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Edouard Philippe, un bobo de droite à Matignon

Mardi 16 mai, 9h30, à Matignon. Edouard Philippe prend ses fonctions au lendemain de sa nomination.
Mardi 16 mai, 9h30, à Matignon. Edouard Philippe prend ses fonctions au lendemain de sa nomination. © Pascal Rostain
Bruno Jeudy et Virginie Le Guay

Très calme, il peut être grinçant. Ses imitations de Juppé ou de Sarkozy sont à mourir de rire...

«Evidemment que je parle avec Emmanuel! J’ai plus souvent déjeuné ou dîné avec lui qu’avec François Fillon. C’est un type solide.» Le 5 avril, un mois avant l’élection, Edouard Philippe ne fait déjà plus mystère de ses contacts avec le futur président de la République. Surprenant? Pas tant que ça… Très vite, ce juppéiste convaincu a rompu les amarres avec François Fillon, dont il juge les idées trop réactionnaires. C’est Alexis Kohler, le bras droit du candidat d’En marche!, aujourd’hui secrétaire général de l’Elysée, qui a tissé le lien. Philippe a été le tuteur de Kohler pour préparer l’ENA. Alexandre Jardin, romancier et ami commun, a fait le reste. Edouard Philippe a été identifié comme une des cibles du candidat d’En marche!. Comme Xavier Bertrand. Comme Valérie Pécresse. Mais contrairement à eux, Edouard Philippe a beau être normand de naissance… il dit oui sans hésiter.

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Le nouveau Premier ministre est né à Rouen, en 1970, mais il est d’abord havrais. Son arrière-grand-père a été membre du Parti communiste. Son grand-père, qui vivait au 10e étage du 35, quai de Southampton, docker. Enarque peut-être, mais jamais aussi à l’aise qu’au stade de football du HAC, une bière à la main, avec les supporters locaux.

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C’est Antoine Rufenacht, figure gaulliste et tombeur de ce fief communiste en 1995, qui, alerté par Jacques Chirac («Tu devrais le rencontrer»), lui met le pied à l’étrier en le faisant entrer, en 2001, dans son conseil municipal. C’est encore Antoine Rufenacht qui, en 2002, souffle son nom à Alain Juppé. Jacques Chirac vient d’être réélu à l’Elysée. Alain Juppé cherche un directeur général pour l’UMP, qu’il est en train de créer. L’entretien d’embauche dure huit minutes. Et Edouard Philippe débarque à Paris en pleines législatives. Rue Saint-Dominique, il tombe sur Gilles Boyer, une petite main, en partance pour Bordeaux où il va diriger le cabinet d’Alain Juppé.

Sarkozy lui reproche d'avoir saboté son entrée au premier congrès de l'UMP en 2002

Entre Boyer le militant et Philippe le surdiplômé, l’un à Bordeaux, l’autre à Paris, ça «colle» tout de suite. Ils vont vivre la création de l’UMP, les procès à répétition, la disgrâce du patron. Un long compagnonnage, affectif et intellectuel. Ensemble, ils écrivent deux livres dont le très réussi «Dans l’ombre», paru en 2011 aux éditions Jean-Claude Lattès. «Edouard est calme en toutes circonstances. Plus c’est dur, plus il est maître de lui. C’est quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux. Il est même très drôle», assure Gilles Boyer, son complice juppéiste et candidat LR Ses proches insistent : ses imitations de Giscard, de Chirac et de Juppé sont à mourir de rire. Mais elles ne sont rien à côté de celles qu’il fait de Nicolas Sarkozy, son meilleur ennemi! Tout remonte à l’automne 2002. L’UMP tient alors son congrès fondateur au Bourget. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, arrive plus tôt que prévu. Son entrée dans la salle est saluée par… une indifférence générale. Vexé, il s’emporte, accuse nommément le collaborateur le plus proche de Juppé : «Je sais que tu as saboté mon entrée. Je te le ferai payer.» Et le ton monte. Certains assurent qu’ils ont failli en venir aux mains. Plus tard, Edouard Philippe lâche devant des amis : «Mais il est fou, ce garçon!» Résultat : ils ne se serreront plus la main pendant près de cinq ans. Durant la primaire, l’ancien président a même fait une fixette sur «l’arrogant Edouard Philippe», ainsi que sur le «cynique Gilles Boyer». Ambiance.

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Si, à Paris, les choses vont vite, il n’en va pas tout à fait de même au Havre. Le dauphin de Rufenacht a dû ronger son frein. Ce dernier rêvait de transmettre sa mairie à Christine Lagarde, Havraise qui préférera tenter sa chance au FMI. Quand, en 2010, Rufenacht démissionne, Edouard Philippe atteint son but. Et, en 2014, il devient député de la 7e circonscription de la Seine-Maritime.

Sur le bureau d'Edouard Philippe, blocs-notes et stylos sont prêts... en attendant les futurs dossiers.
Sur le bureau d'Edouard Philippe, blocs-notes et stylos sont prêts... en attendant les futurs dossiers. © Pascal Rostain

«Chaque lundi soir, pendant dix ans, il a pris sa 308 pour retourner au Havre après ses longues journées de boulot», se souvient Régis Lefebvre, son ami et ex-collaborateur à l’UMP. Mais Philippe va réussir, lors des dernières élections municipales, la performance de se faire élire au premier tour dans une ville qui avait voté François Hollande à plus de 58 %! Maire d’une métropole votant à gauche, il sait s’adapter, quitte à bousculer les habitudes de la droite autochtone.

Lundi dernier, apprenant la nomination d’Edouard Philippe à Matignon, François Baroin est tombé de l’armoire. Jusqu’au bout, il a refusé de croire à cette «transgression». «Entre 2002 et 2004, j’étais porte-parole de l’UMP et lui directeur général ; on travaillait facilement ensemble. Il a fait partie de ceux qui m’ont poussé à être candidat à la présidence de l’UMP contre Sarkozy après la condamnation de Juppé», raconte Baroin, aujourd’hui amer. Comment tenir une ligne dure face à un Premier ministre venu des rangs de la droite?

Philippe à Matignon? "Un choix de dingue" pour Wauquiez

Laurent Wauquiez, lui, n’a pas ces états d’âme. Il confie à Match : «C’est un choix de dingue. Il n’a aucune expérience gouvernementale. Il a été le porte-flingue brutal de Juppé et est détesté des parlementaires. C’est une aventure vouée à l’échec.»

Vraiment? Le nouvel hôte de Matignon dispose de relais solides à gauche. Ainsi, l’ex-député socialiste Jérôme Guedj. Ils étaient en même temps à Sciences Po. Puis ils ont préparé de conserve le concours de l’ENA, dans une maison qu’Alexandre Jardin leur avait prêtée. «On est copains, avec Edouard. On a fait les cons ensemble. Il est doté d’un sens de la dérision irrésistible.» Au début des années 1990, Jérôme Guedj devient l’assistant de Mélenchon, quand Edouard Philippe se contente encore de fréquenter le club rocardien de Sciences Po. Ce flirt avec la gauche prendra fin rapidement. «Edouard est un type constant. Au fond, il n’a pas bougé. C’est un républicain moderne, modérément dérégulateur. La France s’étant droitisée, il passe pour un centriste», constate, mi-figue mi-raisin, Jérôme Guedj.

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Laurent Cibien est un autre «pote de gauche». Sa rencontre avec le Premier ministre remonte leur année de khâgne au lycée Janson-de-Sailly. Edouard Philippe vient de passer son bac en Allemagne, où son père était proviseur du lycée français de Bonn. Les deux copains ne se quitteront plus. Et quand Laurent devient reporter et réalisateur de documentaires, Edouard l’autorise à filmer sa vie. Pendant la campagne des municipales de 2014, il porte même un micro-cravate en permanence. «Ne vous inquiétez pas! C’est un gauchiste, tendance ultra-gauche et écolo. Il filme mais il n’a pas vendu son film. Et il y a assez peu de chances qu’il le vende jamais», disait-il à des Havrais incrédules. Il avait tort. En mars 2016, Laurent Cibien signe son premier documentaire, «Edouard, mon pote de droite». Fidèle à la parole donnée, l’intéressé ne cherche pas à en changer une image. L’épisode 2, consacré à la primaire de droite, devrait rapidement être diffusé.

Il collectionne les boutons de manchettes et a signé des feuilletons pour des journaux... sous pseudo

Dans sa vie privée, l’austère Edouard Philippe, qui aime chanter sous sa douche «The River», de Bruce Springsteen, est un authentique bobo. Barbu «par intermittence», selon son ami Benoist Apparu, il cultive un look de hipster américain, collectionne les boutons de manchettes et pratique la boxe dans une salle du Havre. C’est aussi un grand lecteur. «L’histoire de Byzance», de John Julius Norwich, a été son livre de chevet l’été dernier. Son peintre favori est Egon Schiele. Ecrivain à ses heures perdues, il a signé de nombreux feuilletons pour des journaux. Mais sous pseudo. Pendant la campagne présidentielle, il commentait chaque jeudi, dans «Libération», la descente aux enfers de la droite et la montée en puissance d’Emmanuel Macron…

Quand il n’est pas au Havre, le quadragénaire retrouve sa rue de Châteaudun, aux confins des IXe et Xe arrondissements. Son épouse, Edith, professeur à Sciences Po et «super bohème», selon leurs proches, a joué un grand rôle dans son choix de ne pas s’opposer au Mariage pour tous. Ils ont trois enfants, de 6 à 14 ans, et passent leurs vacances en Sicile. A chaque anniversaire, on voit revenir les mêmes : ses amis de l’Ena, Alexandre Bompard (patron de la Fnac), Frédéric Mion (directeur de Sciences Po) et Benoît Ribadeau-Dumas (son directeur de cabinet), croisent les saltimbanques de la politique (Gilles Boyer, l’ancien ministre Benoist Apparu ou les députés Thierry Solère, Franck Riester et Gérald Darmanin), le communicant Régis Lefebvre et le journaliste David Abiker.

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Avec sa haute silhouette, sa calvitie et sa froideur de haut fonctionnaire, Edouard Philippe est souvent caricaturé comme le clone d’Alain Juppé. «C’est vrai qu’il lui ressemble, concède son ami, le député Benoist Apparu. Mais il est plus simple de fonctionnement. D’un abord facile et, surtout, beaucoup plus drôle.»

Lors de la passation des pouvoirs à Matignon, Edouard Philippe s’est décrit comme «violemment modéré» et «terriblement conquérant», mais il a revendiqué son appartenance à la droite. «Je n’ai peur que d’une chose, dit-il. Les requins !»

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