Menu
Libération
Récit

Devant l'Elysée, un ex-officier marocain en grève de la faim contre son roi

Mustapha Adib, qui dénonce la corruption de la monarchie dirigée par Mohammed VI, exige de pouvoir manifester devant l'une des propriétés du souverain dans l'Oise.
par Emmanuel Fansten
publié le 18 mai 2017 à 18h09

Sa voiture est garée juste en face d'une enseigne Chopard, rue du Faubourg Saint-Honoré, à quelques dizaines de mètres seulement de l'Elysée. C'est là, dans une vieille Renault vert bouteille, que Mustapha Adib a élu domicile le 7 mai, sous l'œil circonspect des gardes républicains. Cet ancien capitaine de l'armée royale marocaine, opposant infatigable de la monarchie chérifienne, s'apprête à entamer sa troisième semaine de grève de la faim. Les premiers symptômes ont fait leur apparition : les lèvres gonflées, la peau sèche, les maux d'estomac, les articulations douloureuses. Seule revendication du gréviste : le droit de manifester devant le château de Betz, dans l'Oise, propriété de Mohammed VI et résidence principale du roi en France. Un «bien mal acquis aux dépens du peuple marocain», estime Mustapha Adib.

Membre du collectif pour la dénonciation de la dictature au Maroc, qui regroupe une cinquantaine de Marocains et de binationaux, le militant se bat depuis des années contre la mairie et la préfecture de l'Oise pour obtenir gain de cause. En vain. Dans ce combat kafkaïen, la préfecture de l'Oise répond à coup d'arrêtés visant à interdire tout rassemblement devant le château, invoquant tour à tour des risques de trouble à l'ordre public ou la menace terroriste. Le dernier en date, pris la veille du second tour de la présidentielle, autorise la manifestation, mais uniquement devant le stade de football du village, à 600 mètres de là. Un changement de lieu qui viserait, selon la préfecture de l'Oise contactée par Libération, à assurer la sécurité d'un chef d'Etat étranger «dont le pays participe à la coalition anti-Daech». Rien de moins.

Cachot

L'histoire commence en octobre 1998. Jeune officier au sein des forces armées royales (FAR), Mustapha Adib est le témoin d'un vaste trafic de carburant couvert par sa hiérarchie. Au nom de la «fidélité au trône», il décide de dénoncer les faits dans un rapport adressé directement au prince héritier, à l'époque numéro 2 des FAR et devenu depuis le roi Mohammed VI. Une enquête interne est diligentée et aboutit à des condamnations, mais l'officier devient l'objet de brimades et d'incarcérations arbitraires. Après des mois d'humiliations, il se résout à contacter la presse. Ses informations sur la corruption et les représailles dont il a été victime sont finalement dévoilées en décembre 1999 par le Monde. Mais avant même que l'article ne paraisse, Mustapha Adib est enlevé et jeté dans un cachot, où il passera quarante-cinq jours sans voir la lumière. Bien qu'aucun renseignement classifié n'ait été rendu public, l'opposant est déclaré coupable de «violation de consignes militaires» et «outrage à l'armée», puis condamné à deux ans et demi de prison. Incapable de retrouver un travail à sa sortie, en mai 2002, il s'exile en France, où il est naturalisé peu après. Ingénieur télécom de formation, l'ancien capitaine effectue plusieurs missions ponctuelles pour des grandes entreprises, tout en continuant à militer contre les dérives de la monarchie.

Petit village tranquille

En février 2011, la vague des printemps arabes offre l'occasion de relancer la contestation au Maroc. Avec d'autres anciens militaires et le «Mouvement du 20 février», Adib manifeste devant l'état-major et le palais royal à Rabat, dénonçant la «corruption» et la «prédation économique» orchestrées par le régime. Un crime de lèse majesté sans précédent. Mais face au faible écho médiatique rencontré par l'initiative, les manifestants décident de se tourner vers la France. Pour les opposants marocains en exil, l'élection de François Hollande est la promesse d'un nouveau rapport de forces. Un lieu va alors devenir le symbole de la contestation du royaume en France : le château de Betz. Mohammed VI en a hérité de son père, Hassan II, qui l'a acquis en 1972. Le château est niché dans un vaste domaine boisé de plus de 70 hectares, traversé par une rivière et abritant des écuries où s'ébrouent les pur-sang de sa Majesté. Une aubaine pour le petit village de l'Oise et ses mille habitants, dont beaucoup voient d'un mauvais œil les atteintes à la tranquillité de leur bienfaiteur. Une longue enquête du magazine marocain Tel Quel, publiée en août 2013, montre comment «M6» est devenu le «plus gros employeur» du village de Betz, finançant à grands frais l'église, la salle polyvalente et le centre social du village, employant une vingtaine de personnes à temps plein et invitant chaque année une quinzaine d'adolescents de la région au Maroc. De quoi s'acheter une relative tranquillité.

Mais après deux ans de batailles judiciaires, l'arrêté préfectoral interdisant de manifester est cassé par le tribunal administratif d'Amiens. Fort de cette décision, le Collectif dépose une nouvelle demande en février 2015. Mais cette fois, la préfecture de l'Oise sort l'artillerie lourde. La petite commune est encerclée par les gendarmes, qui surveillent les axes routiers et contrôlent chaque intersection. Un dispositif quelque peu disproportionné : seules cinq membres du Collectif ont pu faire le déplacement depuis Paris. Depuis, Mustapha Adib n'a eu de cesse de revendiquer ce «droit fondamental». Jeudi, le militant a reçu le soutien de l'association Transparency International France, qui s'inquiète de la dégradation de son état de santé. «Au moment où la France vient d'adopter une législation qui protège les lanceurs d'alerte, les autorités françaises, gouvernement et tribunaux, ne peuvent pas rester indifférents à la requête pacifique qui leur est adressée par Mustapha Adib», écrit l'ONG dans un communiqué.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique