Analyse

Emploi : des robots pas si tueurs

La robotisation dans les entreprises va-t-elle détruire des milliers de postes ? Plusieurs PME qui ont franchi le pas considèrent plutôt que cet investissement leur a permis de se développer et de ne pas licencier.
par Patrick Cappelli
publié le 17 mai 2017 à 17h46

Dans l'usine de piscines Desjoyaux de La Fouillouse, près de Saint-Etienne, d'énormes bras articulés jaunes manipulent les escaliers en polypropylène qui serviront à descendre doucement dans l'eau. Ces robots de marque Fanuc interviennent sur l'ensemble des lignes de production de l'usine et ont permis à l'entreprise familiale (180 employés, 82 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2016) de s'en sortir lors de la crise financière entre 2008 et 2015 : «Nous avons traversé cette période terrible en investissant 50 millions d'euros, notamment dans ces robots qui nous ont rendus plus compétitifs et nous ont permis de baisser nos prix de revient. Grâce à eux, nous avons pu éviter de licencier et de délocaliser», témoigne Jean-Louis Desjoyaux, le patron de cette PME stéphanoise. Une manière de répondre positivement, dans son cas, à cette question récurrente au moment où le salon Innorobo (16-18 mai) réunit la fine fleur du secteur à Paris : les robots vont-ils détruire des milliers de postes de travail ?

Avec 127 robots industriels pour 10 000 employés, la France est bien moins équipée que l'Allemagne, qui en possède 301 (1). Et le taux de chômage outre-Rhin est de 4 %, contre 10 % chez nous. Même si les chiffres sont controversés et les situations très variées selon les secteurs d'activité (lire encadré), les études montrent que les pays qui comptent le plus de robots dans l'industrie (Allemagne, Japon, Corée du Sud, Suisse) sont aussi ceux où le secteur industriel est le plus fort.

Responsable de l'équipe de recherche sur la robotique et la cobotique (robotique collaborative) de l'Institut de recherche technologique (IRT) Jules-Verne de Nantes, Alexis Girin est catégorique : non, le robot n'est pas l'ennemi de l'emploi dans les usines et les ateliers. «Ces machines permettent d'augmenter les volumes de production et de décrocher de nouveaux marchés. Et elles génèrent des emplois externes chez les intégrateurs qui les installent et s'occupent de leur maintenance», explique ce chercheur. Des intégrateurs qui sont plus de 400 en France, pour la plupart des TPE et PME ainsi que quelques grandes sociétés comme Fives ou Actemium (Vinci Energies), et qui n'existaient pas avant l'arrivée des robots sur les lignes de production.

Les syndicats, faute de données fiables sur l'impact de la robotisation sur l'emploi, restent prudents. «Il est difficile de généraliser, il faut étudier la situation au cas par cas. Certaines entreprises vont remplacer des salariés, d'autres au contraire vont devenir plus compétitives et augmenter leurs parts de marché. Une chose est certaine : les robots modifient sensiblement la nature des postes en leur ajoutant de nouvelles compétences. Ils rendent aussi le travail industriel plus attractif pour les jeunes et les femmes», analyse Philippe Portier, secrétaire général de la fédération métallurgie de la CFDT.

«Robotcaliser»

Quand on parle de robot industriel, il faut le faire au pluriel. Il existe en effet quatre catégories de robots. Les premiers travaillent dans des espaces physiquement séparés des humains, le plus souvent derrière des grilles, pour éviter les accidents. Il s'agit de bras articulés qui manipulent, soudent, vissent ou peignent selon l'outil fixé à leur extrémité. Les deuxièmes partagent leur espace avec les employés, comme les AGV («automated guided vehicules», ou véhicules autoguidés) que l'on trouve dans les entrepôts logistiques et qui se déplacent sur un fil intégré dans le sol. Les troisièmes opèrent dans la même zone que les hommes. Enfin, les «cobots», la dernière génération de robot, travaillent en coopération avec l'opérateur. Le marché du cobot est encore très réduit - 150 millions de dollars dans le monde, contre 11 milliards pour les robots classiques - mais sa croissance est forte (+ 70 %). Dix fois moins cher qu'un robot industriel, le cobot est aussi plus flexible. Il peut adopter la forme d'un exosquelette motorisé qui multiplie par dix les performances physiques d'un humain. «C'est l'appareil idéal pour les tâches qui réclament à la fois de l'intelligence et de la force», estime le responsable de la robotique de l'IRT Jules-Verne. Dans certaines PME manufacturières, l'introduction de robots évite des licenciements en augmentant la productivité tout en abaissant les coûts de revient. Pour les aider à s'équiper, le gouvernement a lancé en 2013 le plan «Robot Start PME», porté par le Symop (syndicat des entreprises de technologies de production), qui finance une partie de l'investissement dans un premier robot. Objectif : «robotcaliser», soit éviter de délocaliser la fabrication grâce aux robots.

Exemple avec AZ Metal, PME de 20 personnes des Côtes-d'Armor, spécialisée dans la mécano-soudure de tubes en acier et inox, qui a acheté en 2014 un robot de soudure valant 180 000 euros. Un investissement considérable pour la petite société bretonne, même en comptant les 12 000 euros de subvention de Robot Start PME. L'arrivée du bras soudeur automatisé a permis d'améliorer la productivité et d'augmenter les marges. D'après Isabelle Richard, PDG d'AZ Metal, le robot a même sauvé la PME. «Nous sommes passés d'une capacité de fabrication de 10 à 300 pièces à des séries de 2 000 pièces. Et avec une finition bien supérieure à celle du travail manuel. Ça nous a permis de répondre à des appels d'offres de grands groupes comme Manitou [matériels de manutention, ndlr]. Pour nous, la robotisation est vraiment positive, au point que je ne suis pas certaine que l'entreprise existerait toujours si nous n'avions pas acheté cette machine», raconte la dirigeante. Pour elle, l'emploi n'est pas menacé, bien au contraire : «Pas de robotique veut dire plus d'emplois du tout. Avec le robot de soudure, nous avons pu maintenir notre effectif. D'ailleurs, nous envisageons une deuxième acquisition dans les deux à trois ans qui viennent.»

Charlot

Sur le plan social, les robots industriels peuvent améliorer les conditions de travail, en débarrassant les ouvriers des tâches répétitives et nuisibles à leur santé. En France, le travail à la chaîne continue d'affecter près de 3 millions de salariés, selon le ministère du Travail. Comme Charlot dans les Temps modernes, ces employés effectuent des mouvements répétitifs qui causent des troubles musculo-squelettiques (TMS) et réduisent leur espérance de vie (six ans de moins par rapport aux cadres). L'entreprise Fournier, qui fabrique des cuisines sous les marques Mobalpa, Perene et SoCoo'c, s'est équipée de 19 robots il y a deux ans (2), principalement pour manipuler les panneaux en agglomérés qui servent à fabriquer les meubles. Des pièces lourdes et de grande taille, difficiles à manier pour les opérateurs humains. Les bras articulés, eux, soulèvent facilement ces panneaux de vingt kilos et plus, avant de les empiler à plat ou verticalement. «Nous avons supprimé des postes de manutention répétitifs et physiquement pénibles. Certaines tâches étaient même dangereuses pour la santé, comme la peinture au pistolet», se félicite Bernard Fournier, qui ajoute que l'arrivée des robots n'a soulevé aucune réprobation de la part des représentants du personnel. Pour Philippe Portier, de la CFDT, «quand l'introduction des robots est réussie, elle peut effectivement réduire la pénibilité». Toujours en vue d'une réduction des travaux pénibles, le patron de Fournier se dit intéressé par les cobots. Il envisage d'installer un de ces robots collaboratifs pour effectuer la tâche consistant à soulever puis placer de lourds tiroirs sur les glissières de certains meubles, les ouvriers n'ayant plus qu'à guider le robot. Chez Desjoyaux aussi, les conditions de travail sont bien meilleures depuis la mise en place des automates. «Les opérateurs qui travaillent sur les lignes robotisées sont ravis : la pénibilité a été divisée par dix !» affirme le PDG de l'entreprise stéphanoise.

Dernier atout des robots : permettre aux ouvriers de se former à leur gestion. Par exemple en aidant les informaticiens qui programment les interfaces homme-machine (IHM). Ou en apprenant comment entretenir et réparer. «Nos collaborateurs, tous volontaires, ont été formés à l'usage du robot de soudure et, pour eux, c'est une montée en compétences qui n'est pas anodine. On espère bien sûr les garder, mais s'ils partent, ils disposeront de qualifications élargies», explique Isabelle Richard, d'AZ Metal. Malgré ce retour globalement positif sur l'installation de robots dans les usines, la proposition d'une taxe robots portée par le candidat socialiste Benoît Hamon durant la campagne présidentielle a relancé un débat qu'aucune étude ne permet pour l'instant de trancher (lire encadré). Certains de l'autre côté de l'Atlantique y songent également. Le cofondateur de Microsoft, Bill Gates, en est partisan. Il y a quelques jours, une adjointe au maire de San Francisco, la capitale mondiale de l'innovation, a proposé que les entreprises de la ville qui substituent des robots à leurs employés viennent abonder un fonds afin de former à de nouveaux métiers ces travailleurs victimes de cette automatisation du travail. «Ceux qui parlent de taxe n'ont jamais mis les pieds dans une usine et affichent une méconnaissance totale de l'univers industriel. C'est juste un moyen de créer un impôt supplémentaire», estime Bernard Fournier. «Ils se trompent profondément», ajoute son homologue chez Desjoyaux. L'élection du nouveau président, dont l'appétence pour la technologie n'est pas un secret, devrait rassurer ces patrons de PME.

(1) International Federation of Robotics, chiffres 2015.

(2) Lire Libération du 18 novembre 2016.

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