Robert Mueller © Reuters

Nomination d’un super enquêteur pour l’enquête Trump-Russie

Le ministère de la Justice a nommé un procureur spécial pour garantir l’indépendance de l’enquête sur une éventuelle collusion entre des proches de Donald Trump et la Russie. Une décision rare et un énième rebondissement dans cette affaire qui assombrit le mandat du président américain.

Le numéro deux de la Justice, Rod Rosenstein, a annoncé la nomination de Robert Mueller, très respecté directeur du FBI de 2001 à 2013, sous George W. Bush puis Barack Obama. Le ministre de la Justice, Jeff Sessions, proche du président, s’était récusé en mars dans l’enquête sur les ingérences russes dans la campagne présidentielle de 2016.

La nomination vise à isoler les investigations du pouvoir politique en réduisant au minimum la supervision de ce ministère, qui exerce la tutelle du FBI et donc sur les agents qui enquêtent depuis l’été dernier dans cette affaire mêlant politique et espionnage.

Le milliardaire républicain, qui se plaignait encore le matin d’être maltraité par les médias, a réagi sèchement par voie de communiqué, sans mentionner M. Mueller.

« Comme je l’ai dit à de nombreuses reprises, une enquête complète confirmera ce que nous savons déjà: il n’y a eu aucune collusion entre mon équipe de campagne et une entité étrangère », a-t-il déclaré, ajoutant: « Je suis impatient que cette affaire se conclue rapidement ».

La nomination représente un revers et une surprise pour la Maison Blanche, pour qui l’enquête actuelle se suffisait à elle-même.

Dans un consensus rare, à l’inverse, élus républicains et démocrates ont applaudi la nomination de M. Mueller.

« Bob était un bon procureur fédéral, un grand directeur du FBI et on ne pourrait pas trouver de meilleure personne pour assumer cette fonction », a déclaré la sénatrice démocrate Dianne Feinstein.

« Mueller est un superbe choix. Un CV impeccable. Il sera largement accepté », a tweeté l’élu républicain Jason Chaffetz. « Un choix excellent », a abondé la sénatrice républicaine Susan Collins.

Concrètement, M. Mueller devient le chef de l’enquête et sera beaucoup plus indépendant qu’un procureur normal ou que le patron du FBI. Il ne peut être démis que pour faute.

Son périmètre d’investigations inclut « tout lien et/ou coordination entre le gouvernement russe et des individus associés à la campagne du président Donald Trump », mais aussi « tout sujet » découlant de ces investigations, ce qui lui donne de facto les coudées franches.

C’est un magistrat équipé de pouvoirs similaires, Kenneth Starr, qui avait failli faire tomber le président Bill Clinton dans l’affaire Whitewater, devenue affaire Monica Lewinsky, dans les années 1990.

Le procureur spécial, super enquêteur aux Etats-Unis

Très rare dans les sagas politico-judiciaires aux Etats-Unis, le procureur spécial est un super enquêteur aux pouvoirs élargis et à l’indépendance renforcée. Contrairement à un simple procureur fédéral, un procureur spécial (autrefois appelé « indépendant ») dispose d’une plus grande latitude d’action.

Il est nommé quand des fortes suspicions de conflit d’intérêt gangrènent une enquête touchant à des institutions clés du pouvoir, ou encore quand des « circonstances extraordinaires » le justifient au nom de « l’intérêt du public ».

Par exemple, la ministre de la Justice Janet Reno avait chargé en 1999 le sénateur John Danforth de diriger l’enquête sur le rôle du FBI dans l’assaut mené en 1993 contre la secte des davidiens à Waco au Texas.

Le procureur spécial n’a pas à tenir informé sa hiérarchie de chacune des étapes de son enquête, même s’il demeure théoriquement subordonné au ministre de la Justice et a fortiori au président.

Le ministre de la Justice (ou son adjoint si le ministre s’est comme en l’espèce récusé) n’a pas à justifier ses critères de choix d’un procureur spécial, qu’il est libre de choisir dans le secteur privé s’il le souhaite. C’est d’ailleurs le cas avec Robert Mueller, actuellement membre d’un cabinet juridique privé qu’il va quitter. M. Mueller a été désigné par l’Attorney general adjoint Rod Rosenstein, à qui il devra rendre compte.

Un procureur spécial peut lancer des commissions rogatoires, exiger davantage de moyens d’enquête, mais doit toutefois prévenir le ministre (ou son adjoint) des actions importantes qu’il prévoit de faire. Le ministre a le droit de s’opposer à un acte d’enquête souhaité par le procureur spécial et peut à tout moment révoquer le procureur spécial qu’il a nommé s’il juge qu’il a commis une faute grave ou qu’il se retrouve en situation de conflit d’intérêt.

L’un des procureurs spéciaux les plus connus reste Archibald Cox, qui enquêtait sur l’espionnage du parti démocrate dans l’immeuble du Watergate à Washington.

Le président Richard Nixon l’avait sèchement limogé lors d’un épisode baptisé le « Massacre du samedi soir » au cours duquel le ministre de la Justice Elliot Richardson et son adjoint William Ruckelshaus avaient démissionné. L’affaire coûta finalement son poste au président Nixon.

– Première tournée internationale –

Les élus démocrates du Congrès ont crié victoire, bien que certains estiment qu’il ne s’agisse que d’une première étape et réclament la création d’une commission spéciale sur la Russie, au mandat plus large que la stricte enquête policière.

L’opposition réclamait unanimement la nomination d’un procureur spécial depuis le limogeage soudain du directeur du FBI James Comey, le 9 mai, soupçonnant une tentative d’entrave à la justice.

Depuis cette éviction brutale, la presse a rapporté que Donald Trump aurait fait pression sur M. Comey pour qu’il classe le volet de l’enquête concernant Michael Flynn, son éphémère conseiller à la sécurité nationale soupçonné de jeux troubles avec les Russes. Le policier aurait refusé, mais consigné cette conversation dans des notes qui ont commencé à fuiter dans les médias.

M. Comey a été invité à s’expliquer lors d’auditions publiques au Congrès mais n’avait pas encore accepté mercredi soir.

Le milliardaire a aussi admis dans une interview que le limogeage était lié à son exaspération vis-à-vis de l’enquête sur les ingérences russes.

Au Congrès, la majorité républicaine avait rejeté les appels à un procureur spécial mais exprimait depuis des jours son malaise face aux interventions du président dans l’enquête.

L’inquiétude a atteint les milieux d’affaires et Wall Steet a terminé la journée de mercredi sur sa plus forte baisse depuis l’élection de novembre.

Jeudi matin, les Bourses de Tokyo, Shanghai et Hong Kong ont ouvert en nette baisse, plombées par la chute du dollar découlant des déconvenues politiques du président Trump.

A ces événements s’ajoutait une affaire distincte, reflétant selon les détracteurs de l’homme d’affaires son incapacité à exercer la fonction suprême.

Donald Trump aurait donné au chef de la diplomatie russe et à l’ambassadeur de Moscou, dans le Bureau ovale le 10 mai, des informations secrètes sur un projet d’opération du groupe Etat islamique, déclenchant la consternation parmi les élus et dans les milieux du renseignement.

Pour le chef d’Etat, le calendrier est particulièrement inopportun, car il doit s’envoler vendredi pour une tournée internationale de huit jours.

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