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Déchets

Au festival de Cannes comme dans les salons, l’énorme gâchis des moquettes jetables

Utilisées pour quelques jours, voire quelques heures, les moquettes du secteur de l’événementiel, comme le tapis du Festival de Cannes, génèrent des tonnes de déchets. Des solutions existent pour éviter ce gâchis.

Soixante mètres de long, un rouge impeccable et une renommée mondiale. Le tapis rouge de Cannes est aussi célèbre que les actrices qui le foulent. Mais il est aussi le symbole d’un énorme gâchis. Changés plusieurs fois par jour, des kilomètres de moquettes partent ainsi en fumée durant les dix jours que dure le festival. Ainsi, du 17 au 28 mai, les 200 m2 de moquette rouge qui servent à tapisser les marches du Palais des festivals, seront changées deux à trois fois par jour, après chaque séance. En 2013, l’association Greenpride avait lancé une pétition à ce propos. Depuis, les organisateurs du festival semblent faire des efforts : le tapis ne part plus en décharge, mais est récupéré pour produire d’autres matériaux. C’est insuffisant selon l’association, qui estime que le problème reste entier : « Le meilleur déchet est celui qu’on ne crée pas. »

Le tapis rouge, de Cannes ou d’ailleurs, est la partie émergée de l’iceberg. Le secteur de l’événementiel est parmi les plus gros consommateurs de moquettes. Chaque année, 1.135 foires et salons sont organisés en France, soit une surface de stands d’exposition de près de 6 millions de mètres carrés. Foire de Paris, Fashion Week, Salon de l’agriculture, autant de gros consommateurs de moquettes à usage unique.

Principaux fournisseurs de ces moquettes éphémères, l’entreprise belge Beaulieu et la Française Sommer. « Nos moquettes sont utilisées quelques jours, en moyenne une semaine, puis jetées », reconnaît Peter Joris, directeur des ventes chez Sommer.

Des tonnes de moquettes qui seront, in fine, enfouies en décharge ou incinérées. En effet, ces moquettes de qualité médiocre sont impossibles à réutiliser ou à recycler, d’autant que le tri sur les salons n’est pas systématique et que les filières de recyclage font largement défaut [1]. Dans ce contexte, « la solution la plus simple est la benne », reconnaît Joëlle Bakouche, directrice de la logistique chez Comexposium, un des principaux organisateurs de salons.

Une moquette biodégradable avec de l’amidon de maïs ou de betterave 

Ce qui n’est pas sans poser un problème environnemental majeur. Pour leur fabrication, les moquettes, faites à partir de plastique, sont gourmandes en pétrole, en énergie et en eau. « L’extraction des matières premières et la fabrication sont responsables de deux tiers de l’impact environnemental », explique Laure Rondeau Derroche [2], responsable du développement durable chez Interface, un des leaders mondiaux de fabrication de moquettes.

À la fin du salon, la moquette finit à la benne.

Une fois en décharge, les moquettes synthétiques se dégradent très lentement. Mélangées avec d’autres déchets, elles peuvent entraîner l’infiltration de lixiviats (liquides issus du processus de décomposition) — concentrés de polluants et de substances toxiques. La décomposition des déchets libère également du méthane, un gaz à effet de serre 21 fois plus puissant que le CO2, récupéré seulement en partie par les systèmes de captage. L’incinération n’est pas une bien meilleure option. Les fumées issues de la combustion sont chargées en produits toxiques et doivent faire l’objet d’une filtration et d’un traitement.

Pourtant, des solutions existent. Encore minoritaires ou expérimentales, elles dessinent le futur de la filière. Il y a quelques années, le fabricant Sommer a créé une moquette biodégradable qui a recouvert les allées de la conférence de Copenhague sur le climat (COP15, en 2009). « Une moquette écologique », s’enthousiasme Peter Joris. « Lorsque le prix des matières premières a commencé à grimper dans les années 1990 et 2000, nous avons trouvé un nouveau processus de fabrication à partir de l’acide lactique (obtenu par l’amidon de maïs ou de la betterave). Une fois transformé en acide polylactique, c’est un polymère entièrement biodégradable », assure-t-il. Mais les résultats ont été limités. La moquette biodégradable n’a jamais dépassé 1 % de leur production. « L’inconvénient était double : son prix et la difficulté de stocker le produit, explique-t-il. Ces moquettes entraient en décomposition très rapidement. Après quelques semaines, des trous commençaient à apparaître. » Depuis, la production a été stoppée.

La prometteuse location de dalles de moquettes 

Plus prometteur à grande échelle, la location de dalles de moquettes. Certains salons commencent à y avoir recours comme le Salon de l’aéronautique et de l’espace ou les 24- Heures du Mans. Cela nécessite l’usage de moquettes de meilleure qualité, des dalles et non plus des rouleaux. Elles sont plus résistantes, faciles à installer et à détacher en vue d’une réutilisation ultérieure. Leader dans la location de dalles, l’entreprise La Compagnie-JMT France habille déjà 100.000 m2 de sols chaque année et assure pouvoir couvrir 30 % à 40 % des besoins du secteur. Selon son directeur, Olivier Budin, « c’est une solution alternative, avec zéro déchet et une réutilisation jusqu’à 50 fois des dalles de moquettes ». Un bon calcul pour l’environnement. Selon lui, 725 tonnes équivalent CO2 ont été évitées depuis le début de ce programme, soit 10.000 tours du périphérique parisien en voiture [3].

Une fois usées et impropres à la location, les moquettes sont reprises par le fabricant, Tarkett-Desso, qui assure leur recyclage. Une partie des moquettes réintègrent ainsi la boucle de fabrication sous le principe de l’économie circulaire [4]. D’autres entreprises se sont lancées sur ce créneau (GL Events ou Solutions événements), mais elles sont encore peu nombreuses sur le marché. « La location n’est pas forcément plus chère que l’achat de moquette neuve, mais cela suppose une plus grande anticipation pour l’organisation du montage et du démontage de la moquette », explique Olivier Budin.

Solution plus radicale encore, certains envisagent de se passer complètement de moquettes dans les salons, en privilégiant l’usage de sols nus. Joëlle Bakouche, de Comexposium, raconte avoir fait des essais dans ce sens. « Depuis cinq ans, nous avons diminué le volume de moquettes dans les salons. 15 % en moyenne de la surface reste à nu », assure-t-elle.

Tous les acteurs de la filière doivent s’impliquer 

Mais les clients ne seraient pas forcément prêts à sauter le pas si l’on en croit Philippe Chomat, directeur de la communication du salon Maison et Objets, à Paris : « Les clients veulent du confort et se sentir bien accueillis. Un salon sans moquette peut sembler moins attrayant. »

Il y a pourtant une prise de conscience des professionnels du secteur, selon l’Union française des métiers de l’évènement (Unimev), qui réfléchit à comment inciter ses adhérents à renoncer à l’usage de la moquette jetable.

Pour Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France, un changement de mentalité est nécessaire : « Il faut que la démarche environnementale soit davantage valorisée et devienne un avantage compétitif, notamment à l’international, et non pas un frein. » Tous les acteurs de la filière doivent s’impliquer. Depuis les fabricants et les fournisseurs qui doivent proposer des produits écoconçus, durables et recyclables, aux gestionnaires des foires et aux organisateurs qui doivent aménager l’espace, réduire au maximum l’usage de moquettes et recourir le cas échéant systématiquement aux services de location. Alors seulement, les foires et salons seront débarrassés de moquettes jetables superflues.

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