Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Reportage

« Ma maison a été utilisée pour le viol de filles yézidies »

Manar, originaire de Qaraqosh, vit depuis bientôt trois ans dans un camp de réfugiés tenu par la congrégation de Mar Moussa el-Habachi, fondée par le père Paolo Dall'Oglio.

Devant le couvent mis en place par le père Dall’Oglio, Manar entourée de ses filles aînée et benjamine, de son mari, de sa belle-mère et de son beau-frère.

« Comment voulez-vous que je revive dans ma maison. Elle a été utilisée par Daech pour le viol de filles yézidies. Quand nous sommes rentrés pour l'inspecter en octobre dernier, après le départ des miliciens de l'État islamique (EI), nous avons trouvé leurs vêtements et aussi des costumes traditionnels de filles et de femmes yézidies. Nous avons rassemblé tous ces vêtements et nous les avons brûlés loin de chez nous, dans un terrain vague. Comment voulez-vous que je revive dans un endroit où tant d'âmes ont été torturées, où tant de personnes ont souffert ? »

Manar, 35 ans, syriaque-catholique, est assise sur un canapé non loin de sa machine à coudre, dans un petit camp de réfugiés à Sulaymaniya, tenu par des prêtres appartenant à la congrégation de Mar Moussa el-Habachi, fondée par le père Paolo Dall'Oglio, disparu en Syrie en 2013.
Elle était l'une des plus importantes couturières de Qaraqosh, localité de 65 0000 habitants chrétiens, investie par Daech le 7 août 2014. « Nous avons habité la maison uniquement six mois. Elle était toute neuve. Nous nous étions endettés pour la construire et la meubler. D'ailleurs, même aujourd'hui nous devons encore à nos amis et connaissances 24 000 dollars », dit-elle.

« Avant, il nous était possible de rembourser l'argent, je travaillais, mon mari aussi. Il transportait à bord de sa camionnette des marchandises de Qaraqosh vers Mossoul, Erbil ou d'autres villes du Kurdistan. Aujourd'hui, il a trouvé un emploi auprès de la congrégation. Il est leur chauffeur », poursuit-elle.
Manar et son mari ne sont pas prêts d'oublier le départ de Qaraqosh, dans la nuit du 6 au 7 août 2014.
« Il y eut un premier départ quand Mossoul est tombée, pour quelques jours, mais nous étions rentrés. Puis, deux semaines plus tard, c'était l'exode. Nous avons attendu jusqu'à minuit. Mon beau-frère était policier auprès de l'évêché. Il nous a dit que les soldats kurdes se replieront et qu'il fallait partir. Nous avons pris la route. De Qaraqosh à Erbil, le chemin nous a pris huit heures, au lieu d'une heure et demie, à cause des embouteillages. Nous avons été pris entre deux feux à un barrage des peshmergas, nous avons pris la fuite et nous avons oublié notre fils en voiture, car il dormait », raconte cette mère de quatre enfants.
La famille arrive à Ankawa, banlieue chrétienne d'Erbil, y passe une nuit dans un hôtel payé trop cher et met le cap le lendemain sur Sulaymaniya.

« Nous étions huit familles, tous parents et voisins. Nous avons logé dans une grande salle dans le couvent du père Dall'Oglio. Au bout d'un an, nous avons déménagé ici dans une vieille maison proche des préfabriqués mis en place par la congrégation », poursuit-elle.
Au couvent, Manar donne des cours de couture aux femmes réfugiées ainsi qu'aux musulmanes qui habitent le quartier.

 

(Lire aussi : Beyrouth-Erbil : le vol de ceux qui font leurs adieux...)

 

« Mon frère esclave de l'État islamique »
« La famille de mon mari vit entre Sulaymaniya et Erbil, alors que mon père et ma mère sont à Erbil. Mes frères, sœurs et cousins ont quitté l'Irak pour le Canada, la Suède, le Danemark, l'Allemagne, la France, l'Australie et aussi le Liban, où ils attendent d'être relocalisés dans un pays tiers.
« Mes parents ne veulent pas quitter l'Irak parce qu'ils attendent le retour de mon frère pris en otage par Daech. Il devrait avoir 28 ans aujourd'hui. C'est que mon père n'a pas voulu quitter Qaraqosh, et mon plus jeune frère a décidé de rester avec lui. Une fois leur cachette découverte, mon père a été obligé de partir, mais les miliciens n'ont pas relâché mon frère. L'un d'eux a dit à mon père qui refusait de partir : "Ton fils te suivra." Et mon père attend depuis.

« Il y a un an, nous avons reçu la visite du nonce apostolique et d'un émissaire du Vatican. Je leur ai donné le nom de mon frère, en leur disant que je voulais simplement savoir s'il est mort ou vivant. Une semaine plus tard, le nonce apostolique m'a appelée pour me dire "l'homme qui porte ce nom est toujours vivant, il se trouve à Raqqa en Syrie, prisonnier de Daech". Il semble que l'État islamique fait faire des travaux à ses prisonniers hommes, comme des esclaves », dit-elle.

Manar, qui raconte son histoire devant ses enfants, parle calmement, sans verser de larmes, comme si elle évoquait un quotidien banal.
Elle se tourne vers sa fille benjamine qui avait perdu la parole durant trois mois après le départ de Qaraqosh et qui, jusqu'à présent, a du mal à s'exprimer quand elle est trop fatiguée.
Elle lui demande de chanter un hymne que la petite a appris à l'école. La fillette de sept ans se lève et chante : « Nous rentrerons, malgré toutes les peines et malgré le temps qui passe. Nous rentrerons, car nous n'oublierons jamais notre terre et nos églises. Ô Baghdida (le nom syriaque de Qaraqosh), ô Baratalla, ô Mossoul, attendez-nous car nous rentrerons. »

La famille compte revenir à Qaraqosh en septembre, avec la rentrée des classes « si la sécurité des chrétiens est instaurée et garantie par la communauté internationale », martèle Manar... Entre-temps, Qaraqosh est toujours en ruine et la communauté internationale n'a pas été secouée par le sort qui a été réservé aux chrétiens d'Irak.

 

Lire aussi 

Les chrétiens d'Orient, de l'inquiétude à l'exil

En Irak, Qaraqosh libérée de l’EI, mais toujours ville fantôme

Pour mémoire 

Accorder l'asile aux chrétiens d'Orient est "l'honneur de la France", dit son Premier ministre

« Comment voulez-vous que je revive dans ma maison. Elle a été utilisée par Daech pour le viol de filles yézidies. Quand nous sommes rentrés pour l'inspecter en octobre dernier, après le départ des miliciens de l'État islamique (EI), nous avons trouvé leurs vêtements et aussi des costumes traditionnels de filles et de femmes yézidies. Nous avons rassemblé tous ces vêtements et nous...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut