphite gaz »), des gravats, des déchets technologiques divers, des pastilles d’uranium. Le silo 130 a pris feu en 1981. Il a été noyé par les eaux d’extinction. Il ne sera pas vidangé avant 2022.

« Ces opérations de reprise présentent des risques de dissémination des substances radioactives et d’exposition des travailleurs à des rayonnements ionisants ; ces risques sont toutefois de moindre ampleur et mieux maîtrisables que ceux présentés par la situation actuelle du silo 130 », écrit l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). À La Hague, les dangers du passé se cumulent à ceux du présent et de l’avenir. L’ASN multiplie les alertes sur le vieillissement de l’INB 116, la plus récente. L’atelier de séparation de l’uranium, du plutonium et des produits de fission est gagné par la corrosion. La Hague est à la croisée de tous les chemins et de toutes les impasses de la filière nucléaire. Trop compliqué pour décider quoi que ce soit. La Hague est devenue tabou. La Hague est à bout.


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