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Désintox

Les 4 intox de Vanessa Burggraf à «On n'est pas couché»

La chroniqueuse s'est opposée à Najat Vallaud-Belkacem sur de nombreux points de sa réforme du collège. En multipliant les approximations.
par Pauline Moullot
publié le 21 mai 2017 à 16h45

Najat Vallaud-Belkacem a beau avoir quitté la rue de Grenelle, elle n'a pas fini de faire l'objet de hoax sur son bilan à l'Education nationale. Plus inquiétant, c'est une chroniqueuse journaliste qui a relayé plusieurs intox samedi soir sur le plateau d'On n'est pas couché. En essayant de s'attaquer à la réforme du collège entrée en vigueur à la rentrée 2016, Vanessa Burggraf a fini par multiplier les approximations et même par dire n'importe quoi.

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La disparition du latin et du grec

«Ca va être le retour de l'enseignement du latin et du grec», commence Burggraf à propos du successeur de Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l'Education nationale. L'ancienne ministre se hérisse : «On va arrêter tout de suite: le latin et le grec n'ont jamais disparu des collèges.» Ruquier prend le relais en citant un autre invité, Sylvain Tesson, qui s'émeut dans son livre de la disparition de ces enseignements.

C'est plus compliqué. Il existe toujours des professeurs de latin et de grec au collège, comme le dit la candidate PS aux législatives, mais l'enseignement n'est plus le même. L'option facultative de latin, disponible à partir de la 5e, a en effet été supprimée pour être remplacée par un module «langues et cultures de l'Antiquité» dans les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) qui ont fait leur apparition à la rentrée 2016. Par ailleurs, «les éléments fondamentaux des apports du latin et du grec à la langue française feront l'objet d'un enseignement dans le cadre des cours de français», assure le ministère. Pour calmer la fronde des professeurs de lettres classiques, un enseignement de complément pour les élèves qui souhaitent approfondir le latin a aussi été mis en place.

Le ministère avait justifié cette mesure en expliquant à la dernière rentrée que 92% des collèges proposaient l'EPI «langues et cultures de l'Antiquité», et que ce module serait suivi par 70% des élèves de 5e, contre 20% avant la mise en place de la réforme. Le nombre d'heures a diminué (l'enseignement de complément ne prend qu'une heure hebdomadaire en 5e et deux en 4e et 3e contre 2h en 5e et 3h en 4e et 3e avant la réforme), mais ces langues anciennes n'ont pas été supprimées.

Confusion entre classes bilangues et EPI

Interpellant la ministre sur la suppression partielle des classes bilangues, la chroniqueuse a usé d'un argument fallacieux : le volume horaire consacré à l'apprentissage de la langue vivante 1 (LV1) diminuerait au profit des EPI.  «En classe de 3e, il y a moins d'heures d'anglais première langue par rapport à l'année précédente et ça se fait pour des EPI», assure Vanessa Burggraf en s'appuyant sur l'expérience de sa fille actuellement au collège.

Depuis la rentrée, les élèves de troisième, quatrième et cinquième suivent 3h de LV1, comme avant. En classe de sixième, ils ont droit à 4h hebdomadaires. S'il est vrai que certaines classes bilangues ont été supprimées pour permettre l'apprentissage d'une LV2 dès la 5e, il est faux d'affirmer que cette mesure a conduit à une baisse des heures de cours de LV1 au collège.

Si Burggraf mélange suppression des classes bilangues, EPI et baisse des cours de LV1, c'est parce que le volume horaire accordé aux EPI est pris sur l'enseignement commun. Le ministère de l'Education explique qu'il ne s'agit pas d'un enseignement supplémentaire, mais d'une nouvelle manière d'enseigner des matières traditionnelles. Ainsi, dans le cadre d'un EPI «Langues et cultures étrangères», le temps accordé aux cours d'anglais traditionnels pourra diminuer pendant un ou deux trimestres.

Mais cela ne signifie pas que le volume horaire consacré à l'enseignement de l'anglais diminue. Dans le cadre d'un EPI «Sciences, technologies et société», ce sont d'autres matières qui verront leurs cours traditionnels diminuer au profit d'un enseignement différent. En faisant un lien entre suppression des classes bilangues et apparition des EPI, Burggraf mélange deux points de la réforme qui n'ont rien à voir.

«Un enfant sur quatre qui entre au collège ne sait ni lire ni écrire»

Vanessa Burggraf reprend ici un chiffre régulièrement cité, mais mal compris. Selon le ministère de l'Education nationale, 82% des élèves qui entrent en sixième maîtrisent la langue française. Cela signifie que 18% ne les maîtrisent pas, soit moins d'un élève sur cinq.

Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'ils ne savent ni lire ni écrire. Maîtriser ce socle de compétences consiste à «dégager le thème d'un texte, repérer dans un texte des informations explicites, inférer des informations nouvelles (implicites), repérer les effets de choix formels.»

Le grand n’importe quoi sur la réforme de l’orthographe

Au grand désarroi de Najat Vallaud-Belkacem, la chroniqueuse s'appuie encore une fois sur son ressenti de mère plutôt que sur des faits pour reprocher à l'ancienne ministre sa prétendue réforme de l'orthographe.

«-Vanessa Burgraff : J'ai vu la réforme de l'orthographe. Ça m'a atterrée.
- Najat Vallaud-Belkacem : Non mais alors là, franchement. Excusez-moi Vanessa mais… Vanessa, Vanessa, je n'ai jamais mené de réforme de l'orthographe, c'est une fake news. Mais c'est pas possible, vous vous rendez compte.
- Vanessa Burgraff : Dans l'école de ma fille, je suis désolée de vous dire…
- Najat Vallaud-Belkacem : Mais vous relayez… Mais c'est pas possible…
- Vanessa Burgraff : Dans la classe de ma fille, on enlève les petits tirets. Le mot 'oignon'… […] Le mot 'oignon' s'écrit o-i-g-n-o-n. On l'écrit o-g-n-o-n. […] Donc, vous n'avez pas fait la réforme de l'orthographe ? Tout ça, c'était un mensonge ?
- Najat Vallaud-Belkacem : Mais évidemment, tout comme je n'ai pas imposé l'apprentissage obligatoire de l'arabe au CP. Vous y avez aussi cru peut-être, non ?»

L'ancienne locataire de la rue de Grenelle, furieuse, enchaîne sur les fake news dont elle a fait l'objet pendant ses trois années passées à l'Education nationale, dont le hoax sur les cours d'arabe. Najat Vallaud-Belkacem n'a en effet jamais mis en œuvre de réforme de l'orthographe. Désintox l'avait d'ailleurs déjà expliqué au moment de la polémique l'année dernière… La «réforme de l'orthographe» dénoncée par Burggraf et les détracteurs de la ministre l'an passé n'a jamais existé. Il s'agit de «propositions» qui figurent dans un rapport dirigé par Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l'Académie française. «Toute réforme du système de l'orthographe française est exclue», peut-on lire à trois reprises dans le rapport.

En fait, les modifications préconisées s'imposent depuis 1990 et leur publication au Journal officiel. Cela fait vingt-six ans qu'il est possible d'enseigner l'orthographe rectifiée, sans que ce soit pour autant obligatoire. Si le sujet est ressorti l'année dernière, c'est parce que les éditeurs de manuels scolaires (des sociétés privées indépendantes) ont décidé de prendre en compte l'orthographe révisée dans leurs éditions de la rentrée 2016. Mais certains d'entre eux (Hatier par exemple) appliquaient déjà ces modifications dans leurs ouvrages.

Pour la rentrée 2016, le Conseil supérieur des programmes avait décidé de faire référence à l'orthographe réformée.  Il est ainsi noté en tête du Bulletin officiel définissant les nouveaux programmes : «Les textes qui suivent appliquent les rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l'Académie française et publiées par le Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990.» Mais c'était déjà le cas en 2008, sous Xavier Darcos.

Par ailleurs, cela ne signifie pas que les nouveaux programmes rendent obligatoire l’application de ces modifications. On ne peut pas reprocher à un professeur d’enseigner l’orthographe révisée ou à un élève de l’appliquer. Mais on ne peut pas non plus leur reprocher l’inverse.

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