La modération de Twitter est-elle à géométrie variable ?

Zapping décrypté : Quand les réseaux sociaux jouent bêtement aux censeurs, cela donne une modération à géométrie variable.

Par Tris Acatrinei

  • 5 min

Tris Acatrinei

Nous allons temporairement quitter le monde des séries et des films pour rejoindre une autre facette de l’industrie du divertissement et de la communication, à savoir les réseaux sociaux, mais plus particulièrement, Twitter.

Comme chacun sait, Twitter est un réseau social de micro-blogging, extrêmement populaire, où se mélangent allégrement anonymes, personnalités politiques, comptes sérieux et institutionnels et d’autres, beaucoup moins sérieux. Malheureusement, comme n’importe où ailleurs, y sévissent des personnes malveillantes et pour mettre fin à certains agissements, on se tourne vers une équipe de modération.

Le problème est que la modération de Twitter est à géométrie extrêmement variable et ne semble pas concerner les comptes haineux, racistes, appelant au meurtre, au viol, divulguant des données personnelles ou des informations susceptibles de mettre en péril la sûreté de l’Etat mais en premier lieu : les femmes.

Je l’avais déjà expérimenté à mes dépens : il ne fait pas bon de s’afficher en tant que femme, que ce soit sur sa photo de profil ou dans ses propos car on devient une cible, non seulement pour les trolls en tout genre mais également pour la modération de Twitter, qui applique ses pseudo-règles avec une rigueur digne de taliban. Ainsi, le compte de Sœur Marijuana, cible de l’extrême-droite française a fait l’objet d’une campagne de signalement, ce qui lui a valu la suspension définitive de son compte. Elle en a créé un deuxième puis un troisième, qui ont également été suspendus. En effet, il est interdit de se créer un autre compte Twitter après suspension définitive, ce qui veut dire que si vous êtes banni, vous êtes banni à vie. Cette règle n’est pas sans poser quelques problèmes, comme nous le verrons plus loin.

Tous les administrateurs qui ont fait de la modération, que ce soit sur leurs sites, sur IRC, sur des forums savent que cette règle du bannissement définitif est d’une stupidité confondante. Tout d’abord, la règle implicite veut que l’on prévienne au préalable la personne que son comportement peut lui valoir des sanctions. On bannit ensuite temporairement et on laisse la personne revenir et si son comportement est toujours problématique, on peut bannir définitivement, mais rien ne garantit que la personne ne reviendra pas sous une autre identité. A titre d’exemple, sur le forum Koreus, j’ai enfreint sans le savoir une règle concernant les posts. Cette violation m’a été signalée, j’ai corrigé le tir, je me suis excusée et cela n’est plus arrivé.

Mais Twitter ne fait pas preuve de la même mansuétude à l’égard des femmes. Sœur Marijuana et moi-même avons été bannies de Twitter pour un tweet. Je ne sais pas combien de tweets avaient Sœur Marijuana mais le mien affichait environ 30 000 tweets, un peu plus de 3 000 followers dont certains historiques du réseau social et avait presque 6 ans. Un tweet très virulent de ma part à une personne, qui m’avait au préalable vertement insulté, m’a valu une suspension définitive, sans même me laisser la possibilité de supprimer le message litigieux, anéantissant ainsi 6 ans de de réseautage. Curieusement, d’autres tweets de comptes assez haineux, malgré des signalements, n’ont jamais été effacés et leurs propriétaires n’ont jamais subi la moindre sanction.

Pourquoi spécialement les femmes ? C’est peut-être une impression et j’admets volontiers que mon manque de recul sur la situation peut jouer.

Les différentes tentatives de dialogue sont restées sans effet, si ce n’est dire, en substance « les règles sont les règles ». Notons au passage que Damien Viel, directeur général de Twitter France, s’est courageusement drapé dans un silence de bon aloi, n’étant pas à une contradiction près. Outre sa fière « filiation » avec « jamais sans elles », il prétend se battre pour que tout le monde ait le droit à la parole. Mais, manifestement pas les femmes ni les véritables lanceurs d’alerte.

Ainsi, le compte du webzine Reflets.info, bien connu des Internets s’était fait suspendre son compte, tout comme Kitetoa. Après de longues tractations – et de cérémonies vaudoues ? – ils ont fini par récupérer leurs comptes. Mais pas Benjaltf4, qui débunke l’église de scientologie. Son compte a été définitivement suspendu alors beaucoup reconnaissent que son travail est d’utilité publique.

Point commun de tous les comptes mentionnés ? Ils ne sont pas certifiés par Twitter. En effet, pour que votre compte soit certifié, si vous êtes un particulier, vous devez mettre une photo de votre visage or quand on souhaite garder un minimum d’anonymat, mettre une photo n’est pas une bonne idée. Point commun de certains comptes, qui violent ouvertement les règles de Twitter et parfois même de la loi ? Ils sont certifiés, donc considérés comme intouchables.

Le problème que vont rencontrer Twitter France et ses représentants est le possible non-respect de loi de 1978 sur les données personnelles. En effet, pour veiller à ce que les comptes bannis ne puissent pas se réinscrire sous une possible autre identité, Twitter archive les données personnelles notamment les adresses emails mais également le numéro de téléphone et vraisemblablement d’autres éléments. Or, en France, ces informations sont considérées comme des données personnelles et chaque utilisateur a le droit de réclamer la suppression définitive des fichiers d’une plateforme quelconque, y compris un réseau social, y compris si l’entreprise n’est pas en France. Le non-respect de cette obligation se traduirait par des sanctions pénales et surtout financières.

Attendu qu’un certain nombre d’utilisateurs font usage de Twitter comme d’un outil professionnel ou semi-professionnel, la suspension définitive d’un compte, sans possibilité de le récupérer, alors que la sanction appliquée n’est pas nécessairement proportionnée à la faute reprochée, pourrait-on voir sous nos latitudes ou chez nos amis Américains des procès pour préjudice moral du fait du bannissement définitif de certains utilisateurs, argument qui pourrait être appuyé par le fait que Twitter a une position hégémonique ?

Sur la question du préjudice, cela reste pour le moment du droit-fiction mais gageons que les Américains et leurs avocats sont très imaginatifs, surtout quand il s’agit d’argent. Quant à la question des données personnelles, si Twitter refuse de me rendre mon compte et refuse de me supprimer de sa base, tout en m’empêchant de créer un nouveau compte, cela serait de nature à provoquer une plainte auprès de la CNIL, nonobstant les sacro-saintes conditions générales d’utilisation, qui sont des normes inférieures à la loi, comme chacun sait. En effet, sur les millions d’utilisateurs, comment détecter qu’un utilisateur banni, s’est réinscrit, si ce n’est en gardant ses données personnelles dans une base, alors qu’il a fait valoir son droit de suppression, garanti par la loi de 1978 ?

Alors Twitter serait-il le réseau social qui n’aime ni les femmes, ni les lanceurs d’alerte ni la loi ? Dans mon cas personnel, j’aimerais ne pas en arriver à une telle extrémité et je suis persuadée que la levée de la suspension de mon compte serait de nature à pacifier la situation.

En attendant, on peut me trouver sur Mastodon.

/ Powercenter

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