Jusqu’à présent, il avait décliné toutes les offres présidentielles. Celle de Jacques Chirac, l’année de sa réélection, en 2002. Celle de Nicolas Sarkozy, qui lui propose en 2007 un ministère englobant l’écologie, le développement et l’aménagement durables, finalement attribué à Jean-Louis Borloo. Celle de François Hollande, qui cherche à le convaincre, au début de 2016, d’accepter un poste-clé dans le gouvernement en cours de remaniement.
Cette fois, Nicolas Hulot a franchi le pas. Nommé mercredi 17 mai à la tête d’un grand ministère de la transition écologique et solidaire, l’ancien animateur d’« Ushuaia, le magazine de l’extrême » relève son défi le plus audacieux : orienter l’action gouvernementale dans la voie de la transition écologique et énergétique.
C’est une prise de guerre pour Emmanuel Macron. Un « coup de génie », insiste l’ancien eurodéputé Daniel Cohn-Bendit : « Hulot est typiquement le mec qui n’est ni à droite ni à gauche mais à droite et à gauche. » Avec ce ralliement, le nouveau président dérobe à la gauche l’une de ses thématiques fortes, qui avait été placée au cœur des projets présidentiels de Benoît Hamon (PS) et de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise).
Il s’adjoint non seulement un emblème de la lutte en faveur de l’environnement et du climat et l’une des personnalités préférées des Français, mais il balaie aussi les critiques – exprimées jusque parmi certains de ses soutiens – sur son peu de sensibilité aux questions environnementales.
L’accord de principe a été scellé vendredi 12 mai, lors d’un tête-à-tête entre le militant écologiste et le nouveau président de la République, au QG de ce dernier. « C’est une décision mûrie, assure Jean-Paul Besset, un proche de Nicolas Hulot. Il pense qu’il y a une véritable opportunité de réaliser un certain nombre de choses. Il connaît Macron depuis plusieurs mois et il a trouvé une oreille très attentive. » Le nouveau ministre est convaincu de l’impérieuse urgence à contenir le changement climatique qui menace la planète. C’est aussi pour lui, à 62 ans, l’occasion de passer véritablement à l’action pour espérer faire émerger « un nouveau modèle de société » plus durable et plus solidaire.
Le ralliement de M. Hulot a été facilité par la présence de certains de ses proches dans l’équipe d’Emmanuel Macron. Parmi eux, Matthieu Orphelin, ancien porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme, créée par l’ex-animateur en 1990, est candidat aux législatives dans le Maine-et-Loire sous l’étiquette La République en marche. Cet intime de « Nicolas » a contribué à « verdir » le programme d’Emmanuel Macron.
A-t-il obtenu des garanties du chef de l’Etat de pouvoir peser vraiment ? « Son rang de ministre d’Etat, numéro trois du gouvernement, va lui permettre d’intervenir dans tous les dossiers et pas seulement sur ses prérogatives », relève Pascal Canfin, directeur général du WWF France et ancien ministre délégué au développement (2012-2014).
L’enrôlement de Nicolas Hulot n’a sans doute été possible qu’en lui ménageant des marges de manœuvre dans la mise en place de politiques environnementales – sous peine d’une démission tonitruante dans les prochaines semaines. Ses proches rappellent que l’expérience acquise entre décembre 2012 et janvier 2016 comme envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète, dans le cadre des négociations de la COP21, a développé chez lui une véritable « capacité à gagner des arbitrages ».
Sceptique quant à l’utilité de la croissance économique en tant que telle, chantre de la fiscalité écologique et grand contempteur des formes actuelles du capitalisme, adversaire farouche des traités commerciaux transatlantiques, du modèle agricole dominant ou encore du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le nouveau ministre de l’écologie apparaît en effet peu compatible avec une politique du laisser-faire seulement destinée à accompagner les forces du marché.
« Commandant couche-tôt »
Il pourrait être rapidement mis à l’épreuve dans l’un des dossiers laissés en jachère par François Hollande, le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Ouvert dans les années 1960, ce sujet est hautement symbolique pour les écologistes. Nicolas Hulot en avait fait une ligne rouge, en en demandant l’abandon, avant de reconnaître le résultat du scrutin local de juin 2016 en faveur du transfert de l’actuel aéroport de Nantes vers le nord de la métropole. « Je prends acte de ce vote démocratique, je m’incline », déclarait-il sur Europe 1, en avril, tout en critiquant le périmètre de la consultation. Pour sortir de l’impasse, le premier ministre, Edouard Philippe, a confirmé, jeudi 18 mai, la nomination d’un médiateur en vue d’une décision « claire et assumée ».
En revanche, le nucléaire ne devrait pas être un point d’achoppement avec le chef de l’Etat. Nicolas Hulot a longtemps défendu cette source d’énergie peu émettrice de gaz à effet de serre, puis revu sa position après l’accident de Fukushima, au Japon, en mars 2011. Il soutient depuis une sortie progressive de l’atome. Emmanuel Macron s’est engagé à diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique de 75 % à 50 %.
Dans ses priorités, Nicolas Hulot appelle à une révision profonde du système fiscal pour réformer les modes de production et de consommation et à une planification de la transition énergétique sur plusieurs décennies. L’impétrant veut par ailleurs organiser un « Grenelle de l’alimentation », sur le modèle du Grenelle de l’environnement dont il avait été l’instigateur en 2007. Ce rendez-vous permettrait de mettre autour de la table tous les acteurs de la filière afin d’assurer l’émergence d’un modèle garant de la souveraineté alimentaire et débarrassé de tout pesticide.
Pour celui que ses proches gratifient du surnom de « Commandant couche-tôt », l’aventure gouvernementale signe l’aboutissement d’un engagement militant mené depuis plus d’une décennie aux marges du monde politique. Inspirateur du célèbre « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », prononcé en 2002 par Jacques Chirac au Sommet de la Terre de Johannesburg ; auteur du pacte écologique signé en 2007 par les principaux candidats à la présidentielle ; éminence grise de François Hollande durant la COP21, en décembre 2015, l’ancien animateur n’a cessé de chuchoter à l’oreille des puissants.
La tentation d’une candidature sous son nom
Il a longtemps hésité en revanche à mener de front le combat politique. En 2011, il se lance dans la primaire écologiste en vue de la présidentielle de 2012, mais sa campagne est un désastre. « Il pensait qu’il était prêt, racontait au Monde, en décembre 2014, l’eurodéputé Pascal Durand, l’un des proches du nouveau ministre. Mais il s’était seulement mis d’accord avec lui-même. Il n’aime pas le conflit. Pendant la primaire, il n’a pas voulu taper sur ses adversaires, alors qu’en face, ils ne s’en privaient pas. » Il en sort défait et meurtri. Eva Joly rassemble près de 60 % des suffrages.
En 2016, pendant quelques mois, il étudie cette fois la possibilité de se porter personnellement candidat à la présidentielle et organise autour de lui une « task force », dévouée à mobiliser la société civile sur son nom. Mais face à l’âpreté de la bataille présidentielle à venir, il renonce brutalement, le 5 juillet, à « endosser l’habit de l’homme providentiel et présidentiel ».
Les mois passent et les regrets aussi pour cet « optimiste désespéré » qui avoue refaire « chaque nuit, le procès de la veille ». Après le renoncement du président en exercice, François Hollande, le 1er décembre 2016, il confie, dans sa retraite de Bretagne, que la décision de ne pas concourir à l’élection présidentielle « est la plus lourde » de son existence. Son épouse, si réticente quelques mois plus tôt, l’incite à revoir sa décision. Mais le temps est trop court et Emmanuel Macron déjà trop installé dans le paysage.
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